Le département du Nord, formé, en 1790, de la Flandre française, du Cambrésis et de la partie occidentale du Hainaut français, fut peuplé, à une époque dont la date est incertaine, par les Celtes, habitants primitifs du sol gaulois.
Deux siècles environ avant notre ère, quatre grandes tribus d’origine germanique envahirent ce territoire, refoulèrent les anciens habitants et s’établirent : les Ménapiens au nord-est, les Morins au nord-ouest, les Atrébates au sud-ouest (il sera particulièrement question de ceux-ci au département du Pas-de-Calais) et les Nerviens au sud-est. Aucun des principaux établissements fondés par ces peuples n’appartient au département du Nord, et la contrée continua à rester couverte de vastes forêts, de marécages, à présenter un aspect de désolation sous un ciel brumeux, attristé par les plaintes continuelles d’un vent glacé, et au milieu des empiétements et des inondations des eaux de la mer.
Les peuplades conquérantes conservèrent sous cet âpre climat, et par le contact avec les autres Germains, le caractère guerrier de leurs ancêtres ; aussi, lorsque César envahit les Gaules, n’éprouva-t-il nulle part plus de résistance que chez les Belges indomptables, à la taille gigantesque, à l’oeil bleu et farouche, à la chevelure blonde, dont il a vanté le courage dans ses Commentaires.
Par ses ordres, de grands abatis furent pratiqués dans les forêts et quelques villes, entre lesquelles on distingue Cambrai (Cameracum), commencèrent à s’élever ; mais, rebelles à toute tentative civilisatrice, les Morins et les Nerviens conservèrent leurs moeurs sauvages et indépendantes, pendant les cinq siècles de la domination romaine, et ne cédèrent qu’à d’autres barbares, Germains comme eux, les Francs, qui, dans la grande dissolution de l’empire, quittèrent les rives occidentales du Rhin pour s’avancer vers l’Escaut et envahir la Gaule.
Il n’est rien resté dans le pays de la période celtique ; mais les légions romaines ont laissé quelques traces de leur passage : ce sont des routes stratégiques, improprement appelées de nos jours chaussées de Brunehaut, et dont il ne subsiste que des tronçons à peine reconnaissables. Lorsque, en 445, le chef franc Clodion passa le Rhin et la Meuse et pénétra chez les populations belges, le christianisme, apporté pour la première fuis dans ces pays sauvages par trois martyrs, Piat, Chrysole et Eucher, commençait à s’y établir et à se régulariser.
Le chef franc s’empara de Cambrai et de Tournai, et fit massacrer tous ceux qui pratiquaient la religion nouvelle, Gallo-Romains pour la plupart. Après Clodion, Mérovée, l’allié d’Aétius contre les Huns, Childéric, puis son fils Clovis dominèrent sur une partie du territoire, conjointement avec d’autres chefs de tribu, leurs parents, Cararic et Ragnacaire, roi de Cambrai, que Clovis mit à mort pour s’emparer de leurs États, dans les dernières années de son règne (507-511). Ces nouvelles acquisitions du royaume franc firent naturellement partie de l’Austrasie et entrèrent dans le partage de Théodoric à la mort de Clovis, puis dans celui de Sigebert, après Clotaire Ier, en 561.
Lans les premières années du VIIe siècle, sous Clotaire II, vivait au fort de Buc, situé sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la ville de Lille, un homme riche et considéré dans tout le pays ; on le nommait Lyderic ; il sut gagner la confiance du roi franc, devenu tout-puissant par la mort de Brunehaut, et obtint le titre de comte forestier.
Cette dignité, qui indique que le pays était encore à cette époque couvert de bois, fut, dans l’origine, simplement bénéficiaire, c’est-à-dire à vie. Après ce premier gouverneur, l’histoire en mentionne encore deux autres, Lyderic II d’Harlebeke, sous Pépin, et Ingelram sous Charles le Chauve ; mais il faut aller jusqu’à la seconde partie du règne de ce prince, à l’année 863, pour trouver une suite de comtes certains et héréditaires, dans cette partie de la Flandre.
