Le territoire du département des Hautes-Alpes dut, dans l’origine, être occupé par des émigrations successives des peuplades qui occupaient les contrées voisines, et qu’une surabondance de population et les chances contraires de la guerre chassaient de leur pays natal. Quoi qu’il en soit, avant la conquête romaine, on y comptait quatre peuplades : les Segusiani, dans le pays de Suse ; les Caturiges, au sommet des Alpes ; les Brigantini, dans le territoire appelé depuis le Briançonnais, et les Tricorii, au nord-est des Caturiges.
Presque tous alliés ou dépendants des Voconces, ces peuples avaient chacun leur cité : les Segusiani, Segusio (Suse) ; les Caturiges, Caturigae (Chorges) ; les Brigantini, Brigantium (Briançon) ; les Tricorii, Vapincum (Gap) ; mais les plus puissants et les plus célèbres étaient les Caturiges, dont le nom signifie, suivant les uns, montagnards, selon d’autres, bons guerriers. Pline les fait descendre des Caturigenses, ancien peuple d’Italie qui habitait la partie du Milanais située au pied des Alpes Ayant été chassés de leur pays, ils se retirèrent dans la contrée connue aujourd’hui sous le nom de l’Embrunais et du Gapençais.
C’est par là qu’Annibal passa quand il se rendit en Italie. Après avoir traversé la Durance au-dessus, croit-on, de l’Ubaye, il gravit avec son armée la cime des Alpes. « Lorsque l’oeil put voir de près la hauteur des monts, dit Tite-Live, les neiges qui semblaient se confondre avec les cieux, les huttes grossières suspendues aux pointes des rochers, les chevaux, le bétail paralysés par le froid, les hommes sauvages et hideux, les êtres vivants et la nature inanimée presque engourdie par la glace, cette scène d’horreur, plus affreuse encore à contempler qu’à décrire, renouvela la terreur des Carthaginois. »
Annibal eut à combattre les Caturiges ; ce qui ne les empêcha point, dans la suite’ de le servir contre les Romains. Après avoir pris part aux guerres puniques, ils s’unirent aux Allobroges et suivirent leur fortune dans la guerre de l’indépendance ; mais, quand les Allobroges embrassèrent le parti de Sertorius, les montagnards des Alpes s’abstinrent, et douze de leurs cités furent déclarées villes municipes. Cependant ils s’opposèrent au passage de César lorsque ce conquérant traversa le mont Genèvre pour aller réduire les Helvètes.
Du temps d’Auguste, ces peuples obéissaient à un prince nommé Cottius, et Suse était leur capitale. Il y avait dans cette ville un arc de triomphe sur lequel on voyait inscrits les noms des quatorze peuples dont Cottius s’était fait un petit royaume. Il est le premier qui ait cherché à tracer un chemin régulier, la route du Mont-Genèvre, à travers les Alpes ; la postérité s’en est montrée reconnaissante en donnant à cette partie des Alpes le nom d’Alpes Cottiennes.
Ce prince fit alliance avec Auguste, qui lui laissa ses possessions ; mais, après sa mort et celle de son fils, elles passèrent à l’empire. Jusqu’au règne de Constantin, les villes municipes cottiennes jouirent de certaines franchises. Constantin les soumit au tribut comme le reste de la Gaule. Taxés et ruinés par l’avarice des préteurs, outre le capage ou droit de vivre et la scriptura ou droit de parquerage, les habitants payaient aux Romains la vingtième partie des legs et successions, le vingt-cinquième du prix des esclaves et le centième de toutes les marchandises vendues. Avec la liberté, ils perdirent le sentiment national. Vainement Vindex et Civilis les appelèrent aux armes pour la délivrance commune : leur voix fut sans écho dans ce pays.
Quand les barbares se ruèrent sur l’empire, c’est par là qu’ils se dirigèrent vers Rome. Sarmates, Alains, Huns, Gépides, Hérules, Saxons, Vandales y laissèrent tour à tour des traces de leur passage ; mais les Bourguignons et les Wisigoths s’y fixèrent. Puis vinrent les Francs et les Lombards. Battus par le patrice Mummol, ceux-ci se retirèrent, laissant les Francs seuls maîtres du pays.
