La première représentation de cette tragédie, dont la conception et le style prêtent beaucoup à la critique, offrit une circonstance remarquable : l’auteur y remplissait le principal rôle.
La comédie fournit plusieurs exemples de cette hardiesse, qu’on est presque tenté d’appeler une témérité : la tragédie en compte beaucoup moins, parce qu’en général les acteurs-auteurs se sentent plus de vocation pour Thalie que pour Melpomène ; et la raison en est simple. La mission du poète comique consiste à peindre le monde comme il est, la société telle qu’il la voit. Or, plus qu’un autre, l’acteur est entouré de modèles : il voit les vices, les ridicules se presser autour de lui, et il trouve dans ses études journalières l’occasion d’apprendre à les traduire sur la scène.
Autre chose est la tragédie : son essence tient à d’autres conditions ; ses personnages habitent une autre sphère. Pour accomplir cette œuvre grande et haute, c’est d’idéal surtout que le poète a besoin. Ce recueillement profond, cette retraite en soi-même, ces illusions, dont l’âme du poète tragique ne saurait se passer, semblent tout-à-fait incompatibles avec l’existence du théâtre. Il faut donc un instinct puissant, un entraînement irrésistible, capable d’arracher l’acteur à toutes ses habitudes, à l’atmosphère qui l’environne, à la vie positive enfin, qui, sur les planches et dans les coulisses, l’obsède et l’envahit de toutes parts.
Lanoue aussi parut sur la scène comme acteur et comme poète ; mais avant de braver ce double péril, il sollicita l’indulgence du public dans un compliment tourné avec adresse (voy. 23 février 1756) : Victor dédaigna cette précaution, et il s’en accuse dans sa préface. Il énumère avec une rare sagacité tous les inconvénients de sa périlleuse entreprise, dont le moindre était peut-être de nuire à son ouvrage, sans pouvoir en juger l’effet.
Victor avait depuis long-temps pris rang au nombre des jeunes acteurs qui promettent de soutenir la scène française : sa tragédie lui assigne une place, sinon parmi nos grands poètes, du moins parmi nos littérateurs doués de zèle et de talent.
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