Balduin ou Baudouin, nom qui en langue teutonique signifie audacieux, succéda à Ingelram, son père, qui d’abord simple missus dominicus dans le pays, c’est-à-dire envoyé par le roi pour surveiller l’administration et la justice, avait fini par s’y établir ; mais son pouvoir était précaire et subordonné au caprice du roi Charles ; le Flamand, dans un séjour à la cour de son maître, séduisit sa fille Judith, l’enleva et obtint avec sa main le titre de marquis, qu’il légua, vers l’an 879, à son fils Baudouin Il le Chauve.
Le premier Baudouin, fondateur de la dynastie des comtes flamands, avait été un guerrier et un chrétien irréprochable ; on l’avait surnommé Bras de fer, et une légende populaire, consacrée par le récit de la chronique, racontait qu’il avait dû ce surnom à une lutte et à une victoire sur le diable. Un jour, assailli par l’esprit malin, qui avait voulu le précipiter dans l’Escaut, il l’avait repoussé par la seule force de son bras.
Les Normands commencèrent, sous Baudouin II, à envahir toute la Gaule, et ses États ne furent pas épargnés ; les incursions de ces pirates redoublèrent. sous son successeur ; ils remontaient l’Escaut et ses affluents à une telle hauteur, que les villes les plus éloignées de l’embouchure du fleuve n’étaient pas toujours à l’abri de leurs ravages.
Baudouin défendit énergiquement la Flandre ; la partie de ce pays qui nous occupe eut peu à souffrir des pirates. Parmi les autres faits de la vie de Baudouin, on signale sa lutte avec Héribert de Vermandois et l’archevêque de Reims, qu’il fit assassiner tous deux. Comme lui, son fils Arnoul le Vieux (919) fut cruel et se débarrassa de ses ennemis par le meurtre ; sous son gouvernement, en 953, une grande invasion hongroise traversa le Hainaut et la ville de Cambrai ; les barbares s’emparèrent de l’église de Saint-Géri, située hors de la ville et défendue par un grand nombre d’habitants, qui furent tous massacrés. Arnoul, pour expier les fautes de sa vie, consacra ses dernières années au Seigneur et entra dans un monastère, laissant le comté de Flandre à son fils Baudouin III.
Quand, peu de temps après cet acte de pénitence, il mourut (964), il y avait un siècle que la dynastie flamande régnait sur le pays. Baudouin III était mort avant son père ; il avait eu pour successeur son fils nommé Arnoul, comme son aïeul, et que, pour distinguer de lui, on a surnommé le Jeune. Ce comte se trouva mêlé aux derniers événements de la dynastie carlovingienne. Lothaire, fils et successeur de Louis d’Outre-mer, pour le punir de ce qu’il lui refusait hommage, envahit ses États, s’empara de Douai et ne se retira qu’avec un butin considérable.
Plus tard, Hugues Capet, après avoir pris le titre de roi des Francs, voulut faire acte de suzeraineté sur la Flandre ; le refus d’Arnoul entraîna une nouvelle guerre, le comté fut envahi et ravagé, et Hugues ne se retira qu’après que le Flamand se fût reconnu son vassal. Arnoul le Jeune, dont le gouvernement n’avait cessé d’être malheureux, laissa à un fils en bas âge, Baudouin Belle-Barbe, des États dépeuplés et appauvris par les invasions successives des Normands, des Madgyars, de Lothaire et de Hugues.
Le règne de ce Baudouin ne fut pas plus heureux que celui de son père ; des troubles agitèrent sa minorité, puis une guerre avec Godefroi, duc de Lorraine, entraîna des hostilités avec l’empire ; enfin la peste, les inondations, la terreur qu’inspira l’apparition d’une comète, la rébellion de son fils Baudouin le Jeune vinrent l’attrister.
