L’histoire de ce département n’égale pas en intérêt celle de quelques autres, que leur situation, leur richesse ont mêlés davantage aux grands événements. Ce pays de montagnes, caché au centre de la France, a eu une existence plus modeste et plus obscure. A cheval sur la chaîne des monts du Morvan (Mar, noir ; vand, montagne), qui se détache des montagnes de la Côte-d’Or, possédant à la fois les sources de l’Yonne et une partie de la rive droite de la Loire, son histoire et ses intérêts se trouvent engagés également dans les deux bassins de la Manche et de l’océan Atlantique. Mais son influence ne rayonna bien loin ni d’un côté ni de l’autre.
Au temps des Gaulois, son territoire était occupé, pour la plus grande partie, par les Éduens (Aeligdui), et, pour la partie nord-ouest, entre Clamecy, Cosne et La Charité, par les Sénonais (Senones). Quelques dolmens ou menhirs encore debout, quelques haches en pierre trouvées dans le sol, voilà tout ce qu’a laissé dans le pays l’époque druidique.
César vint, et deux fois s’en rendit maître. L’administration romaine eut grand souci d’un pays si voisin du centre de partage des eaux de la France, si propre à établir des postes militaires inexpugnables, et enfla situé sur la route d’Autun à Bourges, deux des plus grandes villes de cette époque. Aussi trouve-t-on de nombreux vestiges de voies, de camps romains. Le sommet du mont Beuvray, particulièrement, était un centre où aboutissaient plusieurs routes. Des savants ont prétendu que l’ancienne Bibracte était située sur un plateau élevé de 680 mètres au-dessus de la mer. Une levée de terre circulaire semble indiquer, en effet, ou une ancienne ville gauloise, ou un camp romain.
Le camp est plus probable. Il y en avait un autre à Saint-Sauges, dont les traces sont encore visibles, et Château-Chinon possède les ruines d’un fort bâti par les Romains. Mais les plus curieux débris de ces temps sont les ruines d’une ancienne ville trouvée à Saint-Révérien ; l’amphithéâtre de Bouhy, des fragments de statues, de cippes trouvés à Entrains, et surtout les thermes de Saint-Honoré.
Les eaux thermales et minérales que toute cette région doit à sa nature volcanique, étaient sans doute une des causes les plus actives qui attiraient les Romains. Les thermes de Saint-honoré, dont la découverte s’est complétée en 1821 par des fouilles faites au pied même des montagnes du Morvan, sont remarquables par une salle de bains toute revêtue de marbre, au milieu de laquelle trois réservoirs donnent une eau abondante, et par les nombreuses et brillantes habitations dont les Romains avaient orné cette petite ville.
Ils y fondèrent même un hospice militaire où les bains se prenaient dans dix-neuf bassins aujourd’hui rendus à la lumière. Si l’on en croit Gui Coquille, savant magistrat du pays même, la plupart des noms en y de la province seraient dérivés de noms latins par la transformation suivante : villa Cecilii, Cézilly ; Germanici, Germancy ; Cervini, Corbigny ; Cassii, Chassy ; Sabinii, Savigny ; Ebusii, Bussy, etc. La terminaison fréquente nay viendrait de la terminaison non moins fréquente chez les latins anum : Lucianum, Lucenay ; Casianum, Chassenay ; Appianum, Apponay ; etc.
C’est sous la domination romaine que cette province, comme presque toutes celles de la Gaule, reçut le christianisme prêché par saint Révérien et le prêtre saint Paul, qui furent martyrisés à Nevers en 274. Saint Pèlerin, apôtre de l’Auxerrois, vint presque aussitôt après enseigner l’Évangile aux habitants du district d’Entrains, où il eut à lutter contre les prêtres d’un temple de Jupiter élevé dans ce pays. Pèlerin finit aussi par le martyre ; car, Dioclétien étant devenu empereur, il fut persécuté comme tous les chrétiens, enfermé dans un souterrain et enfin massacré.
La domination des Burgondes, établie sous Honorius dans le sud-est de la Gaule, comprit le Nivernais. Les Francs survinrent, et Clovis, à l’occasion de son mariage avec Clotilde, s’en empara. A sa mort (511), ce fut le roi d’Orléans qui eut le Nivernais. Sous les derniers Mérovingiens, sous les premiers Carlovingiens, la province suit le sort du reste de la Gaule. Louis le Débonnaire la donne ensuite à Pépin, roi d’Aquitaine, dans le partage qu’il fait de ses États en 817, et elle est de nouveau entraînée dans les vicissitudes des grands événements de l’époque ; elle souffre de tous ses maux.
