LA FRANCE PITTORESQUE
Confrérie des Pénitents blancs
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1834)
Publié le vendredi 12 octobre 2012, par Redaction
Imprimer cet article

Au mois de mars 1585, Henri III institua une confrérie dite des Pénitents blancs ; le costume de ces pénitents était de blanche toile de Hollande en forme d’aube, leur couvrant la tête et leur voilant entièrement le visage comme un masque ; deux ouvertures étaient pratiquées à l’endroit des yeux. On les appela aussi blancs-battus, parce qu’ils se frappaient par humilité avec des disciplines. Les plus notables personnages du parlement, de la chambre des comptes et de la haute bourgeoisie furent invités à s’enrôler sous cette bannière dont le roi s’était déclaré chef, et dans laquelle il fit entrer le duc de Guise et le duc de Mayenne.

La confrérie fut mise sous l’invocation de la sainte Vierge, et sa chapelle fut établie dans l’église des Grands-Augustins. La première procession solennelle eut lieu le vendredi 28 mars, jour de l’Annonciation. Au milieu d’une foule immense, accourue pour assister à ce spectacle, on vit tous les confrères sortir dans la rue et défiler lentement deux à deux aux sons d’une musique harmonieuse. Le duc de Mayenne, maître des cérémonies, ouvrait la marche ; puis venait le cardinal de Guise, portant la croix ; après eux, frère Edmond Auger, suivant L’Etoile, « bateleur de son premier métier, dont il avoit encore tous les traits et farces », conduisait le reste du cortège avec un nommé Dupeira, chassé de Lyon, sa ville natale, pour crime atroces, disent les mémoires du temps.

La procession des Pénitents blancs D'après une gravure satirique de 1583

La procession des Pénitents blancs. D’après une gravure satirique de 1583

Le roi marchait avec eux, mêlé dans la foule, sans distinction d’habit ni de rang ; à la suite, des chantres vêtus de semblables habits et séparés en trois compagnies distinctes chantaient les litanies en faux-bourdon. Une pluie abondante tomba toute la journée sans que pour cela la procession fût interrompue ; les confrères continuèrent leur marche, et sur leur passage purent entendre le menu peuple rire et tourner en moquerie leur position fâcheuse. Quelqu’un même improvisa ce quatrain, qui courut aussitôt partout :

Après avoir pillé la France
Et tout son peuple dépouillé,
N’est-ce pas belle pénitence
De se couvrir d’un sac mouillé !

Les pénitents n’eurent pas seulement à essuyer la pluie et à souffrir les risées de la foule : il leur fallut encore endurer les âpres remontrances du moine Poncet, qui, prêchant le carême à Notre-Dame, accusa Henri et ses compagnons d’avoir mangé de la viande au retour de la procession quoique ce fût un vendredi.

« Ah ! malheureux hypocrites ! s’écriait-il, vous vous moquez donc de Dieu sous le masque, et portez pour contenance un fouet à votre ceinture ? Ce n’est pas là, de par Dieu, où il le faudroit porter, c’est sur votre dos et sur vos épaules, et vous en étriller très bien ; il n’y a pas un de vous qui ne l’ait bien gagné » (Journal de l’Etoile).

Le roi n’en fit que rire, et l’appelant vieux fou, le renvoya à Melun, en son abbaye de Saint-Père. Avant son départ le duc d’Epernon le voulut voir, et lui ayant dit, par raillerie, qu’il ne convenait pas à un prédicateur de se montrer plaisant en chaire, ainsi qu’il faisait : « Monsieur, répondit Poncet sans s’étonner autrement, je veux bien que vous sachiez que je ne prêche que la parole de Dieu, et ne vient point de gens à mon sermon pour rire, s’ils ne sont méchants ou athéistes ; et aussi n’en ai-je jamais tant fait rire en ma vie que vous en avez fait pleurer » Le duc ne sut rien trouver à répliquer : Poncet retourna à Melun, dans son couvent de Saint-Père, d’où le roi, quelques mois après, le fit revenir ; il lui rendit sa cure, à Paris, sous la condition de ne plus prêcher séditieusement.

Les pages eux-mêmes se moqueront ouvertement de la procession, et firent à leur manière une cérémonie grotesque, se promenant dans une salle basse du Louvre avec des mouchoirs qui leur voilaient la face, à l’imitation des confrères de l’Annonciation ; ils chantaient des chansons joyeuses de lansquenets en guise de psaumes : le roi en fit fouetter plus de cent. Le jeudi-saint, 7 avril de la même année, il fit de nuit une nouvelle procession aux flambeaux : lui et les pénitents visitèrent ainsi un grand nombre d’églises, couverts de leurs longues robes : quelques uns même d’entre eux faisaient des stations dans les rues pour se fustiger publiquement. Les railleries et les brocards ne leur manquèrent pas encore cette fois, et L’Etoile, dans son Journal de Henri III, dit qu’on en fit des pasquils ou pasquinades ; des vers satiriques furent trouvés inscrits avec du charbon dans la chapelle de la confrérie, à l’église des Augustins ; et des plaisants parodièrent ainsi la suscription des actes publics et des ordonnances royales.

« Henri, par la grâce de sa mère, inerte roy de France et de Pologne, imaginaire concierge du Louvre, marguillier de Saint-Germain-l’Auxerrois, basteleur des églises de Paris, gendre de Colas, gauderonneur des collets de sa femme et friseur de ses cheveux, mercier du Palais, visiteur des étuves, gardien des quatre mendiants, père conscrit des blancs-battus et protecteur des capucins, etc. »

A tout cela le roi ne faisait nulle réponse ; il continuait son genre de vie, menant de front ses folies et ses dévotions ; et semblait par avance mettre en pratique la fameuse maxime de Mazarin : Qu’ils chantent, pourvu qu’ils paient !, car il venait de lever une somme de 200 000 livres sur les habitants de Paris, malgré les remontrances du gouverneur de la ville et de plusieurs seigneurs de la cour les plus considérés. Là-dessus, nouvelles pasquinades ; les satires parurent de tous côtés ; en voici une qui donnera une idée des autres :

Le roy pour avoir de l’argent
A fait le pauvre et l’indigent
Et l’hypocrite.
Le grand pardon il a gagné ;
Au pain, à l’eau, il à jeûné
Comme un ermite ;
Mais paris qui le connoist bien
Ne voudra plus lui prester rien
A sa requeste ;
Car il a déjà tant presté
Qu’il a de lui dire arresté :
Allez en queste !

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE