LA FRANCE PITTORESQUE
Histoire du département de la Haute-Loire
(Région Auvergne)
Publié le jeudi 28 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Sur les limites de l’Auvergne et du Languedoc s’élève un groupe de froides et rudes montagnes. Rien de sauvage et de grandiose comme l’aspect de cette contrée, où le voyageur rencontre, à chaque pas, des traces des révolutions physiques qui l’ont violemment agitée dans les temps anciens. Ce ne sont que rochers à pics basaltiques, aux flancs déchirés et dont les cimes, à défaut de végétation, sont hérissées de ruines, tristes et derniers restes d’antiques forteresses, qui semblent avoir été construites par une race de géants. C’est là, sur le versant occidental des Cévennes, qu’habitaient les Velauni, Vellavi ou Vellaviens, c’est-à-dire, en langue celtique, montagnards. Voisins des Arvernes, ils en étaient, suivant César, les clients : Velauni qui sub imperio Arvernorum esse consueverant.

Avant l’arrivée des Massaliotes, qui les premiers y pénétrèrent, on ne voyait point de routes dans ce pays, mais seulement quelques étroits sentiers perdus dans les rochers ou dans les ravins. Borné au nord par le pays des Arvernes ; au midi, par celui des Helviens et des Volces Arécomices ; à l’est, par celui des Ségusiens et des Allobroges ; à l’ouest, par le territoire des Gabales, le pays des Vellaviens n’avait pas moins, dit-on, de cent soixante-cinq lieues carrées. Ruessio, aujourd’hui Saint-Paulien, en était la capitale.

Comme tous les peuples primitifs, les Vellaviens vivaient de la chasse ou de la garde des troupeaux. Dans plusieurs communes du Velay, notamment au Puy, à Vals, à Saint-Julien, à Pradelles, à La Roche-Aubert, à La Terrasse, au Monastier, à Tarsac, etc., on voit encore des vestiges de leurs habitations. « Rien, dit l’auteur de l’Ancien Velay, rien ne saurait donner une idée plus exacte d’un vicus et de certains oppida dont parle César que la vue de ces roches disséminées dans les campagnes du Velay, et qui, jadis citadelles, servaient d’asile à des populations entières. »

Auguste affranchit les Vellaviens des liens qui les unissaient aux Arvernes. Alors, compris dans la première Aquitaine, ils formaient, suivant Strabon, une cité particulière. Peu à peu la civilisation romaine tempéra l’âpreté et la rudesse de ce peuple à demi sauvage. Ruessio, Icidmagus, Condate, Aquis Segete, où elle avait fondé des colonies, devinrent des cités florissantes. A ces sombres grottes, à ces rustiques huttes couvertes de chaume, enduites d’argile, et au fond desquelles les Vellaviens vivaient pêle-mêle avec leurs boeufs et leurs chèvres, succédèrent des palais, des villas, des temples, des cirques, des prétoires, des aqueducs. Des voies romaines s’ouvrirent dans tous les sens : la principale conduisait de Ruessio à Lugdunum, et, par un embranchement, à Mediolanum (Moingt, près de Montbrison). On l’appelait la via Bolena.

Bien que d’un abord difficile, ce pays n’en fut pas moins visité par les barbares. Après les Burgondes, qui prirent et pillèrent Brivas (Brioude), vinrent les Wisigoths, puis les Francs. On croit que les Sarrasins y pénétrèrent en 725. Après avoir ravagé l’Aquitaine, les Normands, en 863, envahirent le Velay, réduisirent en cendres Ruessio et en dispersèrent les habitants.

Dans les divers partages qui eurent lieu entre les rois francs et leurs héritiers, le Velay échut successivement à Sigebert, puis, en 506, à Théodebert II, et, plus tard, à Sigebert III. Sous Charlemagne, il eut pour gouverneur le comte Bullas.

S’il faut en croire la tradition, saint Georges l’un des soixante-douze disciples de Jésus-Christ et envoyé dans le Velay par saint Pierre, y aurait le premier prêché l’Évangile. « Pour lors, dit le père Eudes de Gissey, notre saint n’épargna rien contre le paganisme, baptisant à troupes les gentils, brisant les idoles, abattant les temples. » Dans un pré de Chaumel, sur les bords du ruisseau de Chalan, s’élève, sur une pierre renversée et entaillée, un fût de colonne : c’était, dit-on, un autel païen avant l’arrivée du glorieux saint Georges.