Rien ne donne une plus terrible idée des ravages des Normands, que de voir ces pirates barbares porter la désolation jusque dans le Nivernais, au coeur même de la France. Nevers eut cependant pour comte le fameux Gérard de Roussillon, héros de tant de romans de chevalerie. Mais Gérard se brouilla, en 865, avec Charles le Chauve, qui transféra son comté, avec l’Auxerrois, à Robert le Fort.
Puis, les liens de l’obéissance à l’autorité royale se relâchant de plus en plus, à la fin du même siècle, le Nivernais fit partie des domaines du duc de Bourgogne, qui le donnait à gouverner à des comtes de son choix. L’un de ces comtes, Rathier, suivant une tradition, fut accusé par un certain Alicher d’avoir violé la femme du duc, son suzerain ; le procès se plaida par le combat judiciaire, et déjà Rathier avait enfoncé son épée dans la mâchoire inférieure de son adversaire, quand celui-ci le frappa d’un coup mortel. Le suzerain offensé et vengé était alors Richard le Justicier. Il donna le fief à un certain Séguin.
Henri le Grand en investit ensuite Otto-Guillaume, fils d’Adalbert, roi d’Italie, qui, en 992, le donna en dot à sa fille Mathilde, en la mariant avec Landry, sire de Metz-le-Comte et de Monceaux. C’est de ce moment que date l’existence séparée du Nivernais. Il eut ses comtes distincts, en même temps comtes d’Auxerre. Les autres petits seigneurs du pays, vassaux du comte, se fortifiaient à la même époque dans leurs châteaux et se rendaient presque indépendants, faisant à l’égard des grands vassaux ce que les grands vassaux faisaient à l’égard du roi.
Maintenant nous sommes en pleine vie féodale. Guerres continuelles, de voisinage, à droite, à gauche, principalement avec les ducs de Bourgogne à propos du comté d’Auxerre. Le plus remarquable des comtes de Nevers dans cette période est Guillaume Ier (1040). Le chroniqueur assure qu’on ne trouverait pas, dans toute sa vie, une seule année de paix. Autour de lui, il entretenait sans cesse cinquante chevaliers, et cela ne l’empêchait pas d’avoir toujours 50 000 sous d’argent dans ses coffres, ce qui est assez remarquable pour l’époque. II battit le fils du duc de Bourgogne. Moins heureux lorsqu’il porta secours au roi de France contre le seigneur du Puiset, il fut fait prisonnier au siège de ce château qui tint en échec la faible royauté de ce temps.
Vers la fin de ce siècle, le Tonnerrois fut réuni par héritage au Nivernais et à l’Auxerrois, et Guillaume II porta le titre de comte d’Auxerre, de Nevers et de Tonnerre. Ce Guillaume partit, en 1101, avec 15 000 hommes pour la Palestine, passa par Constantinople, perdit à peu près tout son monde en Asie Mineure, et arriva presque nu à Antioche, d’où il revint en Europe.
Il fut un des fidèles alliés de Louis le Gros. Comme il revenait de combattre le fameux Thomas de Marie, sire de Coucy, il fut fait prisonnier dans une rencontre avec Hugues le Manceau qui le livra au comte de Blois. Celui-ci le tint quatre ans enfermé dans son château avec une opiniâtreté qui résista longtemps aux sollicitations de la plupart des puissances de l’époque. On s’est demandé la cause d’un tel acharnement, et peut-être la trouverait-on dans le mécontentement que devait exciter chez certains seigneurs la persistance des comtes de Nevers à aider les progrès de la royauté.
L’existence des comtes de Nevers fut assez agitée à cette époque. C’est Guillaume III qui accompagne Louis VII en terre sainte et qui va ensuite en pèlerinage en Espagne. C’est Guillaume IV qui voit son comté dévasté par les comtes de Sancerre et de Joigny et qui réussit à les battre à La Marche, entre Nevers et La Charité (1163). Cette guerre lui avait coûté fort cher ; il avait fait des dettes ; comment les payer ? Or, écoutez comment s’y prenait un débiteur féodal pour rétablir ses finances.
La ville de Montferrand passait pour très riche et renfermait, disait-on, un magnifique trésor. Guillaume prend la route de Montferrand, se jette sur la ville, la pille et emmène le seigneur du lieu en disant aux habitants qu’il le leur rendra quand ils auront payé une certaine somme. Un peu plus tard, on le voit marcher sous la bannière du roi Louis le Jeune contre le comte de Châlons.