Déjà saint Marcellin y avait prêché l’Évangile, mais son esprit ne demeura pas longtemps avec ses successeurs. Au VIe siècle, les évêques des Hautes-Alpes avaient pris les moeurs barbares ; deux, entre autres, Solonius et Sagittarius, son frère : le premier gouvernail l’Église d’Embrun, le second celle de Gap, tous deux chargés de crimes, maudits du peuple, exacteurs, tyrans, meurtriers et adultères. Un jour, ils attaquèrent à main armée Victor, évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Au milieu d’une fête, ils envahirent sa maison et frappèrent ses serviteurs. Après le meurtre, le pillage. Déposés par un synode assemblé à Lyon, ils en appelèrent au pape, qui les rétablit.
Alors, se croyant tout permis, ils s’abandonnèrent à toute la fureur de leurs passions. Il fallut les emprisonner ; mais la peur les fit relâcher. Il n’était pas prudent, croyait-on, de toucher aux oints du Seigneur. A peine sortis de prison, de pécheurs ils se métamorphosèrent en dévots. Repentants et contrits, on les voyait sans cesse jeûner et prier ; mais cela ne dura pas, et ils retournèrent, comme dit l’Apôtres à leurs vomissements. Ils pissaient la nuit dans les orgies. Pendant que les clercs chantaient matines dans l’église, ils faisaient des libations et sacrifiaient aux plaisirs.
Le jour les trouvait encore à boire. Alors, se couvrant de vêtements moelleux, ils s’endormaient, plongés dans l’ivresse, et ne se levaient que pour se remettre à table. Telle était la vie que menaient ces deux évêques. Déposés de nouveau par un concile de Chalon-sur-Saône, en 579, ils furent enfermés ; mais ils parvinrent à s’échapper. Solonius finit obscurément ses jours. Pour Sagittarius, comme il s’enfuyait, caché sous un froc de moine, il fut pris et mis à mort.
Au commencement du Xe siècle, les Sarrasins parurent dans les vallées des Alpes, pillant les abbayes et dévastant les églises. Nombre de chrétiens qui s’étaient réfugiés près d’Oulx y furent massacrés par les infidèles ; ce qui valut à ce lieu le nom de plebs martyrum, peuple de martyrs. Après un long séjour dans ce pays, les Sarrasins en furent chassés. Montmaur, le torrent du Sarrasin, la montagne de Puy-de-Maure, la tour de Moron, Villars-Mourin et plusieurs autres lieux du Champsaur, où ils étaient connus sous le nom de Barbarins, ont conservé des restes de leur passages. Tel est le souvenir qu’ils ont laissé, que les mères menacent du retour des Barbarins leurs enfants qui ne sont pas sages.
Au siècle suivant, nous voyons ce pays en proie à l’anarchie féodale. Comme dans le reste du Dauphiné, le second royaume de Bourgogne y laisse debout, en tombant, une foule de petits souverains ecclésiastiques ou laïques. Déjà riches des dépouilles des Sarrasins, ils se disputent à main armée l’héritage de Boson. Vainement l’empereur Conrad essaye de les ramener à l’obéissance ; il est obligé de légitimer leurs usurpations. Alors le pays des Hautes-Alpes se trouva divisé en trois petits États indépendants : le Briançonnais, l’Embrunais et le Gapençais, ayant chacun ses souverains et sa capitale.
Situé dans les Alpes Cottiennes, le Briançonnais, après avoir fait longtemps partie du marquisat de Suse, obéissait aux comtes d’Albon. Il avait pour chef-lieu l’antique cité des Brigantini, Briançon. Au midi du Briançonnais, dans le pays des Caturiges, était l’Embrunais, qui, successivement possédé par les Romains, les Francs et les Bourguignons, reconnut pour maîtres, d’abord les comtes de Forcalquier, puis les archevêques d’Embrun, à qui l’empereur Conrad le céda en 1020 ; sa ville principale était Embrun, A l’occident de l’Embrunais s’étendait le pays de Gap, soumis tour à tour aux comtes de Provence, aux comtes de Toulouse et aux comtes de Forcalquier.
Dans la suite, ces divers pays pissèrent aux dauphins de Viennois. Cependant, libres du joug de la conquête et rendus à leur première énergie, Ies montagnards des Alpes avaient jusque-là vécu dans une sorte d’indépendance. lis conservèrent, sous les dauphins, leurs lois et leurs libertés particulières ; ils ne reconnaissaient l’autorité de leurs princes qu’à la condition qu’ils seraient maintenus dans leurs anciens droits et privilèges, sans qu’il y fût rien changé. Humbert II leur conféra la qualité de francs (libres) et les exempta des contributions et des servitudes féodales. Il octroya, en outre, aux communes du Briançonnais, le droit de s’assembler pour leurs affaires générales et particulières.
