Le territoire. qui forme aujourd’hui le département des Landes était occupé, avant la conquête romaine, par plusieurs peuplades d’origine ibérienne : au sud et à l’est, dans les bassins de l’Adour et de la Midouze, les Tarbelli, pays de Dax ; les Tarusates, pays de Tartas ; une partie des Élusates et des Sotiates, dont les principaux établissements se trouvaient sur le territoire des départements du Gers et de Lot-et-Garonne ; à l’ouest et le long de la mer, dans la région qu’on appelle aujourd’hui les grandes Landes, les Aquitani proprement dits. Tous ces peuples étaient compris dans la Gaule aquitanique.
On serait fort embarrassé de donner sur l’existence de ces peuples des détails spéciaux. Sans doute, leurs moeurs étaient celles des peuples environnants modifiées par l’influence de leur malheureux pays, de ces sables accumulés il y a des milliers d’années par la mer, et par lesquels elle semble avoir voulu resserrer elle-même son empire.
Dès cette époque, de vastes forêts couvraient le pays et servaient d’asile à des hommes presque aussi sauvages que les bêtes qui leur en disputaient la possession. Pourtant quelques. éléments de civilisation y pénétrèrent. Les Celtes y portèrent leur culte, et l’on voit sur la route d’Hagetmau à Saint-Sever un peulven qui atteste leur passage en ces lieux. Il est probable aussi que, lorsque les Grecs établirent leur ligne de comptoirs le long de la Garonne et de l’Adour, les habitants des Landes ressentirent l’influence de ce commerce voisin.
U avait-il déjà quelque port sur la côte entre ceux de Bayonne (Lapurdum) et de La Teste-de-Buch (Boïes), qui appartiennent aux deux départements voisins ? On sait que les Boïens, qui occupaient le dernier de ces deux ports, avaient, dans les mêmes régions, une autre ville appelée Lasseaba. Était-elle située dans la partie septentrionale du département des Landes ou en dehors de ses limites ? On l’ignore. Mais si les habitants des côtes et des landes proprement dites avaient peu d’établissements, on ne peut douter que ceux qui occupaient les rives de l’Adour et de la Midouze n’en aient eu de plus ou moins considérables. Dax, Tartas existaient déjà chez les Tarbelliens et les Tarusates.
Ces peuples subirent la domination romaine sans avoir pris une grande part à la résistance ; à cause de leur position excentrique. On connaît l’énergie déployée par les Sotiates contre Crassus dans leur forteresse située sur le territoire du département de Lot-et-Garonne. Quand Rome eut pris possession de cette extrémité sud-ouest de la Gaule, elle y marqua sa présence par ces voies de communication qu’elle ouvrait partout, et qui assuraient le maintien de sa puissance en même temps qu’elles sauvaient la civilisation.
Les voies romaines étaient comme la trace des légions ; partout où celles-ci pénétraient, elles apparaissaient. Les sables et les forêts n’y mettaient pas plus d’obstacle que les montagnes et les fleuves. Une voie romaine longea la côte depuis Boïos jusqu’à Lapurdum. Les Landais l’appellent Camin Roumiou. Une autre, partant de Bordeaux, aboutit également à Lapurdum en passant par Dax. On en voit encore aujourd’hui des restes. On remarque aussi des vestiges de camps romains, entre autres celui qui se trouve entre Gamarde et Saint-Geours-d’Auribat. On verra plus loin que Saint-Sever prétend aussi prendre pour son point de départ un camp de César.
A l’ouest de Soustons, arrondissement de Dax, auprès de la côte, s’élève un mamelon artificiel, qu’on suppose avoir formé l’extrémité d’un vaste camp retranché opposé aux pirates. Quant aux monuments ils sont rares. Outre le temple de Mars, dont Mont-de-Marsan tire son nom, on a découvert en 1736, dans la paroisse de Saint-Michel-de-Jouarare, les restes d’un édifice qui fut, dit-on, un temple de Jupiter (Jovis ara) ; on y a trouvé un grand nombre d’urnes cinéraires, de lacrymatoires, de vases, de lampes, de tronçons d’armes, de pièces de monnaie et de médailles ; ailleurs, des tombeaux, des autels votifs. Néanmoins , on peut dire que les monuments romains sont rares dans le département.
Les Landes, d’abord comprises par les Romains dans l’Aquitaine, firent partie de l’Aquitaine troisième ou Novempopulanie, lorsque la Gaule fut partagée en dix-sept provinces, et le christianisme y pénétra au IIIe siècle.
