En 1910, un chroniqueur du Petit Parisien, observant l’affluence en France d’étudiants venus de tous les points du monde, y voit une reconnaissance de l’excellence des universités françaises qui renouent ainsi avec le temps glorieux où elles constituaient de souveraines dépositaires des trésors de la science, et se plaît à rappeler le rôle essentiel de notre pays dans la propagation de l’instruction en Orient
On ne saurait attacher trop d’importance, dans l’évolution des idées contemporaines, au rayonnement croissant qu’exercent sur le monde les universités françaises et d’abord l’Université de Paris. La loi de 1896 qui a donné aux universités l’existence juridique et l’indépendance a été pour elles le signal d’une renaissance dont, après quatorze ans, on commence à apercevoir les résultats. Ces résultats sont si honorables pour notre pays, ils peuvent être pour l’avenir d’une telle portée, qu’il n’est pas inutile d’en préciser la nature et l’étendue.
Le premier point qui doit être mis en lumière, c’est l’attraction qu’exerce l’Université de Paris sur les étudiants de tous pays. Dans une excellente étude qu’un de nos compatriotes, professeur en Egypte, M. Chilot, vient de publier dans la Revue, je relève les chiffres suivants : sur 17 303 étudiants inscrits aux registres de l’Université de Paris pendant l’année scolaire 1907-1908, il n’y a pas moins de 3 361 étrangers ou étrangères, 926 pour le droit, 520 pour la médecine, 773 pour les sciences, 1 062 pour les lettres.
Recteur de l’Université de Paris en 1586. Lithographie réalisée en 1833 extraite
de la version italienne de l’ouvrage Costumes civils et militaires de la monarchie française
depuis 1200 jusqu’à 1820 d’Hippolyte Lecomte paru en 1820
À l’intention de ces jeunes hôtes de la France, l’Université a créé des diplômes purement scientifiques, qui, naturellement, ne confèrent pas les mêmes droits pratiques, notamment l’accès aux carrières que les diplômes réservés aux Français, mais qui sont le témoignage solennel des efforts accomplis et du travail fourni. C’est le cas du doctorat d’université à la Faculté de médecine, du certificat d’études françaises à la Faculté des lettres, du diplôme de pharmacie à l’Ecole de pharmacie.
Cette affluence d’étudiants venus de tous les points du monde suffit à prouver en quelle estime est tenue notre université parisienne. Elle a repris l’éminente situation qu’elle possédait autrefois, au temps où l’on disait d’elle qu’elle était « la souveraine dépositaire des trésors de la science ». Tout récemment, plus de cent étudiants turcs sont venus prendre place sur ses bancs, et, à cette occasion, un des plus importants journaux de Constantinople écrivait : « Avant tout, nous devons reconnaître que c’est la France qui a le plus fait pour la propagation de l’instruction en Orient et que les jeunes étudiants qui ont été envoyés en France, en sont revenus non seulement en retirant de leurs études un profit matériel, mais aussi et surtout un profit moral. Ce n’est donc pas seulement une simple inclination que nous éprouvons pour la France, mais un profond sentiment de reconnaissance. »
Comment oublier, d’ailleurs, ce que M. Liard, recteur actuel de notre Université de Paris, disait il y a quelques mois en recevant M. Carnegie ? Dans les quelques centaines de mètres carrés où se dressent la Sorbonne et le Collège de France, l’esprit humain a réalisé quelques-unes de ses plus magnifiques conquêtes. C’est là qu’Ampère a fait les découvertes sans lesquelles ni la télégraphie, avec ou sans fil, ni le téléphone, ni l’électricité industrielle n’existeraient. C’est là que Pasteur a renouvelé la chimie et les sciences biologiques. C’est là que Berthelot a, pour la première fois, donné à l’homme le pouvoir créateur dans les applications de la synthèse. C’est là que Lippmann a inventé la photographie des couleurs, Moissan le four électrique, Curie étudié les propriétés du radium.
Cour du collège du Plessis-Sorbonne (1656), collège de l’ancienne
Université de Paris (les bâtiments de ce collège furent détruits en 1864)
On comprend donc le prestige qu’exerce au dehors un tel foyer de science et l’on éprouve d’autant plus de fierté à constater cette attraction, qu’on la reconnaît mieux justifiée. Au surplus, depuis quelques années, l’Université de Paris ne s’est pas bornée à recevoir chez elle ceux qui venaient frapper à sa porte et à les recevoir de son mieux. Elle a aussi pris soin d’entrer en relations directes avec les pays étrangers et de porter au loin la science dont elle est dépositaire.
Un grand nombre de comités, nés sous son patronage, ont établi des relations suivies entre elle et les pays étrangers. C’est le cas, par exemple, du comité de patronage des étudiants étrangers, fondé en 1891, du comité franco-américain, fondé en 1893, de l’Association franco-écossaise, fondée en 1896, du bureau des renseignements, créé en 1904, de l’Association franco-scandinave, qui date de la même année, du comité de patronage des étudiants ottomans, institué il y a quelques mois.
D’autre part, des maîtres français visitent de plus en plus les universités étrangères. Depuis des années déjà, la grande université Harvard, à Boston, reçoit, chaque année, des maîtres français, grâce à la fondation Hyde. M. Boutroux, le plus illustre de nos philosophes contemporains, y représente, en ce moment même, la science française. Un autre groupement s’est formé pour l’Amérique latine et déjà MM. Dumas, professeur à la Sorbonne ; Richet, professeur à la Faculté de médecine ; Egli, agrégé de l’Université, ont commencé là-bas des cours qui ont obtenu le meilleur succès.
Faut-il parler de l’Orient, où, comme on sait, les écoles françaises, soit religieuses, soit laïques, ont toujours occupé une situation éminente ? De l’Egypte, notamment, où toute la jeunesse indigène est restée fidèle avec ferveur à l’enseignement français ? Faut-il parler aussi de l’accueil chaleureux reçu à Prague par les représentants de notre Université ? Et il serait injuste d’oublier d’autres créations, œuvres des universités de province : l’Union des étudiants français en Espagne, oeuvre de l’Université de Toulouse ; l’Ecole des hautes études hispaniques de Madrid, œuvre de l’Université de Bordeaux ; l’Institut français de Florence, œuvre de l’Université de Grenoble.
Guillaume Budé, père du Collège des lecteurs royaux fondé en 1530
par François Ier (actuel Collège de France). Lithographie réalisée en 1841
d’après l’œuvre du peintre et lithographe Louis Dupré (1789-1837)
À constater ces résultats obtenus en si peu de temps, on est amené à penser, comme l’écrivait récemment un de nos recteurs, que l’action des universités françaises à l’étranger, quoiqu’elle n’ait pas été parmi les effets annoncés de la loi qui leur conféra l’autonomie, n’est pas, cependant, un des moins heureux. Ces succès sont d’autant plus agréables à rappeler qu’ils sont l’œuvre de la collaboration constante et cordiale du corps enseignant et du corps enseigné.
L’Association générale des étudiants, qui a maintenant sa maison et qui, en un quart de siècle, a réalisé de si beaux progrès, n’a cessé, par sa participation active à toutes les manifestations des universités étrangères, de vivifier le nom de la France et de réchauffer les sympathies dont nous étions déjà l’objet. On a donc toute raison de dire, en étudiant ce magnifique foyer intellectuel et moral, que jamais le rayonnement de la France n’a été plus grand et, pour être pacifique, ce rayonnement n’est ni moins beau ni moins fécond qu’il ne fut à d’autres époques.
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