Quand l’apôtre eut converti les Vellaviens à la foi chrétienne, sa première oeuvre fut de renverser la pierre maudite ; il le fit même avec une telle colère, ajoutent les gens du pays, qu’on voit encore, sur la pierre, les marques de sa crosse et celles de ses pieds. A saint Georges succéda saint Macaire, puis saint Marcellin, qui rendait, dit-on, la parole aux muets, l’ouïe aux sourds, la vue aux aveugles, et chassait le malin esprit du corps des possédés. Au IXe siècle, l’église du Velay était puissante et renommée ; ses évêques, grâce aux libéralités des rois et des empereurs, jouissaient de grands privilèges. Sur les ruines des temples païens s’élevaient de riches abbayes ou des chapelles, célèbres par les miracles qui s’y opéraient. Notre-Dame-du-Haut-Solier, dans la Civitas Vetula, et l’Oratoire des Anges , sur le mont Anis, attiraient de nombreux pèlerins.

C’est dans le Velay que devait se tenir le concile convoqué par le pape Urbain II au sujet de la première croisade ; mais le pape ayant changé d’avis, le concile s’assembla à Clermont (1095). Néanmoins, le Velay prit une grande part à la sainte entreprise. On sait que Raymond, comte de .Toulouse, et Aymar de Monteil, évêque du Puy, en furent les chefs. Homme d’église et homme d’épée, fils d’un seigneur dauphinois, élevé dans le métier des armes, Aymar fut choisi par le pape pour le représenter. Il partit à la tète de quatre cents enfants de sa ville épiscopale. C’est lui qui, après la prise d’Antioche, en juin 1098, releva le courage des croisés, lorsque le sultan de Mossoul, Kerbogha, vint les assiéger dans leur nouvelle conquête, accompagné de Kilidje-Arselan, sultan des Turcs Seldjoucides, avec une armée de 200 000 combattants.

On prétend que ce fut un prêtre du Velay, du nom de Pierre Barthélemy, qui découvrit, après une révélation divine, la sainte lance qui avait jadis percé le sein de Jésus-Christ, et dont la vue ne contribua pas peu à relever le moral de l’armée, déjà décimée par la désertion, la disette et les maladies. Lés Turcs furent défaits sous les murs d’Antioche, ce qui augmenta la ferveur des gens de la langue d’oc ; mais ceux de la langue d’oil niaient le miracle de la sainte lance.

Aymar, évêque du Puy, qui semblait partager leur avis, mourut alors, et l’on ne manqua pas d’attribuer cette catastrophe, que rendaient toute naturelle la disette et l’épidémie, à une juste punition du ciel. Il mourut, dit un chroniqueur, et moult fut pleuré ; mais ruai lui avait pris de douter de la sainte lance, car la nuit de sa mort il apparut à Pierre Barthélemy et lui dit qu’il avait été conduit en enfer. « Là, ajoutait-il, j’ai été flagellé très rudement, et mes cheveux et ma barbe ont été brûlés. » Tel fut, suivant la légende, le châtiment d’Aymar.

Cependant, de grands débats s’étant élevés à cette occasion, et ceux de la langue d’oil persistant à méconnaître le miracle, Pierre Barthélemy s’offrit pour subir l’épreuve du feu ; il en mourut, disent les historiens français de la croisade, et la sainte lance demeura fort discréditée. Les Provençaux soutiennent, au contraire, qu’il triompha de cette terrible épreuve, et que les spectateurs enthousiasmés, le regardant comme un saint, se précipitèrent à l’envi sur lui pour toucher ses vêtements ; si bien qu’il fut renversé à terre, foulé aux pieds, et qu’il eût péri sans l’assistance d’un chevalier.

Après les croisades vinrent les guerres féodales. Chaque montagne du Velay avait son château crénelé, redoutable retraite d’où le châtelain envoyait ses hommes d’armes piller et ravager le pays. Au commencement du XIIIe siècle, Armand de Polignac et ses deux fils, Héracle et Pons, avaient fait bâtir aux abords des principales routes des tours d’observation, où des archers veillaient nuit et jour, prélevant sur tout ce qui passait un droit de péage. Voyageurs, pèlerins, marchands, nul ne pouvait s’y soustraire.