La dynastie flamande, malheureuse sous ses deux derniers chefs, se releva avec Baudoin V de Lille, fils et successeur de Baudouin Belle-Barbe (1036). Fils rebelle et turbulent dans sa jeunesse, il devint un prince sage et résolu ; sa fille Mathilde épousa Guillaume le Bâtard, bientôt le Conquérant, duc de Normandie, et son fils consolida sa domination dans le pays par un mariage avec Richilde, comtesse de Hainaut. Ce fut à sa sagesse et à son habilité reconnues que Baudouin dut d’être nommé par Henri Ier, à sa mort, tuteur du jeune roi de France, Philippe (1060). Il profita de l’influence que lui donnait ce choix pour favoriser l’expédition de son gendre en Angleterre, par des secours d’hommes et d’argent. Il mourut quatre ans après, en 1070 ; ses dernières années furent employées en oeuvres pieuses ; il institua dans le bourg de Lille, alors de fondation récente, et encore peu considérable, mais dont il avait fait son séjour de prédilection, un chapitre de chanoines, devenu célèbre sous le nom de chapitre de Saint-Pierre. Il fut enterré à Lille, dans l’église qu’il avait fondée.
Baudouin VI, fils et successeur de Baudouin V, fut surnommé Baudouin de Mons, parce qu’il habitait cette ville de préférence, comme son père avait reçu le nom de Baudouin de Lille pour s’être fixé dans cette ville naissante. Son règne fut de courte durée ; mais les trois années qu’il porta : la couronne comtale furent pour la Flandre, si nous en croyons un chroniqueur contemporain, une époque de complète prospérité. La paix, la concorde, la sécurité étaient universelles ; il n’y avait plus ni voleurs ni assassins, les portes des villes et même des maisons particulières restaient ouvertes, et partout, disent les historiens du temps, se vérifiait cette prophétie : « Ils transformeront leurs épées en socs de charrue et leurs lances en faux. »
Mais les dissensions et la guerre intestine commencèrent aussitôt après sa mort ; il avait partagé la Flandre entre ses deux fils en bas âge, Arnoul et Baudouin, sous la tutelle de son frère, Robert le Frison ; leur mère, Richilde, s’empara de l’autorité au nom de son fils Arnoul et se rendit odieuse aux Flamands par ses exactions et ses violences ; une partie de la Flandre se déclara pour Robert ; une bataille eut lieu à Cassel.
Philippe, roi de France, avait conduit une armée au secours de Richilde et d’Arnoul ; les Flamands insurgés considéraient Robert le Frison comme leur chef national ; les hommes du roi de France et les partisans de la comtesse furent entièrement défaits ; le jeune Arnoul fut assassiné sur le champ de bataille par un traître de son camp. Richilde, sans se décourager de ce revers, donna son second fils Baudouin pour successeur à son fils aîné, et, bien qu’abandonnée de son allié Philippe, bien que faiblement secourue par Théoduin, évêque de Liège, dont elle avait consenti à se reconnaître vassale, en échange d’un secours d’argent et de soldats, elle reprit les armes ; une seconde bataille eut lieu à Broqueroie ; le combat fut acharné, et le souvenir s’en est perpétué jusqu’à nous par les noms que porte encore le lieu où il fut livré ; on l’appelle les Haies de la Mort ou les Bouniers sanglants.
Robert ravagea tout le pays entre Bouchain et Valenciennes, mit garnison dans le fort de Wavrechin, qui commandait les frontières du Hainaut, et rentra en Flandre où il fut universellement reconnu comte. Pour faire oublier son usurpation, il chercha à s’attacher le clergé et dota de grands biens la plupart des églises flamandes, fonda un monastère à Watten, bâtit une église collégiale à Cassel ; néanmoins, l’évêque de Cambrai, Liébert, se prononça contre lui et le traita ouvertement de rebelle et d’usurpateur.
Robert, pour le punir, vint exercer des ravages dans le Cambrésis et mettre le siège devant la ville ; mais il en fut chassé par l’autorité et les anathèmes du saint prélat. Le pouvoir de Robert, bien qu’appuyé sur deux victoires et sur l’affection des barons flamands, sembla longtemps illégitime aux populations, et on se redisait par toute la Flandre des récits merveilleux, qui promettaient malheur à la postérité du comte.
