LA FRANCE PITTORESQUE
Gastronomie en Périgord,
pays de la truffe, du pâté de foie
et du confit
(D’après « La France gastronomique » (Volume 1), paru en 1921)
Publié le samedi 24 septembre 2011, par Redaction
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Au début du XXe siècle, deux figures de la gastronomie, Maurice Edmond Sailland, dit Curnonsky, humoriste et critique culinaire français surnommé « le prince des gastronomes », et Marcel Rouff, poète et l’un des fondateurs de l’Académie des gastronomes, entreprennent de faire découvrir grâce à une série d’ouvrages les richesses gastronomiques de France, dont le premier volume est consacré au Périgord, « une des régions de notre pays où l’on mange le mieux et depuis des siècles », terre de la truffe, du pâté de foie, du confit et de la soupe des mariés
 

Que le Périgord soit un pays de « grande gueule », vous n’en douterez pas un instant, lancent nos deux compères, et dès le premier contact que vous prendrez avec une de ses auberges, quand vous verrez extraire à votre intention des « toupines » pansues les confits succulents, ou trousser la poule farcie, ou parer de truffes l’omelette qui vous est destinée. Pourtant, quand vous décrirez à un vieux Périgourdin les régals rencontrés pendant la journée sur votre route et dont le seul souvenir vous attendrit, vous le verrez hocher la tête et vous répondre tristement : « Peuh ! depuis quelques années, les auberges ont bien dégénéré chez nous. »

Il faut avoir le don

Il faut avoir « le don »

D’où il faut conclure :
1° Que le Périgourdin est essentiellement modeste ;
2° Qu’il est un vrai Français puisqu’il aimera se dénigrer lui-même ;
3° Qu’on a dû manger prodigieusement bien jadis au Périgord ;
4° Qu’on doit encore faire une chère extraordinaire dans les ménages de cette région bénie.

Il est vrai que la prétendue dégénérescence de la cuisine périgourdine est liée à quelques superstitions locales. Ainsi, l’on vous dira couramment : « Ah ! autrefois, à Champagnac, à l’Hôtel Salignier, on mangeait des civets de lièvre !... Mais la mère Salignier avait le don ! » On croit encore, au Périgord, que, pour réussir le civet, il faut avoir « le don », c’est-à-dire posséder certaines vertus mystérieuses qui émanent de la cuisinière et se communiquent au civet qu’elle confectionne ! Nous voilà bien mal en point si tous les cordons-bleus qui ont « le don » disparaissent. Il faut reconnaître pourtant, que jusqu’à un certain point – mais pas plus loin – ces contempteurs du temps présent ont quelques raisons de se plaindre : il est des régions du Périgord qui, en dehors de tout « don » personnel, furent jadis glorieuses et qui sont, aujourd’hui, lamentablement banales quant aux auberges : où sont les grands jours de Thiviers, par exemple, de Nontron, des auberges de rouliers de Ribérac ?

Malgré tout, plusieurs indices manifestent le caractère toujours éminemment gastronomique du Périgourdin. L’un des principaux est qu’il associe la cuisine aux actes les plus importants de son existence, ce qui est lui conférer la place d’honneur qui lui est due et n’est point le fait d’abstinents émaciés. Au mariage, par exemple, je sais des pays où les vieux usages exigent qu’on éveille les nouveaux époux aux sons d’une aubade (c’est très musical, mais peu substantiel), d’autres où on les poursuit de facéties (c’est quelquefois spirituel, mais toujours peu nourrissant). En Périgord, une coutume encore en honneur, établit qu’au milieu de la nuit, alors qu’ils se sont retirés depuis longtemps, on se met à la recherche des mariés pour leur offrir... une soupe : le tourain – le tourain-club, disent les modernes facétieux – soupe aux tomates et à l’oignon ; ou, dans quelques régions, le cahoussat, soupe au vin. Quand on a découvert le toit qui abrite les amours du nouveau couple, on le réveille et, solennellement, on lui offre successivement de l’eau pour se laver les mains et le potage en question. Goûtez le tourain. On consentira à vous en offrir en dehors de ces circonstances un peu spéciales où il vous gênerait peut-être beaucoup.

On se met à la recherche des mariés pour leur offrir une soupe

On se met à la recherche des mariés pour leur offrir... une soupe

La cuisine périgourdine atteste encore sa grandeur par le nombre très élevé de plats locaux qu’elle comporte. Nous allons essayer d’en dresser une liste en recommandant à nos lecteurs d’en déguster le plus grand nombre possible pendant leur séjour en Dordogne, car ils sont tous bons :
– Le lièvre à la royale (qui s’accommode dans d’autres régions de France aussi désossé, bourré de foie gras frais et accompagné d’une sauce aux truffes.
– Le lièvre en Chabessal qui est le lièvre à la royale du « pauvre », farci de porc et de veau, cuit dans une tourtière avec une sauce au vin.
– Les confits d’oie, de dinde, de canard ou de porc.
– Les foies gras (frais ou en conserve).
– Les truffes. Notons que le Périgourdin n’apprécie pas les truffes cuites au Champagne ou au madère. Il prétend – avec raison – qu’il ne faut pas submerger leur goût personnel. Quand il ne les utilise pas autour du ris de veau, dans des volailles, dans des oeufs, etc., il aime les manger cuites à l’étouffée dans une croûte de pâté.
– La poule farcie.
– Le grillon qui est une espèce de rillette, plus grasse et moins pilée, faite avec les déchets des confits.
– Le cou d’oie farci.
– La soupe aux haricots et à la couenne de porc.
– La soupe de carcasse d’oie.
– Les cèpes.
– L’omelette aux cèpes.
– La sauce rouilleuse.
– Le milliessou (gâteau de farine de maïs).
– Les grosses gaufres salées.
– Les oeufs au lait.
– Les châtaignes blanchies.

