Cet acte, lorsqu’il était régulièrement fait, était un des titres les plus utiles de tous ceux qu’un seigneur pût avoir dans ses archives, autant pour lui que pour son vassal. Il s’appelait aveu, parce que le vassal avouait avec serment qu’il reconnaissait un tel pour son seigneur, qu’il tenait et portait de lui noblement le fief de... à cause de son château de..., duquel il avait fait foi et hommage. Il s’appelait dénombrement, parce qu’il contenait l’énumération du fief et de ses parties, comme château, manoirs, terres, vignes, etc.
Le vassal devait à son suzerain son aveu et dénombrement dans les quarante jours, après celui où il avait fait sa foi et hommage ; mais il n’était tenu de le donner qu’une fois en sa vie, à la différence de l’acte de foi et hommage qui se renouvelait à toutes les mutations par décès ou autrement du seigneur dominant.
L’aveu et le dénombrement en bonne forme, sur parchemin, signé du vassal, du notaire et des témoins, dûment contrôlé, pouvait être porté au seigneur dominant en son château, ou par le notaire qui l’avait passé, ou par le vassal lui-même, qui, cependant, n’y était pas tenu, parce que ce n’était qu’une conséquence du vasselage, et non l’acte même de vasselage. Le vassal qui donnait son aveu et dénombrement faisait toujours des protestations, afin de n’éprouver aucun préjudice pour les choses qu’il aurait omis d’y insérer. Si les omissions étaient considérables, et qu’il fût prouvé qu’elles étaient connues du dénombrant, les droits ou objets qu’il avait voulu cacher appartenaient au seigneur dominant, malgré les protestations ; tandis que les sujets et justiciables d’un vassal qui avait omis de rapporter les droits à percevoir sur eux, pouvaient refuser de les payer, la présomption étant que nous ne saurions oublier un droit justement acquis, au nombre de tout ce qui peut nous appartenir.
Voici un aveu et dénombrement extrait des titres d’une propriété située dans le département de l’Allier ; il fut fait l’année où le roi Jean II, dit le Bon, convoquait à Paris les Etats-Généraux, pour essayer de remédier aux malheurs qui accablaient alors la France. La féodalité était bien près de sa ruine, mais elle se maintenait encore dans toute sa puissance :
Aveux et dénombrement de la terre et seigneurie de la Crette, rendue au roy, par Guiot de Culan, en l’année 1350
A tous ceux qui ces présentes lettres verront, je, Guiot de Culan, sire de la Crette, salut en Notre Seigneur, sachent tuist que je cognois tenir en fyé ligement de très excellent, noble, puissant et doublé prince Monsieur, monsieur le duc de Bourbon en sa chastellenie de Herison, les choses qui s’en suivent :
Premièrement, le chasteau et la chastellenie de la Crette, avec toutes les appartenances du dit chasteau, et la justice haute, moyenne et basse, de la dite chastellenie.
Item, tous les hommes et fames serfs, avecques leurs heritaiges que je hay ou puis haver en la dite chastellenie.
Item tous les hommes et fames francs que je hay ou puis haver, tant en la dite chastellenie que pour cause de la dite chastellenie.
Item tous les boez, garennes, estangs, pescheries, moulins, fours, prez, pasturaux, vignes, que je hay ou puis haver en la dite chastellenie.
Item toutes les tailles, rentes, cens, redevances, harbages et forestages, coutumes, terres, dismes, terrages, charnages, tant en bled, deniers, vins, que en autres choses que je puisse haver en la dite chastellenie, lesquelles choses pehent valloir par estimation sexante et dix livres tournois de rente chacun an, pois plus ou pois moins, et si plus valent, je advoué tout atenir en fyé ligement de mon dit seigneur, et promes en bonne foy que, en cette recognoissance, ne viendray ne venir, ne feray dire encontre ainçois les dessus dites choses toutes advée et advoray atenir en fyé ligement de mon dit seigneur et des siens, et des choses dessus dites, feray obéissance et service à mon dit seigneur, et à ses ancesseurs perdurablement si comme le fief le requiert et désire ; et quant aux choses dessus dites, faire, tenir et garder léaument, je oblige moy et mes héritiers, et tous mes biens mobles et non mobles, présens et advenirs, en extant en la jurisdiction et cohertion de mon dit seigneur et de ses ancesseurs, témoing de la quelle chose je hay scellé ces présentes lettres de mon grand scel.
Donné le mardy empres la feste de Toussaints, l’an de grâce mil trois cent et cinquante.
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