Il avait envoyé une ambassade à l’empereur pour se le rendre favorable ; ses messagers approchaient de la ville de Cologne, quand une femme, d’apparence surhumaine, s’approcha d’eux et leur demanda qui ils étaient ; ils gardèrent le silence à cette question ; mais, les regardant fixement : « Je sais bien, dit-elle, que vous êtes les envoyés du duc des Flamands, et que vous vous en allez prier l’empereur de garder votre comte en paix ; le but de votre voyage sera rempli, l’empereur lui accordera son pardon, mais l’usurpateur sera châtié dans sa race pour avoir violé le serment qu’il avait prêté à son frère Baudouin, et pris le comté de son neveu Arnoul qui a été assassiné ; son petit-fils mourra sans enfant mâle ; alors deux compétiteurs se disputeront le comté, et il y aura meurtre et sang et carnage de génération en génération jusqu’à l’Antéchrist. »
Puis, l’apparition s’évanouit et jamais depuis on n’entendit plus parler de cette femme qu’on voyait pour la première fuis dans le pays. Robert, inquiet de l’avenir, fit la paix avec son neveu pour fléchir le courroux du ciel, et lui abandonna en toute propriété le Hainaut.
%ais ce prince perdit encore Douai ; il s’était engagé à épouser une fille de Robert, élevée en Hollande, et avait donné cette ville, l’une des plus considérables du comté qui lui restât, en garantie de sa parole ; quand il vit sa cousine, il la trouva tellement difforme que, plutôt que de l’épouser, il préféra abandonner sa ville.
Sur la fin de ses jours, Robert le Frison s’associa son fils, nommé comme lui Robert, et fit un pèlerinage en Palestine pour expier ses fautes ; là encore, selon le récit des chroniqueurs, la colère céleste se manifesta contre lui : en vain voulut-il pénétrer dans la sainte cité de Jérusalem, les portes se fermèrent d’elles-mêmes à son approche, et il ne put s’agenouiller au tombeau du Sauveur, qu’après avoir confessé ses fautes et promis de rendre la Flandre à son légitime héritier.
A son retour du saint tombeau, Robert le Frison, accueilli par l’empereur de Constantinople, lui promit des secours, et il n’est pas sans intérêt, pour l’histoire flamande, de voir, dix années avant le grand mouvement qui a entraîné en Asie les populations de l’Europe, 500 cavaliers envoyés par Robert à la défense de Nicomédie contre les entreprises du sultan de Nicée. Le comte, de retour dans ses États, mourut en 1098, à l’âge de quatre-vingts ans, et fut inhumé dans l’église de Cassel, qu’il avait jadis fondée, après sa première victoire.
Son fils Robert II lui succéda ; compagnon de Godefroy de Bouillon, il prit une part active à la première croisade et fut le dernier des souverains de Flandre qui se qualifia de marquis ; ses successeurs ne prirent plus que le titre de comte. Baudouin, fils de Robert H et son successeur, dut à sa justice sévère le surnom de : à la Hache.
Baudouin à la Hache offrit un asile à Guillaume Cliton, fils de Robert le Hiérosolymitain, que son frère Henri ler d’Angleterre avait dépouillé de son duché de Normandie ; ayant déclaré la guerre au prince anglais, il fut blessé à la tète au siège de la ville d’Eu et mourut en 1119, tant des suites de sa blessure que de celles de son incontinence.
Ainsi que l’avait prédit la femme mystérieuse qui avait jadis apparu aux messagers de son aïeul, la ligne masculine des comtes de Flandre s’interrompit avec lui. Il avait fait reconnaître comme son successeur au comté Charles de Danemark, fils d’une soeur de Robert le Frison. Celui-ci éprouva au début de son règne une grande opposition ; mais il sut par ses qualités, qui lui valurent le nom de Charles le Lion, pacifier la Flandre et rétablir l’ordre.
Sa modestie lui fit refuser la couronne impériale d’Occident et celle de Jérusalem ; mais une conspiration, à la tête de laquelle était le prévôt Bertulphe, s’organisa contre lui et, en 1127, il fut assassiné dans l’église Saint-Donat de Bruges. Le roi de France, Louis VI le Gros, intervint alors dans les affaires du comté et imposa aux Flamands Guillaume Cliton, fils de Robert de Normandie ; mais ce malheureux prince ne put se maintenir en Flandre au delà d’une année.