Dans ces conseils, on s’occupait de la répartition des impôts ; on y traitait de la paix et de la guerre, et l’on y veillait aux subsistances. A la réquisition du bailli, tous les habitants devaient prendre les armes pour le dauphin. Hors du pays, ils n’étaient tenus que de 500 hommes, moitié armés d’ares et de flèches, moitié de lances avec pennons ; tous équipés de pourpoints, d’épées, etc. Le prince payait la solde, qui était d’un gros tournois par jour. Les villes de Gap et d’Embrun devaient chacune 100 fantassins ; Chorges levait 50 cavaliers ; Savines n’était obligée qu’à 5 hommes d’armes, 3 chevaux et 2 roussins. Tel était, en temps de guerre, le contingent de la plupart des communes des Hautes-Alpes au Moyen Age.
Sous le règne paternel de Humbert II, le Briançonnais jouit d’une paix profonde. Ce prince fonda en 1340, sur le mont Genèvre, dans la combe de Malaval, des maisons hospitalières, et des greniers d’abondance dans plusieurs communes. Chaque vallée avait des archives centrales ; les comptes annuels des deniers communaux s’affichaient à la porte de l’église et se discutaient par les habitants au sortir de la messe. Il y avait des lois sévères contre l’usure. Heureux pays, si les guerres de religion n’étaient pas venues l’agiter et le diviser.
Née dans ses montagnes, la secte des Vaudois y avait fait de grands progrès. Ils menaient la vie des pasteurs, cultivant les champs et élevant des troupeaux. Leurs docteurs s’appelaient barbes, nom qui, dans la langue du pays, signifie oncles. Simples, sobres et chastes comme les prêtres de l’ancienne Église, ces barbes visitaient les chaumières, prêchant la paix et la charité. « Dio t’absolve et te pardonne, disaient-ils à leurs pénitents, comme il pardonna à Maria-Madalina ! » Chaque jour, malgré les menaces de l’archevêque, le nombre des hérétiques croissait et leur doctrine se propageait.
Alors l’inquisition avisa : elle chargea Borelli de leur faire leur procès. Celui-ci, secondé par le vice-bailli du Briançonnais, ne remplit que trop bien son office. Nombre de Vaudois furent pris. Ceux qui se convertirent devaient porter deux croix de drap jaune, l’une sur la poitrine et l’autre entre les épaules. Pour les hérétiques obstinés, c’était l’affaire du bourreau. Dans la seule année 1397, il en périt deux cent trente sur les bûchers. Sous prétexte d’hérésie, la persécution frappa même des catholiques. Souvent on condamnait au feu sans formalité de justice. Des moines mendiants, se disant inquisiteurs de la foi, vexaient, torturaient et pillaient les habitants qui leur paraissaient suspects. C’était un véritable brigandage, et l’on s’en plaignit au roi Louis XI, qui, tout dévot qu’il était, y mit bon ordre par lettres patentes du 18 mai 1478.
« De la part des manants et habitants de la Valloyse, Fraissinières, Argentière et autres lieux, tous tels qu’ils se tiennent et comportent, nous a été exposé qu’aucuns religieux mendiants, sous ombre d’office d’inquisiteurs de la foy, les aucuns ont mis en gehenne et question sans information précédente, ont pris et exigé fortes sommes et deniers, et par divers moyens les ont injustement vexés et surveillés à leur grand préjudice et dommage... Pourquoy avons, après bonne délibération, de notre certaine science, gré spécial, pleine puissance, et de notre autorité delphinale et royale, mis et mettons à néant, par ces présentes, toutes poursuites et entreprises quelconques. »
Cependant l’inquisition passa outre, et les Vaudois ne cessèrent pas d’être persécutés. Ceux de la Vallouise se retirèrent, en 1485, à l’Aile-Froide, caverne située sur les flancs du Pelvoux. Ils étaient pourvus d’armes et de vivres pour deux ans. On prêcha la croisade ; les catholiques s’armèrent, et, bénis par le nonce, ils marchèrent, après la messe, à l’attaque des Vaudois. Le comte de Véras les commandait. Ils avaient, en outre, comme auxiliaires, une compagnie de cinquante à soixante soldats. Aux sommations qui leur furent faites, les Vaudois répondirent en faisant rouler sur les assaillants des quartiers de roc qui en blessèrent plusieurs. Après huit jours de siège, des Vallouisiens étant parvenus, à l’aide d’un long câble, à escalader la montagne qui domine la caverne, y pénétrèrent sur le derrière de la Baume et y mirent le feu, afin d’étouffer les proscrits par la fumée.