Puis, pour expier tous ses péchés, il va en terre sainte et meurt à Saint-Jean-d’Acre. Le clergé ne lui sut aucun gré de cette dévotion tardive, et Jean de Salisbury, écrivant à l’évêque de Poitiers, lui fait cette triste oraison funèbre qui pourrait aussi bien s’appliquer à la plupart des seigneurs féodaux de ce temps : « Ce n’est ni par les traits des Parthes ni par l’épée des Syriens qu’il a péri ; une si glorieuse fin consolerait ceux qui le regrettent ; mais ce sont les larmes des veuves qu’il a opprimées, les gémissements des pauvres qu’il a tourmentés, les plaintes des églises qu’il a dépouillées, qui sont cause qu’il a échoué dans son entreprise et qu’il est mort sans bonheur au champ de la gloire. »
De tous ces comtes aventureux, le plus célèbre et le plus malheureux fut Pierre de Courtenay. Il n’était comte de Nevers que par sa femme. En effet, avec Guillaume V s’était éteinte la descendance mâle, et le fief avait fait retour à la couronne. Philippe-Auguste eut la générosité de le rendre à Agnès, soeur de Guillaume V, à laquelle il fit épouser Pierre de Courtenay, petit-fils de Louis le Gros, et, par conséquent, de sang royal.
A la mort d’Agnès, Pierre continua de gouverner le Nivernais, comme chargé de la garde-noble de ce fief pour sa fille Mahaut, que le roi de France maria plus tard avec Hervé, sire de Gien. A ce moment, Pierre de Courtenay se retira dans ses autres domaines. Quelque temps après, appelé au trône de l’empire latin de Constantinople, il partit pour en prendre possession ; mais un Comnène qui régnait en Épire l’arrêta par trahison, et le tint si bien prisonnier qu’on n’eut plus jamais de nouvelles de son sort.
Les comtes de Nevers et Pierre de Courtenay, le premier de tous, se montrèrent libéraux dans la question communale. Nevers, Clamecy (voyez ces villes) obtinrent des franchises. Des règlements furent publiés, d’accord avec les principaux barons du pays, pour protéger les agriculteurs dans leurs travaux, pour faciliter les mariages des femmes serves avec les hommes des autres seigneurs, sauf toutefois l’autorisation de leur propre seigneur, enfin pour maintenir la paix publique, et le bannissement fut prononcé contre quiconque, ayant détruit ou incendié une maison, refuserait la réparation exigée.
L’intervention de la royauté n’était donc pas fort impérieusement réclamée par l’intérêt des peuples dans ce pays. Mais la royauté, encore plus guidée par l’ambition d’un pouvoir qui sent croître ses forces que par ce beau motif du bonheur des peuples, intervenait partout.
En 1280, un arrêt du parlement interdit aux comtes de Nevers de créer des nobles. C’était le temps de l’impitoyable Philippe le Bel. Par un nouvel arrêt du parlement, le comte de Nevers se voit confisquer ses comtés de Nevers et de Rethel pour avoir refusé de venir se justifier, en cour des pairs, de quelques violences contre le clergé et la noblesse de son fief. Il est vrai que, sous Louis le Hutin, la féodalité regagne du terrain, et ce roi promet, en 1316, par lettres patentes, de ne plus permettre les empiétements de ses officiers sur la juridiction des comtes de Nevers.
Une nouvelle famille de comtes était encore une fois venue s’asseoir sur le siège comtal de Nevers. Yolande, seule héritière (1272), avait épousé Robert de Dampierre, qui fut quelque temps comte de Nevers par sa femme, et, après la naissance de leur fils,. Louis Ier continua de gouverner le fief. Lui-même devint comte de Flandre. Philippe le Bel accusa Louis de Nevers d’avoir soulevé les Flamands, et le fit emprisonner.
Rendu à la liberté, il en usa pour contester à Philippe le Long son droit de succession au trône, de concert avec le duc de Bourgogne, le comte de Joigny, etc. Un arrêt du parlement confisqua toutes ses seigneuries, qui lui furent peu après rendues. Louis II épousa la fille de Philippe le Long, et devint, du chef de son grand-père et de son père, comte de Flandre et de Nivernais (1322). On l’appelle souvent Louis de Crécy, parce qu’il mourut à la bataille de Crécy, en 1346.