A sa mort, en 1128, il fut remplacé par Thierry d’Alsace , qui conserva le comté jusqu’en 1168 et, après lui, le laissa à Philippe d’Alsace, qui régna sur les Flamands jusqu’en 1191, époque à laquelle il mourut au siège de Saint-Jean-d’Acre. Ce prince ne laissait pas d’héritier. Le comté de Flandre fut alors dévolu à Baudouin de Hainaut, surnommé le Courageux, descendant direct de Baudouin, comte de Flandre.
Ce dernier étant mort en 1195, il laissa la couronne comtale à son fils, Baudouin IX. Ce fut lui qui fut élevé au trône de Constantinople en 1204, à la suite de la quatrième croisade, et qui périt, en 1205, dans une bataille sanglante contre les Bulgares. Sa fille Jeanne avait épousé Ferrand, fils du roi de Portugal qui, pris à la bataille de Bouvines (1214), fut enfermé par Philippe-Auguste dans la tour du Louvre.
Impérieuse et absolue, Jeanne gouverna le comté après avoir vainement essayé de racheter son mari. Jeanne passait dans le pays pour une mauvaise fille, et beaucoup la disaient parricide ; un vieillard aveugle s’était présenté en Flandre prétendant être le comte Baudouin, échappé aux Bulgares ; elle le fit mettre en croix, et la rumeur populaire disait que c’était son père lui-même que Jeanne avait fait périr de ce supplice infâme.
A la mort de la comtesse qui ne laissait d’enfants ni de Ferrand, ni d’un second mari, Thomas de Savoie, son héritage passa à sa sœur Marguerite, puis au fils de celle-ci, Gui de Dampierre (1280). La guerre, commencée par Jeanne et Ferrand contre la France, s’était continuée sous leurs descendants avec les successeurs de Philippe-Auguste ; les soulèvements intérieurs compliquèrent les difficultés de ce règne ; une partie de la Flandre, Gand, Bruges, Ypres, plus industrieuses que Lille, plus heureuses que Cambrai qui s’était soulevée, mais en vain, pour obtenir les franchises communales, se révoltent. Philippe le Bel envahit le comté avec une armée puissante et s’empare de tous les domaines de Gui qu’il retient lui-même prisonnier.
Le tisserand Keninck et le boucher Breydel soulèvent les Flamands, si jaloux de leur indépendance. Ceux-ci anéantissent à Courtrai une armée française, commandée par Robert d’Artois, cousin du roi de France (1302). Mais ils furent battus deux ans plus tard à Mons-en-Puelle (Mons-en-Pévèle) et laissèrent cette fois 14 000 des leurs sur le champ de bataille. Gui de Dampierre mourut au château de Compiègne. Pour obtenir la liberté, son fils Robert de Béthune s’engagea, par le traité de Paris (1320), à abandonner à la France Lille, Douai et Orchies.
Les communes industrieuses et amies de la liberté se soulevèrent contre le petit-fils de ce comte, Louis de Nevers ou de Crécy, qui appela à son secours Philippe de Valois Philippe fut vainqueur à Cassel, mais cette victoire lui coûta cher. De ce moment commença la haine irréconciliable de la Flandre contre la France, les insurrections sans fin contre les seigneurs que cette dernière prétendait maintenir et l’alliance avec l’Angleterre qui fut d’un si grand poids dans la première moitié de la guerre de Cent ans.
Mais nous n’avons pas à nous arrêter sur cette histoire, qui concerne non la Flandre française et notre département du Nord, mais les Flandres de Belgique, si fières de leurs libertés et de leurs privilèges, et les deux Artevelde et Pierre du Bois et tant d’autres, dont les noms, illustrés par le courage et la persévérance, se perdent dans le grand nombre de noms glorieux des valeureux enfants des Flandres. La partie de son comté que retint Louis de Crécy fut transmise par lui à son fils, Louis de Male, qui donna sa fille en mariage à Philippe le Hardi, dernier fils de Jean le Bon, et le comté de Flandre passa de la sorte dans la maison de Bourgogne, en 1383.
