Le célèbre Kean, l’acteur qui depuis Garrick a le mieux représenté Richard III, qui dans Othello surpasse tous ses devanciers, venait de subir une condamnation beaucoup plus en rapport avec le second que le premier de ces deux rôles. Accusé d’adultère, il en avait été convaincu ; des détails affligeants pour sa délicatesse aggravaient encore une faute que le respect dû à la sainteté du nœud conjugal ne permet pas de traiter légèrement.
La sévérité anglaise imposait à l’acteur une espèce de quarantaine morale : mais l’intérêt de sa fortune, peut-être les sollicitations d’un directeur l’engagèrent à ne pas quitter la scène : du tribunal il s’élança donc, pour ainsi dire, sur le théâtre. Pas une femme honnête ne s’y était rendue : l’honorable pruderie des épouses fut admirablement servie par la chevaleresque indignation des époux, qui vinrent tout exprès pour huer et pour siffler le redoutable offenseur de la vertu d’un sexe et de l’honneur de l’autre. Vainement quelques applaudisseurs salariés criaient : Five Kean ! Vainement quelques femmes perdues faisaient flotter leurs mouchoirs en faveur du héros malheureux : Richard III fut joué tout entier dans le tumulte. La police, avec une impartialité remarquable, laissa les deux partis s’étourdir de leurs discordantes acclamations, en les empêchant toutefois de passer des paroles aux gestes.
Deux jours après, Kean reparut, et le tumulte recommença : plusieurs fois il voulut haranguer le public ; mais le public ne voulut pas l’entendre. Enfin, une allocution du directeur Elliston ayant ramené le calme, Kean s’adressa au parterre en termes très soumis, lui offrit même de se retirer : cette dernière tentative produisit un heureux effet, et la paix sembla rétablie.
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