A l’exemple des sires de Polignac, les autres seigneurs du Velay se retranchèrent sur plusieurs points, et prirent à leur solde des compagnies armées. La terreur fut grande dans le pays ; le citadin n’osait sortir de ses murailles, le paysan de sa chaumière ; l’étranger ne s’aventurait qu’en tremblant à travers les montagnes. Un coupe-gorge, voilà ce que les seigneurs avaient fait du Velay au moyen âge Pierre III, évêque du Puy, fit un appel à ses vassaux et réprima les brigandages des châtelains. Héracle et Pons de Polignac s’engagèrent à livrer trente chevaliers comme otages ; mais, loin de. tenir leurs promesses, ils recommencèrent leurs spoliations. Cette fois, l’évêque en appela au roi Louis VII qui vint en personne châtier les tyrans du Velay.

A la mort de Pierre III, nouveaux troubles. Plus accommodant que son prédécesseur, Pierre IV, après avoir anathématisé le sire de Polignac, se réconcilia tout à coup avec lui. Cette paix n’était qu’un piège. Adalbert, évêque de Mende, s’en plaignit au roi : « Paix a été faite entre l’église du Puy et le vicomte de Polignac, lui écrivait-il ; mais cette paix, qui n’en est pas une, est un dangereux exemple, qui met en péril l’Église de Dieu. L’évêque du Puy, comme la dignité et la justice l’exigeaient, avait d’abord excommunié le vicomte, à cause de ses exactions sur les voies publiques ; cependant, à cette heure, l’église ancienne et le vicomte de Polignac se sont réunis et ont conclu entre eux une ombre de paix, en vertu de laquelle ils partagent les produits des péages et des rapines, de telle sorte que l’église participe aux spoliations pour lesquelles elle avait excommunié le vicomte, et qu’un secret amour du gain lui a fait approuver à son profit ce qu’elle avait condamné quand elle n’y avait pas d’intérêt... Ils veulent changer l’ordre des choses, ajoutait le digne prélat, et faire du temple de la mère de Dieu, qui doit être l’asile des affligés, une caverne de voleurs. Ceux qui ont été établis pour pleurer sur les souffrances du peuple, ceux qui lui remettent ses fautes, se sont préparés à se réjouir de ses larmes et à remplir leur bourse des produits du vol ; mais la justice de notre seigneur le roi s’étend sur tous ces hommes ; plaise au ciel qu’ils reconnaissent la vanité de leurs projets ! »

Alors le roi se trouvait à Souvigny : il y manda le vicomte et l’évêque. Tous deux protestèrent qu’ils n’avaient eu en vue, dans cette paix, que le bien de l’Église. Mais comme il avait trompé l’évêque, Héracle trompa le roi. A peine de retour dans ses montagnes, en effet, il reprend les armes. Non moins violent que son frère, Pons se joint à lui. « Saisis d’un instinct diabolique, dit un chroniqueur contemporain, ils faisaient du pillage à main armée l’emploi ordinaire de leur misérable vie. » Ils allaient, en effet, détroussant les voyageurs, ravageant les villes et les campagnes, dévastant les églises et les abbayes. Selon eux, « c’estoit un abus insupportable que des gens si inutiles à l’État que festoient les moines égalassent les princes en richesses ; » et, pour y remédier, ils les volaient.

Alexandre III en écrivit au roi Louis VII, l’invitant à mettre un terme à tant d’excès. « Le très pieux roi, ému de compassion et de colère, ajoute le chroniqueur, rassembla aussitôt son armée ; et comme il estoit prompt à saisir la verge du châtiment, il se hâta d’aller combattre ces grands coupables. Il les atteignit sur le théâtre de leurs méfaits, les attaqua avec vigueur, en véritable prince qu’il estoit, et leur fit sentir la pointe de son épée. Les ayant vaincus, il les prit, les emmena avec lui, et les garda prisonniers jusqu’à ce qu’ils eussent juré et promis sous les plus fortes garanties de renoncer désormais et à toujours à inquiéter les églises, les pauvres et les voyageurs (1163-1165). »

Comme toujours, les sires de Polignac jurèrent et promirent ; mais se parjurer n’était pas ce qui leur coûtait le plus, et le Velay souffrit encore de leurs exactions. Après avoir ravagé les terres de l’abbaye de la Chaise-Dieu, ils se disposaient à en faire le siège, quand le retour de Louis VII dans le Velay les força de se retirer. Vainement ils se retranchèrent dans le château de Nonnette ; ne pouvant résister, ils se rendirent, « jurant, sur le salut de leur âme, qu’ils se soumettoient par avance à tout ce que le roi ordonneroit. » Le roi les ramena prisonniers à Paris.