Ainsi, en donnant, si malheureusement, le beau duché de Bourgogne à l’un de ses fils, Jean, roi de France, nuisait deux fois à la couronne : il aliénait l’un des plus riches duchés et empêchait la réunion de la Flandre. Louis XI, bien qu’habile politique, perdit aussi l’occasion de réunir la Flandre, en faisant épouser la princesse Marie, fille de Charles le Téméraire, au dauphin Charles VIII.
La fille du duc de Bourgogne épousa Maximilien, archiduc d’Autriche. Leur fils, Philippe le Beau, marié à Jeanne, infante d’Espagne et héritière de Ferdinand le Catholique et de la reine Isabelle, laissa la Flandre et les Pays-Bas à son fils Charles-Quint, qui porta longtemps le nom de Charles de Luxembourg. La monarchie espagnole, unie à la maison d’Autriche et longtemps ennemie irréconciliable de la France, entourait ainsi sa rivale au nord comme au midi, et la province de Flandre facilitait une invasion sur le territoire français.
François Ier, battu à Pavie, fut contraint par le traité de Madrid (1525) de renoncer à la souveraineté du comté de Flandre. Les Espagnols conservèrent cette province pendant plus d’un siècle, et c’est durant cette longue domination que s’y forma ce mélange singulier, dont on retrouve encore des traces aujourd’hui, des usages espagnols, du caractère et de la physionomie de cette contrée, avec les mœurs des Flamands, et par suite duquel il arrive souvent que, parmi ces blonds enfants du Nord, on rencontre des visages dont le type et la couleur accusent une origine méridionale.
Richelieu comprit l’importance de la possession de la Flandre pour les frontières françaises lorsqu’en 1629 une invasion des Espagnols menaça Paris et fit lever l’armée dite des Portes cochères, six ans après, il conclut avec les Hollandais un traité de partage des Pays-Bas et envoya au secours des protestants une armée de 15 à 20 000 hommes.
Cette armée n’eut aucun succès . mal conduite, elle échoua devant Louvain et périt en partie, dans ses quartiers, de maladie et de misère Plus heureux, Mazarin s’empara d’une partie du Hainaut. Cette province, le Limbourg et le Brabant donnèrent naissance à la guerre dite de Dévolution, par laquelle Louis XIV réclamait, à la mort de Philippe IV, roi d’Espagne, ces contrées du chef de sa femme Marie-Thérèse.
Le traité d’Aix-la-Chapelle (1668) lui en assura une partie. Dans la guerre qui suivit, et que termina le traité de Nimègue, le roi conquit une partie des Pays-Bas et établit un conseil souverain à Tournai. Désirant s’attacher les populations par des privilèges, il érigea ce conseil souverain en parlement, par édit du mois de février 1686 ; mais Tournai ayant été prise par les puissances coalisées contre la France, dans la guerre de la succession d’Espagne, le parlement fut transféré à Cambrai. Au traité d’Utrecht (1713), le siège de ce parlement fut transporté à Douai, et il y resta jusqu’à la Révolution.
Vers la fin de la guerre de la succession d’Espagne, la Flandre était redevenue le théâtre de la guerre. Le 11 juillet 1708, l’armée française avait été mise en déroute à Oudenarde, au passage de l’Escaut. Ce fut, à vrai dire, plutôt une affaire d’avant-garde qu’une bataille ; elle nous avait coûté à peine 1 500 hommes.
Toutefois, malgré l’avis de Vendôme, le duc de Bourgogne, que Louis XIV avait mis à la tète des troupes, ordonna la retraite ; celle-ci commença et fut désastreuse. « Les régiments allaient à l’aventure, dit Victor Duruy, sans ordre, sans chefs ; l’ennemi survint, qui tua ou prit plus de 10 000 hommes. Gand, Bruges se rendirent. Lille même capitula, malgré l’héroïque défense de Boufflers, » qui tint 72 jours dans la ville et qui se défendit encore 47 jours dans la citadelle. Aussi, le prince Eugène, plein d’admiration, lui laissa-t-il rédiger les articles de la capitulation tels qu’il les voulut.
