Dit le Chauve, parce qu’il l’était réellement, il était fils de Louis le Débonnaire et de Judith de Bavière, sa seconde femme. Il naquit à Francfort-sur-le-Mein le 13 juin 823. Avant sa naissance, l’empereur, son père, avait déjà distribué ses États entre les trois fils qu’il avait eus de sa première femme, et la nécessité de revenir sur ce partage, pour faire un royaume au jeune Charles, avança le désordre qui devait résulter de la mauvaise situation politique de la France depuis l’usurpation de Pépin le Bref. L’un des fils nés du premier mariage de Louis le Débonnaire étant mort, sans égard pour les enfants qu’il laissait, l’Aquitaine fut donnée à Charles : ce fut une cause de division de plus dans la famille royale.
Charles II le Chauve (840-877) |
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Aussitôt après la mort de son père, Charles s’unit à Louis le Germanique pour combattre Lothaire, leur frère aîné, qui voulait les exclure du partage de l’empire, et les forcer à reconnaître sa prééminence politique ; ils remportèrent contre lui cette bataille de Fontenay, si sanglante, que les nobles firent passer en loi qu’ils ne devraient dorénavant assistance à leurs souverains que lorsqu’il s’agirait de la défense de l’Etat ; et, dès lors, les hommes de guerre cessèrent de relever directement du monarque, et furent bien plus les soldats des seigneurs que les sujets du roi : ce qui acheva de consolider le régime féodal, dont les grands poursuivaient depuis deux siècles l’établissement avec une constance égale à celle que Pépin avait montrée pour s’emparer de la couronne.
Le résultat de la bataille de Fontenay, donnée le 25 juin 842, fut un partage de l’empire entre les trois frères ; Charles eut la France, dont il resta roi, malgré les efforts de Lothaire pour revenir contre cet arrangement, et malgré l’ambition de Louis le Germanique, qui l’attaqua ouvertement en 858, sous prétexte de venir combattre les Normands que Charles n’avait pas su repousser. Celui-ci, après avoir soumis l’Aquitaine, faisait le siège d’Oissel, lorsqu’il apprit que Louis venait d’envahir ses États, et qu’une assemblée d’évêques l’avait déposé en déliant ses sujets du serment de fidélité. « On ne sait, dit l’historien Velly, qu’admirer davantage, ou la hardiesse des prélats, ou la faiblesse du monarque, qui publie dans un manifeste qu’on n’aurait pas dû le déposer sans l’entendre, ou du moins sans un jugement en règle des évêques qui l’ont consacré, et qui sont les trônes où Dieu repose, et dont il se sert pour rendre ses décrets absolus ; qu’il a toujours été prêt à se soumettre à leur correction paternelle, comme il s’y soumet encore actuellement. »
Charles se prépara néanmoins à la résistance, et quelques seigneurs bourguignons s’étant joints à lui, il vint camper devant l’armée de son frère ; mais il se laissa entraîner dans des négociations dont on profita pour ébranler la fidélité de son armée, qui bientôt l’abandonna. Resté seul, il se retira en Bourgogne, d’où il revint peu après, avec une nouvelle armée, surprendre et mettre en fuite les troupes de son frère, qui avait commis la faute d’en renvoyer la plus grande partie.
Quelques années après (869), ils se réunirent pour partager la succession de Lothaire, et ils bravèrent de concert l’autorité ecclésiastique, qu’ils avaient l’un et l’autre invoquée avec tant de soumission. Hincmar, chargé par eux de répondre au pape Adrien II, qui avait mis tout en œuvre pour faire échouer ce partage, s’acquitta de cette commission avec beaucoup de force et de fermeté. Les remontrances ne firent cependant aucune impression sur l’esprit d’Adrien. Peu de temps après, il se déclara contre Charles, en faveur de Carloman, son fils, qui s’était mis à la tête d’une troupe de brigands. Le roi n’ayant pu le réduire, s’adressa aux évêques, qui l’excommunièrent.