Les barbares, qui, à partir de l’an 406, traversèrent la Gaule et s’enfoncèrent dans l’Espagne, effleurèrent dans leur invasion le pays qui nous occupe. Les Wisigoths y établirent leur domination, que celle des francs remplaça après la bataille de Vouillé. Celle-ci, assez mal établie dans une contrée si lointaine, fut à son tour ébranlée, à la fin du VIe siècle, par l’invasion des Vascons ou Gascons. Ces montagnards, remontant la vallée de l’Adour, s’y établirent et de là se répandirent dans toute l’Aquitaine.
Depuis ce temps, les Landes appartinrent aux dues de Gascogne, et sous ces ducs à un certain nombre de seigneurs leurs vassaux. Après la terrible invasion des Arabes, dont ce pays eut à souffrir et que Charles Martel dispersa en 732, l’empire carlovingien enveloppa cette partie de la Gaule, comme toutes les autres, dans son unité. Quand de ses ruines sortit le régime féodal, le principal fief qui s’éleva dans les Landes fut la vicomté d’Albret. Plus loin, nous parlerons de la modeste bourgade d’où sortit cette brillante et glorieuse famille. Le premier vicomte d’Albret dont le nom soit connu est un certain Amanjeu, qui vivait au XIe siècle. Ce nom, au reste, fut porté par un grand nombre de ses descendants et successeurs. Parmi lesquels on rencontre aussi plusieurs Bernard.
Après le mariage d’Éléonore de Guyenne avec Henri II, roi d’Angleterre, le pays des Landes passa à la maison de Plantagenet. Pendant longtemps, les rois anglais y dominèrent, grâce à leur habile politique ; mais tous les seigneurs ne s’accommodèrent pas de cette domination, notamment les d’Albret, qui, après avoir porté le titre de vicomte, l’échangèrent contre celui de sire, plus modeste, mais’ qui ne servait qu’à déguiser une ambition toujours croissante. Ils agissaient en cela comme les sires de Coucy, qui, n’osant prendre le titre de prince et dédaignant tous ceux qui venaient ensuite , se mettaient en quelque sorte hors de la hiérarchie féodale par une orgueilleuse humilité.
L’Albret ne tarda pas à envelopper la plus grande partie du département actuel des Landes en même temps qu’il s’étendait sur les pays circonvoisins. En 1401, Charles Ier, fils d’une princesse de la maison de Bourbon, s’attacha à la cour de France, imitant les Armagnacs et reconnaissant comme eux que la royauté était désormais l’astre d’où émanait tout éclat et toute puissance. Il obtint l’honneur d’écarteler les armes de France avec celles de sa maison, qui étaient d’or plein, et devint connétable de France.
Mais il ne fit pas un usage heureux de. l’épée fleurdelisée qui lui avait été confiée, car c’est lui qui perdit la bataille d’Azincourt. Au reste, il y fut tué et, par sa mort, expia sa défaite. Charles II, son fils, proche parent des Armagnacs, suivit leur parti dans les guerres du XVe siècle. Il eut trois fils : l’aîné lui succéda ; le deuxième fut décapité ; le troisième forma la branche des seigneurs de Miossens et de Pons, qui s’éteignit en 1676 et dont les biens passèrent dans une branche de la Lorraine-Armagnac.
Jean, son arrière-petit-fils par son fils aîné, épousa Catherine de Foix, soeur et héritière de Gaston-Phoebus, et devint roi de Navarre (1494). Il fut dépouillé d’une partie de ses nouveaux États. Mais sa famille se releva, d’a-bord par l’érection de l’Albret en duché-pairie sous François Ier, beau-frère de Henri d’Albret, puis par le mariage de Jeanne, fille de Henri, avec Antoine de Bourbon. De ce mariage naquit Henri IV, qui réunit ses domaines à la couronne de France. Plus tard (1652), Louis XIV rétablit la pairie d’Albret en faveur de la maison de Bouillon.
A peine sorti de la guerre de Cent ans, le pays des Landes fut agité par les luttes religieuses du XVIe sicle les protestants, grâce à la protection de Jeanne d’Albret, la mère de Henri IV, s’y organisèrent militairement ; mais les catholiques leur opposèrent Montluc, et, de part et d’autre, il se commit les plus grands excès, jusqu’à la pacification générale, amenée par l’édit de Nantes.
Depuis ce temps, à part un moment d’agitation sous la Fronde, l’histoire de ce pays se confond avec celle de la France. Sous la domination anglaise, les Landes dépendaient judiciairement du grand sénéchal qui présidait à Bordeaux la cour du roi. Du reste, les villes, comme autant de petites républiques, administraient elles-mêmes leurs finances, leur police intérieure, leur milice particulière et, dans plusieurs cas, la justice civile et criminelle.