La France était ouverte aux alliés ; un parti de hollandais osa même s’aventurer jusqu’à Versailles et enleva sur le pont de Sèvres le premier écuyer du roi, qu’on prit pour le dauphin. Le terrible hiver de 1709 accrut nos malheurs. Louis XIV demanda la paix et ne put l’obtenir, il fit alors un touchant appel au patriotisme de la nation. Cet appel fut entendu, et, à la bataille de Malplaquet, Villars put opposer aux ennemis, qui comptaient 120 000 hommes, 90 000 combattants et 80 pièces d’artillerie.
Toutefois, notre armée dut reculer entre Le Quesnoy et Valenciennes, et on compta pour une victoire l’honneur de n’avoir perdu que le champ de bataille (1709). La victoire de Villaviciosa, remportée par Vendôme en Espagne, amena le congrès d’Utrecht, auquel l’empereur d’Allemagne refusa de prendre part, ainsi que les délégués de l’Empire. La guerre continua donc de ce côté ; mais la coalition était désagrégée. Le prince Eugène, à la tête de 100 000 hommes, s’était emparé du Quesnoy ; il occupait Bouchain et assiégeait Landrecies. « Il appelait très justement ses lignes, dit un historien, le chemin de Paris ; car, Landrecies tombé, il ne voyait plus de place forte entre Paris et son armée. »
L’alarme se répandit dans le pays. En ce péril extrême, le roi dit à Villars : « La confiance que j’ai en vous est bien marquée, puisque je vous remets les forces et le salut de l’État. Je connais votre zèle et la force de mes troupes ; mais enfin la fortune peut leur être contraire. Si ce malheur arrivait, je compte aller à Péronne et à Saint-Quentin y ramasser tout ce que j’aurai de troupes, faire un dernier effort avec vous et périr ensemble ou sauver l’État. »
Une imprudence du prince Eugène et l’heureuse audace de Villars sauvent la France : les Impériaux sont battus à Denain ; Landrecies est délivré ; Douai Marchiennes, Bouchain, Le Quesnoy sont repris ; nos frontières sont dégagées. Cette mémorable victoire de Denain amena la conclusion du traité d’Utrecht (1713) entre la France, l’Espagne, l’Angleterre, la Hollande, la Savoie et le Portugal ; celui de Rastadt (1714), entre la France et l’empereur ; celui de Bade (1714), entre la France et l’Empire. Le traité de Rastadt, en restituant les Pays-Bas à la Hollande, laissa à la France d’une manière définitive l’Artois, la Flandre wallonne et le Hainaut.
Au mois d’avril 1792, lorsque Louis XVI, ou plutôt l’Assemblée législative, eut déclaré la guerre à l’Autriche, les armées françaises se réunirent en Flandre, afin d’exécuter le plan de Dumouriez et de La Fayette, qui consistait, en se portant sur Namur et la Meuse jusqu’à Liège, à se rendre maîtres des Pays-Bas, à révolutionner la Belgique, envoyant ainsi aux souverains la liberté puisqu’ils avaient envoyé la guerre.
Mais les premières opérations, qui eurent en partie pour théâtre la Flandre française, ne furent pas heureuses : le lieutenant général Biron était parti de Valenciennes pour Mons à la tête de 10 000 hommes ; ses troupes, saisies à Quiévrain d’une terreur panique, s’enfuirent et laissèrent prendre par les ennemis le camp et les effets militaires.
En même temps, le général Dillon était massacré à Lille avec quelques-uns de ses officiers par les habitants, qui les accusaient de trahison. Après les événements politiques du 10 août et le départ de La Fayette, les trois corps d’armée formant 30 000 hommes, qui se trouvaient réunis à Maulde, Maubeuge et Lille, eussent été insuffisants pour défendre la frontière septentrionale, si Dumouriez n’eût pris lui-même le commandement de l’armée, abandonné par la La Fayette, et n’eût, par la victoire de Valmy, sauvé la France d’une première invasion.
