Tous les lecteurs savent que la communauté dans le mariage est une espèce de société entre époux, dont l’effet consiste à mettre en commun le mobilier de chacun d’eux, les revenus de leurs bien propres, et les fruits de leur économie et de leur travail. Le mari est maître des biens de la communauté, et peut en disposer à sa volonté. Mais aussi, la loi accorde aux femmes mariées, lors de la dissolution du mariage, la faculté d’accepter ou de répudier la communauté. Si elles acceptent, elles sont tenues de la moitié des dettes ; elles sont affranchies de toutes, si elles renoncent.
Dans le moyen âge, le même droit appartenait aux veuves ; toutefois il n’appartint d’abord qu’aux veuves nobles ; les légistes du temps disent que ce privilège leur était accordé à cause des dépenses extraordinaires que leurs maris faisaient dans les voyages à la Terre-Sainte. Plus tard, on l’étendit aux veuves roturières.
Chez nous, la femme qui renonce à la communauté fait simplement signifier sa renonciation au greffe du tribunal de la première instance du lieu. Dans le moyen âge, on exigeait beaucoup plus de solennité. La veuve qui voulait renoncer à la communauté était obligée de se rendre sur la tombe de son mari, accompagnée du bailli et des parents du défunt. Là, sur cette terre qui recouvrait les restes de son époux, elle jetait sa ceinture ; c’était un signe de séparation. Ensuite elle jetait ses clefs, ce qui signifiait qu’elle ne devait plus rentrer dans la maison mortuaire. Puis enfin elle jetait sa bourse et ses bijoux, témoignant ainsi qu’elle n’emportait rien de la communauté ; si elle en eût pris quelque chose elle eût perdu le droit de renoncer.
Après avoir ainsi jeté sa ceinture, ses clefs, sa bourse et ses bijoux, elle déclarait au bailli qu’elle renonçait à la communauté, et le magistrat lui permettait d’emporter la robe qu’elle mettait tous les jours, et le lit dans lequel elle couchait habituellement ; tous les autres objets appartenaient aux héritiers du mari.
Beaumanoir, dans les Coutumes de Beauvoisis, dit qu’il a vu plusieurs plaids dans lesquels les veuves prétendaient pouvoir emporter leur plus belle robe à parer, leurs plus beaux bijoux, leur plus beau vase à boire, leur plus bel anneau et leur plus beau chapeau ; mais il ajoute que dans les lieux où l’on a permis d’emporter ces objets, c’est par pure bienveillance. La règle est, dans tous les pays de Beauvoisis et dans les pays coutumiers en général, qu’il ne soit donné à la veuve que sa robe de tous les jours et le lit où elle couche ordinairement.
Toute veuve, quel que fût son rang, était obligée d’aller remplir ces formalités sur la fosse de son mari. Monstrelet parle, dans ses chroniques, de Marguerite, veuve de Philippe, duc de Bourgogne, et de la veuve de Valeran, comte de Saint-Paul, qui jetèrent ainsi leurs ceintures, bourses et clefs sur le corps de leurs époux. On trouve plusieurs arrêts du parlement de Paris, qui annulent des renonciations à la communauté, dans lesquelles les veuves, à cause de leur haute condition, avaient cru pouvoir se dispenser de se rendre elles-mêmes sur la fosse de leurs maris.
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.