Le pape en écrivit à Charles d’un style qui marque le vif ressentiment qu’il avait conçu, de n’avoir pas été écouté sur la succession du royaume de Lorraine ; il le traita d’avare, de parjure, de ravisseur, de père dénaturé, etc. Charles répondit avec fermeté, et déclara « que les rois de France ne s’aviliraient jamais jusqu’à se regarder comme les lieutenants des papes, et qu’il eût, à l’avenir, à se départir de lettres de telle substance. » Cette réponse étonna le saint-père ; il fit des excuses, et abandonna Carloman.
Celui-ci, auquel son père avait pardonné une première révolte, ayant recommencé à brouiller, Charles le fit prendre, dégrader du diaconat qu’il avait reçu, et enfermer dans l’abbaye de Corbie pour faire pénitence, après lui avoir fait crever les yeux en 873. Dès lors le pape se montra dévoué aux intérêts de Charles, et il contribua de tout son pouvoir à mettre sur sa tête la couronne impériale. Après la mort de l’empereur Louis, Charles se hâta de rassembler une armée pour envahir l’Italie ; ce fut en vain que le roi de Germanie envoya son fils à la tête d’une armée pour s’opposer à cette invasion.
Après avoir fait essuyer une défaite au jeune prince, et l’avoir ensuite trompé par de fausses promesses, Charles arriva à Rome, où Jean VIII, qui venait de succéder à Adrien, le couronna empereur et le décora du titre d’Auguste (875), en exigeant qu’il reconnût sa puissance, et qu’il renonçât à la souveraineté que Charlemagne s’était réservée sur les provinces qu’il avait cédées à l’Eglise romaine. Tant de soumission n’était balancée par aucun avantage ; cette couronne n’apportait aucun droit, aucun privilège, et l’on aurait été bien embarrassé d’expliquer ce que signifiait l’empire d’Occident, depuis que l’héritage de Charlemagne avait été divisé et subdivisé entre tant de princes égaux et indépendants.
Charles se mit au-dessous de sa dignité, comme roi ; mais les titres flattent l’ambition, et l’ambition des faibles n’est pas difficile. Sous le règne de Charles, les hommes du Nord, connus dans l’histoire sous le nom de Normands, profitèrent de la division qui régnait entre les héritiers de Charlemagne, pour mettre la France au pillage. L’imagination ne peut s’arrêter sans effroi sur les horreurs qu’ils commirent ; aucune province ne fut épargnée ; les monastères, les églises étaient dévastés ; les hommes, les femmes, les enfants, emmenés en esclavage, et Charles, après avoir abandonné sa capitale, s’était retranché à Saint-Denis, pour en défendre les reliques.
N’ayant pas d’armée à opposer aux barbares, il les accablait de présents, pour les engager à se retirer, tandis qu’il offrait aux Saxons le droit de relever leurs idoles, dans l’espoir de s’en faire des partisans. Deux fois les Normands vinrent tout mettre à feu et à sang jusqu’au milieu de la France, et deux fois Charles acheta d’eux la promesse de se retirer et de ne plus revenir (845 et 861) ; enfin une troisième incursion irrita ce prince, au point qu’il résolut de les exterminer ; mais, après les avoir inutilement assiégés dans Angers (865), et avoir laissé échapper leur flotte, qu’il eût pu détruire, il eut la douleur de les voir se rembarquer, et bientôt manquer encore à leur parole, en recommençant leurs brigandages.
Telle était l’humiliation dans laquelle était tombée la France sous un petit-fils de Charlemagne. Ce n’est pas que Charles le Chauve manquât de courage : il eut toujours les armes à la main pour agrandir ses Etats ; il voulait conquérir, parce que l’esprit de conquête avait été celui de ses aïeux ; il prodiguait les hommes dans des expéditions mal conçues, mais qui offraient aux soldats l’espoir du butin, tandis qu’il restait sans forces pour se défendre, parce que la défense des pays acquis ne présentait aucun avantage aux guerriers.
C’est ainsi qu’il trouva une armée nombreuse pour marcher contre les fils de Louis le Germanique aussitôt après la mort de ce prince, croyant s’emparer de ses Etats ; il fut battu complètement par un de ses neveux, et chercha vainement ensuite des troupes suffisantes pour soumettre les Bretons et pour combattre les Normands. Son royaume d’Aquitaine fut pour lui une source de dissensions et de guerres presque continuelles. Nommé roi de cette contrée, au préjudice de son neveu Pépin II, il en fut chassé et dépossédé à différentes reprises.
Ce fut en vain que, déployant une cruelle sévérité, il fit trancher la tête au comte Bernard, toujours armé pour la défense de Pépin. Guillaume, son fils, s’empara de Toulouse, souleva tout le pays voisin des Pyrénées, et tailla en pièces l’armée de Charles, qui, peu de temps après, fut obligé de reconnaître le jeune Pépin ; mais il le dépouilla plus tard, et s’empara de Toulouse (858), pour l’abandonner encore peu de temps après, lorsqu’il fut pressé par les invasions des Normands.
Le pouvoir politique était alors dans l’assemblée de la nation, et comme les nobles, devenus indépendants, se cantonnaient dans leurs domaines, se fortifiaient dans leurs châteaux, et ne prenaient aucun intérêt aux affaires générales, l’assemblée de la nation n’était plus que l’assemblée des évêques, prononçant pour ou contre le roi, selon qu’il etait heureux ou malheureux. Ce prince fut appelé en Italie en 877 par le pape, effrayé des incursions des Sarrasins. Charles ne put mener à son secours qu’un petit nombre de troupes. Arrivé à Pavie, où le saint-père était venu au-devant de lui, ils concertaient ensemble les moyens d’attaquer les infidèles, lorsqu’ils apprirent que Carloman, roi de Bavière, venait de fondre sur la Lombardie avec une nombreuse armée. Dans l’impossibilité où il était de lui résister, Charles se hâta de revenir en France.
La honte, l’inquiétude et les regrets frappèrent tellement son imagination, qu’il fut attaqué d’une fièvre violente, et qu’il mourut au village de Brios, dans une chaumière de paysan, le 6 octobre 877, dans la 54e année de son âge ; la 37e de son règne en France, et la 2e depuis qu’il avait été couronné empereur. Son corps fut inhumé à Nantua, dans le diocèse de Lyon, d’où, huit ans après, ses os furent transférés à Saint-Denis, qu’il avait désigné pour sa sépulture, parce qu’il en avait été abbé.
Il ne laissa qu’un fils, connu sous le nom de Louis le Bègue, qui lui succéda, et une fille, qui, devenue veuve d’un roi d’Angleterre, fut enlevée et épousée par Baudouin, comte de Flandre, sans que Charles pût s’y opposer. les historiens assurent qu’un juif nommé Sédécias, son médecin et son favori, l’empoisonna. Charles le Chauve a laissé la réputation d’un prince artificieux, sans amour pour ses peuples, ignorant l’art de gouverner, et toujours ambitieux de conquérir. Sa faiblesse pour Richilde, sa seconde femme, allait jusqu’à vouloir qu’elle prît place dans l’assemblée des évêques, et qu’elle présidât un concile, ce qui ne contribua pas peu à lui attirer le mépris des peuples.
Son règne fut cependant remarquable par des choses utiles, et son édit de Pistes, en trente-sept articles, qui rappelle les Capitulaires de Charlemagne et règle plusieurs points de l’administration, renferme un règlement sur la fabrication et la valeur des monnaies, qui est un des plus anciens et des plus curieux monuments de notre législation. Comme il avait de l’instruction, il protégea les savants, les appela auprès de lui, les combla de bienfaits, et les savants lui ont donné le titre de grand ; mais les ouvrages qui contenaient ses louages s’étant perdus, il est resté Charles le Chauve.
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