Bientôt, le duc de Saxe-Teschen vint mettre le siège devant la ville de Lille (octobre 1792) ; mais il fut obligé de se retirer honteusement, après les cruautés d’un bombardement inutile. L’héroïsme que les Lillois avaient déployé en cette occasion fut publié par toute la France, et redoubla l’enthousiasme qu’inspiraient alors les luttes gigantesques d’une seule nation contre toutes pour sa liberté.
Les opérations qui précédèrent la bataille de Jemmapes (6 novembre 1792) se passèrent en Flandre, et cette province ne fut pas en danger d’être envahie, tant que Du-mouriez conduisit la guerre. Mais, après la défection de ce général, les Français perdirent Landrecies, Le Quesnoy, Condé et Valenciennes, qui furent incorporés à la Belgique. Cependant, les Anglais et les Hollandais investirent Dunkerque ; les victoires d’Ypres et d’Hondschoote sauvèrent celte place et rendirent à la France celles qu’elle avait perdues. Pichegru occupa les Flandres et le Brabant, et termina cette glorieuse campagne par l’occupation complète des provinces bataves.
Sous le premier Empire, la Flandre cessa d’être le théâtre de la guerre. Elle avait accueilli avec peu d’empressement les idées révolutionnaires, sans toutefois y opposer une résistance ouverte comme Lyon ou la Vendée ; mais elle avait fourni d’excellents soldats et continua à apporter aux armées de Napoléon un de ses meilleurs contingents en hommes et en officiers.
En 1814, ses places ouvertes furent occupées sans coup férir, et les villes fortes furent assiégées. Aux Cent-Jours, la Flandre vit une partie des préparatifs de la courte guerre dont Waterloo fut le triste dénouement ; pendant que Napoléon Ier, concentrait ses troupes dans la Flandre , les Prussiens et les Anglais formaient des camps dans le Brabant et le Hainaut. La France perdit, au second traité de Paris, quelques districts et forteresses, qui furent réunis au nouveau royaume des Pays-Bas.
De 1815 à 1818, le département du Nord subit l’occupation des armées étrangères. Après une ère de prospérité due à l’active industrie de ses habitants et à ses inépuisables richesses, ses campagnes retentirent de nouveau, en 1870, du clairon des armées allemandes ; le général Bourbaki et après lui le général Faidherbe furent chargés d’organiser la défense dans le Nord. Le général Faidherbe, enfant du département (il est né à Lille), eut bientôt levé, armé, exercé une armée de 20 000 hommes qui, appuyée sur les places fortes de Lille, de Douai, de Valenciennes, etc., put enfin prendre l’offensive.
A la bataille de Pont-Noyelles, cette jeune armée garda victorieusement toutes ses positions ; à la bataille de Bapaume (2 janvier 1871), elle enleva les positions de l’ennemi ; mais, affaiblie par ses succès eux-mêmes, elle dut pour se refaire aller chercher ses cantonnements à 6 kilomètres en arrière.
Pendant ce temps l’ennemi recevait de nombreux renforts ; quoique privé de cavalerie, le général Faidherbe voulut reprendre l’offensive ; cette fois, la fortune des armes trahit sous les murs de Saint-Quentin le courage et le patriotisme de l’armée du Nord et de son général (19 janvier 1871) ; l’armée du général Faidherbe s’était mise en retraite vers Cambrai, Valenciennes, Douai, Arras et Lille ; elle chantait encore dans ses étapes forcées Mourir pour la Patrie ! tandis que d’autres soldats, montrant leurs rangs clairsemés, disaient avec un juste orgueil : Voilà ce qui reste des chasseurs à pied !
Quelques jours après, le département du Nord était envahi, occupé, réquisitionné par les armées allemandes, et cette occupation se soldait pour lui par 1 918 885 fr. 18 c. de pertes. L’armée du Nord et le général Faidherbe avaient bien mérité de la patrie ; leurs efforts avaient réussi à retarder l’occupation du département du Nord et aussi à empêcher l’ennemi de se rendre maître du Havre et d’une partie de la haute Normandie.
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