En 1856, Charles Rozant s’interroge sur la signification d’un usage ayant survécu à beaucoup d’autres, bien qu’il n’ait peut-être jamais été complètement général dans tous les pays de l’Europe : celui d’échanger, à l’époque de Pâques, des œufs de toutes couleurs et de toutes dimensions
La signification de ces cadeaux étant à peu près oubliée, affirme-t-il, la coutume pourrait disparaître sans qu’il en résultât, dans nos mœurs, aucun trouble sensible ; mais l’industrie est là pour ne pas la laisser tomber, ajoute-t-il aussitôt, et, s’il en était besoin, pour la faire revivre. Chaque année, au mois de mars ou d’avril, l’imagination des confiseurs se met en frais pour raviver, par l’attrait du luxe et de la nouveauté, le goût des œufs de Pâques.
Ces myriades d’œufs qui surgissent tout à coup dans nos élégants magasins de bonbonnerie ne peuvent manquer d’éveiller notre attention, et de faire à notre devoir et à nos bourses un appel presque toujours entendu. Il y en a de tous prix ainsi que de toutes couleurs, et pour tous ceux qui ont le bonheur de connaître des enfants ou des dames, c’est encore une obligation aujourd’hui de payer un tribut à la vieille coutume. Avec le progrès, les œufs sont devenus des boîtes, ils s’ouvrent, ils peuvent contenir, à volonté, une poupée ou un cachemire, et si les complications du jour de l’an vous ont fait faire quelque maladresse, si, pendant les trois mois qui se sont écoulés depuis le bienheureux jour de l’Épiphanie, vous êtes tombé en disgrâce auprès d’un enfant ou de sa mère, vous pouvez, un œuf aidant, réparer votre tort ou votre oubli, et effacer le souvenir de vos fautes passées. Chez les pauvres on se donne de petits œufs en sucre, ou même, si les moyens ne permettent pas de sacrifiera l’agréable, on s’offre des œufs rouges et on en fait une salade.
Ces cadeaux du printemps répondent à une idée qui nous vient des Orientaux, poursuit Rozant : chez eux, l’œuf est le symbole de l’état primitif du monde, de la création qui a développé le germe de toutes choses. Au nouvel an, qui s’ouvre encore en Orient à l’équinoxe du printemps, on célèbre une fête analogue à celle de notre jour de l’an. A cette époque du renouvellement de la nature et de l’année, on échange des présents et l’on s’envoie de toutes parts des œufs peints et dorés, destinés à rappeler le commencement des choses. La même idée devait présider à ces sortes de cadeaux dans le temps où l’année commençait en France le jour de Pâques.
Charles IX, en fixant le commencement de l’année au 1er janvier, a fait perdre aux œufs une partie de leur importance ; mais ils sont restés cependant pour célébrer, à défaut de l’année, le renouvellement de la nature. Autrefois, en France, comme encore aujourd’hui en Russie, les œufs de Pâques avaient un caractère religieux ; on ne les distribuait qu’après les avoir fait bénir solennellement le samedi saint : cette tradition est entièrement perdue parmi nous.
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