Après trois ans de captivité, Héracle et Pons redevinrent libres ; mais Armand, leur père, qui les avait poussés à la révolte, fut condamné, par sentence arbitrale, à réparer tous les dommages qu’il avait causés à l’église du Puy, à restituer toutes les sommes que lui ou les siens, ses gens ou ses chevaliers avaient imposées sur les routes aux voyageurs, aux pèlerins et aux marchands. Ses fiefs furent confisqués au profit de la couronne, et sa personne déclarée prisonnière jusqu’à l’entière exécution de la sentence. Ces conditions étaient dures ; néanmoins le vieux châtelain s’y soumit et fut rendu à la liberté.

Après sa mort, ses fils, ne pouvant se résoudre à les exécuter, demandèrent et obtinrent qu’elles fussent modifiées. Pons, par un traité signé en 1173, eut : 1° la moitié de la leude et des autres produits de la ville du Puy ; 2° deux des quatre châteaux Ceyssac, Aynac, Saint-Quentin et Seneulh. On lui rendit les deux autres. Après avoir fait amende honorable à la ville et à l’église de Brioude et légué son château de Casse à l’abbaye, Héracle partit pour la terre sainte et y mourut. De son côté , Pons fit hommage de sa vicomté à I’évêque du Puy, et se retira dans une abbaye de l’ordre de Citeaux. Ainsi finirent ces terribles chefs de routiers.

Plus tard, en 1380, le Velay eut à souffrir du passage des grandes compagnies ; elles s’emparèrent de plusieurs châteaux. Bertrand du Guesclin, l’intrépide guerrier, vint leur faire la chasse. Les consuls du Puy lui envoyèrent « beaucoup de vaillantes gens tant à cheval qu’à pied, artilleurs, archiers, arbalestriers, et eu oultre force artillerie, traits, canons, pouldre, arcs, arbalestes, engins et telles autres munitions belliqueuses ; force pain, vin, victuailles, desquelles choses ledit connétable se tint très content. » On sait comment il mourut. On lui fit les funérailles d’un roi ; il fut enseveli à Saint-Denis. Son cœur fut donné à la Bretagne, sa patrie, et ses entrailles furent religieusement transportées au Puy, qui lui éleva un tombeau.

Au XVe siècle, dans la guerre des Bourguignons et des Armagnacs, le Velay resta fidèle au roi. Bien qu’elle eût fort à souffrir, la ville du Puy envoya « vers monseigneur le Dauphin dix notables pour lui offrir toute obéissance de corps et de biens jusqu’à la mort. » Cependant, les Bourguignons, ayant à leur tète le sire de Rochebaron, voulurent se rendre maîtres du Velay. Ils s’emparèrent de plusieurs points importants et s’avancèrent jusque sous les murs du Puy ; mais les seigneurs du Velay l’avaient mis à l’abri de toute surprise. Après un long siège, « voyant que guière ne pouvoient profiter, vu que la ville estoit moult bien garnie de gens de défense pour leur résister, ils (les Bourguignons) s’en retournèrent à honte et à confusion, et allèrent parmi le pays faisant maux indicibles. »

Sous la domination des Wisigoths ariens, le Velay était resté catholique ; il persévéra dans sa foi pendant les longues et sanglantes guerres du XVIe siècle : Vainement Blacons, lieutenant du baron des Adrets, vint mettre le siège devant Le Puy ; il y trouva l’élite de la noblesse du Velay prête à défendre la ville. Ne pouvant pénétrer dans la place, les assiégeants vont s’emparer du château d’Espaly, dans le voisinage ; puis, se rapprochant de la ville, ils essayent de la prendre de vive force ; mais, repoussés vigoureusement, ils sont contraints de lever le siège.

Plus tard, en 1621, Blacons revint dans le Velay et y surprit Yssingeaux ; mais le curé, vieillard septuagénaire, se mit à la tète de ses paroissiens et chassa de la ville Blacons et ses bandes. Ces résistances vigoureuses arrêtèrent le progrès des idées nouvelles dans le Velay. Depuis plus d’un siècle, ce pays jouissait du plus grand calme, lorsque Mandrin y parut en 1754. Après avoir rançonné les campagnes, il entre au Puy, pille la maison du capitaine général des fermes, force les prisons, enlève plusieurs détenus, et se retire chargé de butin. Bientôt il tente une seconde expédition dans le Velay. Attaqué, cette fois, par cent hommes de cavalerie, il parvient à leur échapper à la faveur de la nuit, et se réfugie en Savoie.

Pendant la guerre de 1870-1871, ce pays a envoyé son contingent de mobiles à l’armée de la Loire.

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