Le Nivernais souffrit alors de l’invasion des Anglais. Ils le ravagèrent après la bataille même de Crécy, et, dix ans après, à l’époque du désastre de Poitiers, ils s’emparèrent de La Charité, d’où leurs partis désolèrent la province. En 1359, elle fut obligée de se racheter d’un nouveau pillage, lors du passage de l’armée conduite par Édouard III.
Louis III de Male avait obtenu de Philippe de Valois des lettres patentes qui érigeaient en pairie viagère les comtés de Nevers et de Rethel. Il ne laissa qu’une fille, Marguerite, qui épousa Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et lui porta à la fois la Flandre et le Nivernais. Les deux époux détachèrent le comté de Nevers et le donnèrent à l’aîné de leur fils, Jean (sans Peur) ; et celui-ci le céda à son frère Philippe, qui se fit tuer à Azincourt.
Les fils de ce Philippe moururent aussi, ne laissant qu’une fille, Élisabeth, et les Nivernais virent encore arriver un seigneur étranger ; c’était le duc de Clèves. Son petit-fils, François Ier, se distingua par ses talents militaires et obtint l’érection définitive du Nivernais en duché-pairie (1538).
Les seigneurs de Nevers firent alors exécuter un travail qui était bien dans l’esprit de cette époque de fusion, de centralisation, d’étude, c’est-à-dire la rédaction des coutumes de la province (1534), dont les états provinciaux (1490) avaient jeté les bases. Dans les guerres de religion, les Nivernais se montrèrent d’abord en majorité très catholiques et assez intolérants ; mais à la fin ils changèrent et se rallièrent à Henri IV. Leur pays fut, après Henri IV, le centre de cette nouvelle guerre folle que les seigneurs formèrent contre Marie de Médicis. La mort du maréchal d’Ancre apaisa tout.
La maison de Gonzague possédait alors le Nivernais depuis le mariage de Louis de Gonzague avec Henriette de Clèves, seule héritière (1565). Le cardinal Mazarin acheta le duché (1659), qui, à sa mort, passa à son neveu Philippe-Julien Mazarin, et sa maison l’a possédé jusqu’en 1789. Quelques-uns des derniers ducs de Nivernais se sont distingués au XVIIe et au XVIIIe siècle par leur esprit, leur goût pour la littérature. Le dernier de tous, à la fois auteur de gracieuses poésies légères et ambassadeur à Rome, à Berlin et à Londres, perdit ses biens à la Révolution, et sut vivre en sage, modestement, jusqu’en 1798.
Quant à la province, elle forma à peu près le département de la Nièvre. Auparavant, elle était un des trente-deux gouvernements militaires, et se divisait, pour l’administration, financière, en quatre élections, dont deux (Nevers et Château-Chinon), faisaient partie de la généralité de Moulins ; la troisième (Clamecy), de la généralité d’Orléans ; la quatrième (La Charité), de la généralité de Bourges.
Pour la justice, elle était comprise dans le ressort du parlement de Paris ; mais elle avait sa coutume écrite, dont on a parlé plus haut, sa chambre des comptes établie au nom du duc de Nivernais ; son hôtel des monnaies, qu’on faisait remonter à Charles le Chauve ; enfin ses Grands-Jours, institués en 1329 par Louis II, tribunal d’appel composé de « trois prud’hommes, un chevalier et deux gradués, pour juger les appeaux de Nivernais, tant des prévosts que des baillis, » avec pouvoir de juger, retenir ou renvoyer. Il y avait trois assises des Grands-Jours avant 1563 ; elles furent alors réduites à deux par un édit royal. Le Nivernais comptait 273 890 habitants.
On ne peut omettre, dans l’histoire du département de la Nièvre, celle du commerce tout spécial qui le fait vivre et l’enrichit, d’autant plus qu’elle présente des incidents assez curieux. Il s’agit du commerce des bois. Les hautes montagnes du Morvan attestent que les volcans ont remué ce sol ; et, en effet, si l’on perce la couche de sable qui le recouvre, on trouve un fond de basalte et de granit. Cette chaude nature du sol a produit de tout temps une riche végétation de forêts.
Si, aujourd’hui qu’on a tant exploité les bois, le département de la Nièvre en possède encore 204 000 hectares sur 6 millions qui existent en France, combien en devait-il être couvert lorsque la France entière, au XVIe siècle, en possédait 30 millions d’hectares ! C’est à cette époque, en effet, que le commerce se développant, les communications s’ouvrant de toutes parts, et Paris, de plus en plus peuplé, manquant de bois, les Nivernais imaginèrent d’expédier le leur à la capitale.
Une compagnie de marchands se forma sous la raison René Arnoult et compagnie, et des lettres patentes lui furent accordées, qui portaient « autorisation de flotter sur les rivières de Cure et d’Yonne, sans qu’il fût donné empêchement par les tenanciers et propriétaires ou autres possesseurs d’aucuns moulins, écluses, ou ayant droit de seigneurie, pêcheries ou autres, et défense au parlement de Dijon de s’immiscer dans les contestations sur le flottage des bois, attribuées spécialement aux prévôts et échevins de la bonne ville de Paris en première instance, et, par appel, au parlement de Paris. »
Le flottage dont il est ici question avait été, dit-on, déjà employé en 1490 sur la rivière d’Andelle ; mais c’est véritablement à Jean Rouvet que l’on attribue (1549) l’invention de ce moyen de transport au profit de la compagnie susdite. Son système consistait à retenir par écluses les eaux au-dessus de Gravant, puis à les lâcher en y jetant Ies bûches à bois perdu, pour les recueillir ensuite au port de Gravant, et les expédier de là, par trains, sur l’Yonne et la Seine jusqu’à Paris.
On retrouve l’usage de ce même procédé au XIXe siècle. Des étangs creusés à la tête de chacun des ruisseaux qui vont former ou grossir l’Yonne amassent l’eau ; dès qu’on lève les pelles, elle s’écoule avec impétuosité, et le torrent emporte les bûches ; les premières, la cataracte franchie, sont jetées à droite et à gauche du ruisseau inférieur et s’y arrêtent : c’est ce qu’on appelle border la rivière ; il ne reste plus alors qu’un goulet étroit, au milieu du cours d’eau, par où les autres sont emportées rapidement. On passe ensuite à l’opération qui s’appelle toucher queue, c’est-à-dire qu’on déborde le ruisseau et qu’on ramène dans le milieu les bûches égarées sur les rives, pour les envoyer rejoindre celles qui ont marché plus vite. Arrivées au port, elles sont toutes arrêtées, tirées de l’eau, triées selon les marques des divers marchands, et empilées jusqu’à la saison d’automne, qui permet d’en former des trains sur la rivière et de les envoyer ainsi à Paris.
Mais les marchands nivernais ne jouirent pas sans conteste des avantages qui leur avaient été accordés. Les propriétaires riverains se plaignaient de la servitude qui leur était imposée, du chômage que souffraient leurs moulins.
D’un autre côté, les marchands de Paris, favorisés par la juridiction parisienne à laquelle avaient été attribuées toutes les contestations en cette matière, se rendirent maîtres des prix ; et, en 1704, ils gagnaient 30 livres sur la corde de 36 livres 10 sols, tandis que, les frais déduits, il ne revenait aux propriétaires que 5 sols par corde. Les propriétaires, les marchands forains se liguèrent contre cette tyrannie et s’entendirent pour flotter à leur gré, quelques-uns même pour conduire des trains jusqu’à Paris.
L’autorité intervint. Le subdélégué de l’hôtel de ville de Paris résidant à Auxerre se rendit sur le port de Clamecy avec une brigade à cheval et se vit entouré d’une foule menaçante de 5 ou 600 personnes, qui s’armèrent de bâtons et de bûches prises dans les piles, qu’ils aiguisaient par le bout.
« Allons , s’écriaient-ils , marchons, allons à la guerre ; mourir aujourd’hui ou mourir demain, cela est égal ; voilà de beaux hommes bien habillés ; il faut les f..... à la rivière. » Le subdélégué leur défendit de toucher aux piles. « Eh ! monsieur, lui dit l’un d’eux, je n’aurais. qu’à rencontrer un chien enragé. » L’exaspération allait croissant, les bâtons étaient levés ; ne se sentant pas en force pour lutter, l’officier public se retira et dressa le procès-verbal où ces détails sont écrits.
Depuis, le flottage fut libre, une rivalité existant cependant entre les marchands nivernais et ceux de Paris , le ministre de l’intérieur ayant dû intervenir en 1850 pour régler le partage des flots de l’Yonne.
Durant la guerre franco-allemande de 1870-1871, l’invasion s’arrêta aux limites mêmes de ce département, et, dans le tableau général des pertes éprouvées par les départements envahis, la Nièvre n’a été comptée que pour la somme insignifiante de 5 618 francs.
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