On sait que la gymnastique était fort en honneur chez les anciens. Ils cultivaient avec soin particulier tous les exercices qui entretenaient la force et l’adresse corporelles. La plupart des législateurs les firent même entrer dans l’éducation publique.
Mais lorsque la civilisation eut rendu la force brutale moins nécessaire dans les combats par l’introduction des armes à feu, et moins utile dans les travaux industriels par la substitution des machines aux bras des hommes, les exercices gymnastiques qui avaient pour premier but d’accroître la vigueur corporelle, furent nécessairement négligés. L’esprit entra en lice à la place du corps, et les études des écoles furent substituées aux jeux de l’arène.
Cependant, dans quelques provinces où beaucoup de traces de l’Antiquité sont encore vivantes, et où le temps semble ralentir sa course progressive, plusieurs des exercices de la palestre se sont maintenus. C’est ainsi que l’on retrouve encore dans les montagnes de la Basse-Bretagne la lutte avec toutes ses règles, toutes ses finesses et tous ses usages ; la vraie lutte homérique, restée un art malgré les progrès des siècles, exercée par quelques athlètes célèbres dans leurs paroisses, et ayant enfin, comme aux temps olympiques, ses solennités et ses couronnes.
C’est surtout dans la Cornouaille que cet exercice est demeuré en vigueur. Tous les ans plusieurs luttes s’y célèbrent à l’époque de certains pardons. On annonce alors dans les communes de l’arrondissement que tel jour et dans tel lieu des luttes auront lieu : « Que ceux qui entendent écoutent cette annonce, dit le crieur chargé de faire connaître le programme de la fête, et qu’ils la redisent aux sourds. Tous les lutteurs sont appelés. L’arbre portera ses fruits comme le pommier ses pommes ; faites passer dans vos manches l’eau des bonnes fontaines ».
Au jour convenu, on voit donc arriver la foule au village qui a été désigné. Les sons du bigniou, le bruit des danses, les chants des buveurs annoncent de loin la fête. Une aire neuve ou le cimetière servent habituellement d’arène pour le combat. La foule se presse dans l’endroit convenu avec de grands cris. On reconnaît les lutteurs à leur costume particulier. Ils sont simplement vêtus d’un pantalon et d’une chemise de grosse toile qui leur serrent la peau de manière à ne laisser aucune prise. Leurs longs cheveux sont liés sur le sommet de leur tête par une torsade de paille. Ils s’avancent, entourés de leurs partisans et de leur familles, ils se mesurent d’avance, fièrement, d’un regard sauvage, et leurs noms volent dans la foule attentive.
Bientôt un roulement de tambour se fait entendre ; c’est le signal. Les vieillards se réunissent pour choisir les juges du camp. Ces fonctions sont confiées à des lutteurs célèbres, imbus des bonnes traditions, mais que l’âge où les infirmités éloignent de l’arène. Une fois les juges choisis, l’arbre pyramidal, chargé des gages du combat, est porté comme un drapeau jusqu’au lieu de la lutte. Le foule y afflue, et quatre huissiers, nommés par les juges, sont chargés de la maintenir. Trois d’entre eux sont armés de fouets ; le quatrième d’une poêle à frire, qu’il porte majestueusement sur l’épaule, au grand amusement de l’assemblée.
Au signal donné par les juges du camp, un grand cri de liss, liss ! (place, place) se fait entendre. Aussitôt les trois fouets se déploient, et font reculer les spectateurs, afin de laisser un espace suffisant aux combattants. L’homme à la poêle à frire régularise les contours du cercle qui se forme, en menaçant de son noir instrument quiconque s’avance, et le frottant avec impartialité contre tous les genoux mal alignés.
Enfin, lorsque l’arène est libre, et que chacun a trouvé sa place, un lutteur entre en lice ; il prend un des prix, qu’il enlève à bout de bras si c’est un mouton ou un veau, et qu’il charge sur ses épaules si c’est une génisse, et il se met à faire le tour du cercle en cherchant des yeux un adversaire. S’il achève trois fois ce tour sans que son défi muet ait été accepté, le prix lui appartient ; mais s’il se trouve un adversaire qui veuille le lui disputer, il lui crie : chom sahue (reste debout) ; c’est lui annoncer que le gant est relevé, et que le combat va commencer.
Le nouveau lutteur s’avance alors dans l’arène ; il touche à l’épaule son adversaire, lui frappe trois fois dans la main, et fait trois signes de croix ; puis, se tournant vers lui :
« - N’emploies-tu ni sortilège, ni magie ? lui dit-il.
- Je n’emploie ni sortilège, ni magie.
- Es-tu sans haine contre moi ?
- Je suis sans haine contre toi.
- Allons, alors.
- Allons.
- Je suis de Saint-Cadou.
- Moi, je suis de Fouesnau ».
Après avoir prononcé ces mots, ils se déchaussent, se frottent les mains de poussière, afin de les avoir plus âpres et moins glissantes ; ils s’approchent l’un de l’autre, se saisissent lentement, en formant de leurs bras une écharpe qui passe de l’épaule droite à l’aisselle opposée de l’adversaire, puis se plient sur leurs reins, poussent un léger cri, et la lutte commence.
Nous ne donnerons pas ici une description de ces combats longs et parfois dangereux dans lesquels l’adresse est opposée à l’adresse, la force à la force, la ruse à la ruse. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que parmi les bons coups qu’enseigne l’art de la lutte, il en est surtout trois qui jouissent d’une grande célébrité, et sont réputés les meilleurs. Ce sont : les toll scarge, les cliquet roon et les peeg-gourn. Le toll scarge est un coup de pied. Le cliquet roon, ou tourniquet complet, est le coup dans lequel le lutteur, restant immobile, fait tourner autour de lui son adversaire, et le jette à terre par la rapidité de ce mouvement rotatoire. Le peeg-gourn est le croc en jambe perfectionné.
D’après les règles de la lutte bretonne, il ne suffit pas de renverser son adversaire pour avoir vaincu, il faut que celui-ci tombe sur le dos. Cette manière de tomber et ce que l’on appelle, en langage de palestre, ar lam. Lorsque le lutteur tombe autrement, le saut qu’il a reçu n’est qu’un costiu, et ne compte pas.
Les Bas-Bretons ont mêlé leurs croyances superstitieuses à l’usage des luttes, comme à toutes les circonstances de leur vie, ils ont beaucoup de foi dans certaines herbes magiques, qu’il faut cueillir le premier samedi du mois, à minuit, dans certains carrefours hantés. C’est ce qu’ils appellent le louzou. Ils pensent que ceux qui sont munis de ce talisman, doivent être invincibles dans la lutte ; mais c’est, disent-ils, au risque de la damnation de leur âme, car le louzou est toujours un présent du démon.
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