Ceux qui voulurent s’échapper furent massacrés ou se précipitèrent du haut des rochers, pour ne pas tomber vivants entre les mains de leurs ennemis. Vieillards, femmes, enfants, rien ne fut épargné. Il en périt, dit-on, plus de trois mille ! D’où le, nom de Baume des Vaudois resté à ces lieux funestes. Ainsi frappée et dépeuplée, la Vallouise ne fut plus qu’un désert. Proscrits, dépouillés de leurs biens, les malheureux Vaudois étaient condamnés à errer, comme si Dieu leur eût mis sur le front le signe maudit !
Cependant, en 1498, ils se rendirent à Paris, au sacre de Louis XII, pour solliciter de ce prince la rentrée en possession de leurs biens. Le roi entendit leurs plaintes et compatit à leurs maux : « ils sont meilleurs chrétiens que nous » disait-il ; et il chargea Burelli, son confesseur, de prononcer sur l’interdit, qui fut levé solennellement, en 1500. Bien que tardif, cet acte de justice rendit la vie à ce canton, « auquel, dit un historien des Hautes-Alpes, la reconnaissance publique confirma le nom de Vallouise, qu’il avait reçu de Louis XI, et qu’il porte encore. »
Aux Vaudois succédèrent les calvinistes. C’est de la vallée de Champsaur que partit le signal du mouvement protestant dans les Hautes-Alpes Jusque là paisible, la bourgeoisie y prit parti pour les idées nouvelles. Après avoir donné le jour à Lesdiguières, Saint-Bonnet devint la Genève de cette partie du Dauphiné. D’autres communes, telles que Bénévent, Lamotte, Saint-Laurent, Lafare, Saint-Julien, suivirent son exemple. Bientôt la guerre éclata partout avec fureur. Ce n’étaient que villes prises et reprises, bourgs réduits en cendres, églises pillées et saccagées, prêtres fugitifs et demandant l’aumône. À l’entrée de la Vallouise, les catholiques, en 1587, avaient élevé une muraille flanquée de tours. Cette muraille arrêta Lesdiguières pendant deux ans. A la fin, maître du pays, Lesdiguières s’y fortifia et le gouverna sous le nom de roi des montagnes.
Après tant de vicissitudes, ces vallées semblaient renaître à la vie, quand la révocation de l’édit de Nantes vint leur porter un nouveau coup. Plusieurs communes, réduites au tiers de leur population, y virent périr leur industrie. Sur la fin du règne de Louis XIV, quand l’étranger envahit de toutes parts notre territoire, les Hautes-Alpes furent occupées par le duc de Savoie. Après avoir brûlé Gap, Chorges et plusieurs places fortes, l’ennemi allait dévastant et rançonnant les villages ravageant tes campagnes et enlevant les troupeaux. Catinat le força à la retraite. On montre encore dans le Champsaur la fontaine où, sans descendre de cheval, ce grand capitaine se fit donner à boire dans l’aile de son chapeau.
Comme le reste du Dauphiné, celle contrée paya son tribut aux fléaux qui ravagèrent la France au Moyen Age. Vers 516, la vallée du Champsaur fut dépeuplée par ce qu’on appelait le mal noir. On dit qu’à Villars-Mouren une femme y survécut seule aux habitants. On n’y voyait que maisons désertes ou abandonnées. Au XIXe siècle encore, les ruines de ces habitations pestiférées, couvertes de broussailles, attestent, après tant de siècles, l’effroi qui s’attache à ce souvenir. Dans le Champsaur, on dit d’un homme qui en liait un autre à la mort : li voua lou maou nier (il lui souhaite le mal noir).
Plus tard vint la famine avec tous les maux qui l’accompagnent : les habitants étaient réduit pain avec les fruits du cynorhodon mêlés avec la farine des semences acres de la renoncule et de la caucalide, qui avaient pris, dans les champs, la place des moissons. Après le mal noir et la famine, la peste. De 1531 à 1720, ce dernier fléau visita trois fois les vallées des Hautes-Alpes. On se cachait dans les cavernes. Beaucoup mouraient au bord des fontaines, pris d’une soif inextinguible. Une source de la commune de La Fare en a gardé le nom de fontaine de la peste.
Ainsi que la Drôme et l’Isère, le département des Hautes-Alpes prit une part active à la Révolution. Pendant que ses bataillons de volontaires se signalaient dans les guerres de la République, il sauva la vie à plus d’un proscrit qui vint chercher un asile dans ses montagnes. Napoléon, revenant de l’île d’Elbe, traversa ce département. C’est là, disait-il, qu’il avait reconnu le sol français. Il s’avançait, monté sur un petit cheval blanc, vêtu de la redingote grise et portant le petit chapeau. Les paysans allumaient des feux de joie sur son passage. Au bataillon de l’île d’Elbe s’était jointe une caravane grotesquement équipée Napoléon ne pouvait s’empêcher d’en rire. Les officiers supérieurs cheminaient lentement, hissés, comme le chevalier de la Manche, sur de tristes rosses ou sur des mulets rétifs enlevés aux travaux des champs. « La caravane, dit un témoin oculaire, allait pêle-mêle avec une gaieté folle. Quelques lanciers polonais, talonnant leurs chétives montures, ouvraient et fermaient la marche, suivis à peu de distance par les grenadiers dont les moustaches grisonnantes et le teint noire ! justifiaient l’épithète de vieux grognards. Les habitants les arrêtaient à chaque pas et leur offraient des rafraîchissements. »
Après Waterloo, l’autorité supérieure crut devoir, pour éviter des malheurs, faire ouvrir aux alliés les portes de Briançon, du Mont-Dauphin et du château Queyras ; mais ces places restèrent fermées par le patriotisme des habitants.
Dans les longs et rigoureux hivers, un grand nombre de communes du département des Hautes-Alpes sont privées, par l’accumulation des neiges, de toute communication entres elles : les passages, les sentiers, les grands chemins eux-mêmes sont obstrués et deviennent impraticables. On a dû établir, dans les principaux cols, pour porter quelque remède à ce fâcheux état, des refuges destinés à servir d’abri momentané aux voyageurs en détresse. Ces refuges, au nombre de six, comprennent tous une salle commune, une chambre à coucher et le logement du gardien et de sa famille.
« Ils s’élèvent, dit le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (Supplément), sur le col d’Isoard, route de Briançon au Queyras ; sur le col Lacroix, route de Ristolas à Boby (Italie) ; sur le col du Noyer, route de Saint-Bonnet à Saiiit-Étienne-en-Dévoluy ; sur le col de Manse, route de Gap à Orcières ; sur le col de Vars, route de Guillestre à Saint-Paul ; sur le col d’Agnel, route de Molines à La Chanel (Italie). Ils ont été construits au moyen des 500 000 francs pour lesquels le département des Hautes-Alpes était inscrit dans le testament de Napoléon Ier. »
Les habitants des Hautes-Alpes sont au XIXe siècle, actifs et laborieux, durs à la fatigue, intelligents, de mœurs austères et probes ; leur vie sévère les dispose à la charité ou plutôt ils comprennent d’instinct la solidarité, car les plus pauvres mêmes ont horreur de la mendicité.
Les fêtes patronales sont nommées vogues dans les Hautes-Alpes. C’est dans les communes de la vallée du Champsaur que ces vogues ont conservé la physionomie la Plus originale. On plante un mai dans le champ destiné à la danse ; on élit un directeur de la fête, qui, sous le titre d’abbé, est le régulateur des plaisirs et le maître des cérémonies. Une canne, des rubans et de la poudre sur les cheveux, tels sont les insignes de sa dignité. Le jour de la fête, et de grand matin, l’abbé, accompagné de quelques amis et du ménétrier, se rend dans chaque maison où il y a des filles à marier ; avec la permission des parents, il les invite à venir à la danse ; chacune d’elles accepte en attachant un ruban à la canne qu’il porte. Après avoir fini sa tournée, il se rend au lieu du bal, où de joyeuses acclamations saluent son arrivée. C’est lui qui fait commencer la musique, règle les places, désigne les danseurs. Il a un pouvoir dictatorial ; toute la jeunesse de sa commune est prête, lorsqu’il lève sa canne, à se précipiter contre les étrangers téméraires qui refuseraient d’exécuter ses volontés. Ces querelles étaient autrefois malheureusement assez fréquentes, et souvent le lieu du bal se changeait en une arène sanglante ; mais des habitudes plus pacifiques se sont introduites ensuite.
Parmi les danses usitées dans le pays, il en est une qui rappelle les danses provençales, de même que l’abbé de la vogue semble être un pâle reflet de l’abbé de la jeunesse à Aix. C’est une espèce de pyrrhique qui s’est conservée au Pont-de-Cervières, hameau dépendant de Briançon. Les danseurs, au nombre de neuf, onze ou treize, sont armés d’épées courtes et sans pointe, comme celles des Allobroges. Ils décrivent en dansant douze figures avec une gravité et une lenteur bien différentes des mouvements précipités de la pyrrhique grecque.
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