Le 19 septembre 1356, le roi de France, Jean II le Bon, avait été fait prisonnier à l’issue de la bataille de Poitiers, opposant les troupes françaises aux troupes anglaises d’Edouard Plantagenêt, dit le Prince Noir et fils du roi d’Angleterre Édouard III. Le lendemain de cette mémorable bataille lors de laquelle fut moissonnée la fleur de la chevalerie française le Prince Noir se mit en route pour Bordeaux, sans entreprendre d’occuper Poitiers, où le dauphin avait fait entrer, pendant la nuit, cent lances, sous la conduite du sire de Roye, pour défendre cette ville en cas d’attaque.
Le succès des Anglais avait au demeurant surpassé à tel point leurs plus hautes espérances, qu’ils ne songèrent pas à attaquer Poitiers ni d’autres places : étourdis de leur victoire, ils pensaient davantage à s’en réjouir qu’à la mettre à profit, et il n’y avait guère moyen de les décider à rentrer en campagne tant que l’or de la France coulerait à flots des mains de leurs captifs. La consternation et la terreur qu’avait fait naître cette grande défaite étaient telles que l’armée victorieuse traversa le reste du Poitou, la Saintonge, l’Angoumois, et tout le pays jusqu’à Bordeaux, sans qu’aucune troupe française l’inquiétât dans cette marche, et tentât la délivrance du roi captif. Ainsi, les Anglo-Gascons parcoururent tout ce trajet sans assaillir aucune forteresse ni château, et sans commettre aucun acte d’hostilité.
Le roi de France Jean II le Bon |
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Ils étaient « tellement chargés d’or et d’argent, de joyaux et de bons prisonniers, que leur sembloit un grand exploit, s’ils pouvoient mettre à sauveté le roi de France et leurs conquêtes, en la cité de Bordeaux. » Ils allaient à petites journées, ne faisaient pas par jour plus de quatre à six lieues, et s’arrêtaient chaque soir de bonne heure. Ils arrivèrent ainsi à Blaye, passèrent la Gironde et entrèrent à Bordeaux, où ils furent reçus, parla bourgeoisie et le clergé de cette ville, avec la plus grande allégresse. L’armée et son jeune chef passèrent l’hiver dans cette ville, « en grand revel, dit Froissart, et dépensoient largement et follement l’or et l’argent qu’ils avoient gagné, et que leurs rançons leur valoient. »
Mais quand le Prince Noir manifesta l’intention de transporter son royal prisonnier en Angleterre, il éprouva la plus vive opposition de la part des nobles de la Guyenne et de la Gascogne. Malgré leurs sympathies pour les princes anglais de la lignée des Plantagenêts, ces seigneurs aquitains voyaient avec peine le roi Jean tomber au pouvoir de son plus cruel ennemi. Ils déclarèrent hautement qu’ils ne souffriraient pas que ce roi si malheureux fût transporté en Angleterre, demandant qu’il restât prisonnier à Bordeaux.
Aussi quatre mois s’écoulèrent-ils avant que le Prince Noir pût faire embarquer son royal captif. En effet, ce fut cette vive opposition de la noblesse aquitaine qui contraignit Edouard III à signer une trêve de deux ans entre les deux royaumes ; elle fut conclue à Bordeaux, le 23 mars 1357 : il était prévu que contre le paiement d’une rançon, le Prince Noir acceptait de libérer le roi Jean II. Mais les ordres d’Édouard III contraignirent son fils à renoncer aux termes de cette négociation, et bientôt, à la faveur d’une nuit, on put faire embarquer le roi Jean et ses compagnons de captivité au moment où l’on s’y attendait le moins.
L’escadre portait cinq cents hommes d’armes et deux mille archers. Cette force était nécessaire pour empêcher que les prisonniers français ne fussent enlevés, car on fut informé que « les trois états, par lesquels la France étoit gouvernée, avoient mis sus en Normandie et au Crotoy deux grosses armées de soudoyés, pour aller au devant des Anglois, et leur ravir le roi de France. » La traversée dura onze jours, pendant lesquels les Anglais ne rencontrèrent pas les bâtiments français qui croisaient sur les côtes de l’Océan et de la Manche. Ils débarquèrent en Angleterre le 4 mai 1357.
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