Les rois de France respectèrent d’abord ces privilèges, mais ensuite ils les supprimèrent peu à peu et transportèrent à leurs officiers la plupart des droits dont les villes avaient joui auparavant. Ces officiers étaient, dans l’origine, des commissaires aussi nombreux qu’il y avait de parties dans l’administration.
Henri II, en 1551, réunit ces diverses attributions dans les mains des commissaires départis, qui prirent, sous Louis XIII, le nom d’intendants du ministère, de la justice et de la police. L’intendant veillait à l’égale répartition de l’impôt, à la culture des terres, à la prospérité du commerce, à l’entretien des chemins, à la réparation des édifices publics, à l’emploi des revenus des villes et des communautés, à la distribution des troupes dans la province, à l’approvisionnement des magasins du roi, à la levée des milices. C’est de lui que le ministère recevait tous les renseignements sur l’état de la province, ses ressources, ses charges, ses pertes, ses débouchés, etc.
Comprises, avant la Révolution, dans le gouvernement de la Guyenne, comme toute la Gascogne, les Landes formèrent, en 1790, un département dont la circonscription embrassa les pays désignés alors et encore aujourd’hui sous les noms de haute et basse Chalosse (Saint-Sever), de Marsan (Mont-de-Marsan), de Tursan (Aire), de Gabardan (Gabarret), du Maransin (Saint-Michel), d’Albret ou des petites Landes (Albret), enfin des grandes Landes, dans la partie occidentale, le long de la mer.
Triste est l’aspect des Landes encore au XIXe siècle, au moins dans la plus grande partie du département. La Chalosse, les vallées de l’Adour et de la Midouze, enfin toute la zone qui borde les Pyrénées sont, à la vérité, très fertiles et réjouissent l’œil par d’agréables et verts coteaux ; mais, quand on s’avance vers la mer’ et la Garonne, ce ne sont plus que des dunes onduleuses, stériles, envahissantes quand le vent les roule de l’ouest à l’est, dangereuses pour le voyageur quand, oubliant de suivre les sommités du terrain et descendant imprudemment dans les lèses ou vallons, il se laisse glisser dans les blouses, ces lacs perfides dont les eaux se cachent sous le sable.
Que n’a-t-on accepté, au XVIe siècle, l’offre des Maures chassés d’Espagne, lorsqu’ils demandèrent la permission de s’établir dans nos Landes ! Cette industrieuse nation eût peut-être fait de ce désert une fertile province. Ce n’est que de nos jours que l’homme s’est trouvé de force à lutter contre la nature. Un inspecteur général des ponts et chaussées, M. Brémontier, a trouvé le secret d’arrêter les envahissements des sables. Le littoral s’est partout couvert de belles plantations dont l’humidité favorise le développement.
Au XIXe siècle, on se disait qu’il faudrait bien du temps avant que la lande rase ait cessé d’offrir au regard attristé, pendant l’été, la nudité des déserts d’Afrique, pendant l’hiver l’humide et froide surface des marais de la Sibérie ; avant que l’industrie ait réuni et multiplié par ses travaux, par la canalisation, par l’appropriation des cours d’eau, les cultures isolées que le voyageur rencontre à de longues distances comme autant de fécondes oasis. On affirmait qu’il faudrait aussi du temps avant que le Landais ait changé son genre de vie grossier et ce caractère mélancolique et triste, reflet de son triste pays.
On ne parlait ni du propriétaire qui vit de ses revenus dans l’aisance, ni du colon propriétaire, sorte de classe intermédiaire, mais du simple colon, formant la masse de la population, de cet être malingre couchant sur la paille ou dans sa charrette, se nourrissant d’un pain noir de seigle ou de maïs assaisonné de quelques sardines de Galice, et que cette vie malheureuse, aidée quelquefois par l’abus des spiritueux, condamnait à ne point vieillir. On disait que les Landais tenaient peu à la vie, cependant qu’ils accompagnaient les funérailles par des cris et des démonstrations exagérés. Usage singulier : les parents allaient à l’église, non au cimetière, et jadis hommes et femmes allaient se coucher pendant la sépulture, sans doute pour témoigner un excessif abattement.
L’anniversaire de la mort ou cap de l’an était célébré par un repas funèbre. Superstitieux, ils se signaient quand le vent gémissait dans ta bruyère ; car c’était le soupir d’une âme en peine. Ils croyaient aux fantômes courant la nuit dans les bois, au cri de l’orfraie passant sur leur tête, présage de mort pour un membre de la famille ; aux fées qui remplissaient d’or le vase qu’on dépose au pied du chêne sous lequel elles vont danser la nuit, et quand l’orage se préparait, ils disaient : « Voici le roi Arthur qui passe avec sa meute. »
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.