Les Provinces-Unies, depuis la déclaration de leur indépendance (23 janvier 1579), n’avaient éprouvé que des revers dans leur lutte contre l’Espagne ; effrayées du danger de leur position, elles offrirent, le 16 septembre 1580, à François, duc d’Anjou, frère de Henri III, le gouvernement et la souveraineté de leur pays. Ce prince se rendit à leur appel et l’année suivante entra en Flandre à la tête de dix mille fantassins, de quatre mille chevaux, et accompagné par la plupart des chefs calvinistes que la paix de Fleix laissait dans l’inaction.
Après quelques succès, le 19 février 1582, le duc fut couronné à Anvers duc de Brabant et comte de Flandre au milieu des plus vives acclamations. Les Flamands, qui espéraient être soutenus par toutes les forces de la France, regardaient déjà comme probable la réunion de leurs provinces à la couronne ; malheureusement l’inhabileté, l’égoïsme et les vices du jeune prince nuisirent à ses succès ; et sa conduite lui ayant enfin aliéné le cœur de ses alliés, il résolut de s’emparer par la force des principales places de la Flandre.
Le 17 janvier 1583, ayant réuni ses troupes sous prétexte de les passer en revue, il parvint à s’emparer par trahison de la porte Saint-Jean à Anvers et à y introduire dix-sept compagnies de pied, six cents lanciers et quatre escadrons de cavalerie. Ces troupes, qui devaient être suivies du reste de l’armée, se précipitèrent dans la ville en criant : Ville gagnée ! Vivent le duc et la messe ! et se mirent à piller les boutiques et à incendier les maisons. Ce fut ce qui perdit les Français. Les habitants, profitant d’un moment où la porte Saint-Jean se trouva dégarnie d’ennemis, firent tomber la herse dont cette porte était munie et interceptèrent ainsi toute communication entre les assaillants du dehors et ceux du dedans.
Au même instant, on tendit les chaînes qui fermaient les rues et on commença à tirer sur les Français des fenêtres et des toits. Le duc d’Anjou était resté en dehors, à quelque distance de la place ; voyant des hommes qui gagnaient à grand’peine les murs et de là se jetaient dans les fossés pour échapper à ceux qui les poursuivaient, il disait en riant à ses compagnons : « Voyez comme ces pauvres bourgeois se jettent », et il croyait déjà les siens maîtres de la ville, lorsqu’il reconnut que c’étaient des Français qui se précipitaient ainsi : bientôt des boulets dirigés contre lui et son escorte le forcèrent de se retirer. Quinze cents Français périrent dans cette imprudente entreprise, deux mille furent faits prisonniers et sauvés par l’humanité du prince d’Orange.
Au dire de l’Estoile, Catherine de Médicis, en apprenant ce désastre, s’écria : « O le grand malheur pour la France de tant de noblesse qui s’y est perdue ! Je ne sçai si en toutes les batailles données en France depuis vingt-cinq ans on pourroit compter tant de gentilshommes morts comme il y en a eu en ceste seule malheureuse journée. »
La trahison du duc d’Anjou perdit sa cause et le déconsidéra aux yeux de l’Europe entière ; il fut bientôt obligé de retourner en France. Les sarcasmes l’accompagnèrent dans sa retraite. Nous citerons seulement les vers suivants, où il est fait allusion à une difformité du prince qui avait été affreusement défiguré par la petite vérole :
Flammans ne soiés estonnés, Si à François voiés deux nés, Car par droit, raison et usage, Fault deux nés à double visage. |
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.