Nous ne parlons pas ici de régals périgourdins, mais que l’on retrouve aussi dans d’autres régions de la France, comme les merveilles, la salade à l’huile de noix avec le chapon. Il faut ajouter que le Périgord est encore le pays d’élection des conserves : pâtés de foie gras, pâtés de perdreaux, ballotines de tous genres, royale de lièvre en conserve.

Il faut, à la suite de la liste des mets régionaux que nous venons de donner, faire une remarque : toute la cuisine périgourdine tourne autour de la volaille et du gibier. Les viandes de boucherie, malgré leur excellence, n’y sont pas l’essentiel ; on mange un peu de poisson, la carpe farcie au foie gras et au confit, à Neuvic, sur la ligne de Bordeaux, chez Signet et au bord des rivières comme l’Isle, la Vézère, la Dronne et la Dordogne qui abondent en poissons excellents : truites, anguilles, barbeaux et goujons ; nous avons tout spécialement à signaler les fritures de Saint-Léon-sur-Vézère (restaurant Delsaut) et l’anguille du Pas-de-l’Anglais (chez Robert).

La cuisine du Périgord présente encore une autre particularité qui semble, à première vue, plus qu’un paradoxe, un véritable défi et qui, pourtant, à l’usage, se fait accepter, je ne dirai pas avec résignation, mais avec enthousiasme : elle n’est jamais faite au beurre ; le Périgourdin a horreur du beurre. Elle est tout entière confectionnée à la graisse. Oui, mais quelle graisse ! La plupart du temps avec cette succulente graisse d’oie que la cuisinière va puiser à sa « toupine » de confits, ou avec cette graisse de porc, blanche et pure, tout imprégnée du goût des beaux quartiers de viande qu’elle recèle et protège.

Parmi tant de plats exquis que nous énumérons ci-dessus, deux pourtant sont plus intimement liés à la vie du Périgourdin et font partie, si j’ose m’exprimer ainsi, de sa mentalité et de son existence : le confit et la truffe. Entrez dans n’importe quelle auberge, si chétive et si modeste soit-elle, introduisez-vous dans n’importe quelle humble famille, on vous y servira toujours le confit consacré, rituel, dont les indigènes ne se lassent jamais. Et quand vous en aurez tâté, vous serez de leur avis. La fabrication du confit est, le moment venu, la grande affaire de toute Périgourdine et son orgueil quand elle reçoit un hôte ou un client. S’il vous arrive d’aventure d’éprouver un petit pincement au coeur en voyant passer une belle fille du pays, n’essayez point de lui parler de ses dents blanches, de ses yeux rieurs, de ses cheveux vaporeux ; faites-vous inviter à déjeuner et vantez-lui son conflit. Vous aurez bien plus de chance de trouver le chemin de son amour qu’en lui récitant des vers de Lamartine ou en lui offrant votre photographie.

D’autre part, il n’est point de repas périgourdin commandé au cabaret ou de cérémonie chez « l’habitant » sans truffes. La truffe est la grande affaire dans cette province bénie, et non seulement la plus importante des industries locales, mais encore la vraie gourmandise, la passion indiscutable, le signe de fête de tout indigène. Les poètes périgourdins, qui ont volontiers célébré sur le mode lyrique, qui leur est bien dû, les victuailles de leur petite patrie, ne les ont jamais appréciées qu’en fonction de la truffe, et Bussière écrit dans La Truffe :

Que le don fût venu d’un ange ou d’une fée,
C’est toi qui, la première, ô poularde truffée,
régal tentateur qui manquait à l’Eden,
Sortis des flancs heureux du sol périgourdin.

Roger de Beauvoir écrit dans Les Pâtés de Périgueux : « ...pâté de Périgueux / Endormi sous sa truffe noire ».

Un autre Périgourdin a mis la truffe en énigme, le Mercure de France de janvier 1719 citant ces vers :

Si je suis fruit ou non, c’est encore à savoir.
Je nais sans que les yeux puissent m’ apercevoir,
Sans racine et sans tige, et sans fleur, et sans feuille.
Comme on a les métaux, quand on me veut avoir,
Ceux qu’abhorent les Juifs y font bien leur devoir,
Et l’on m’arrache enfin plutôt qu’on ne me cueille.
Je suis pour une belle un ragoût si charmant,
Lorsque son ardeur est extrême,
Qu’elle a plus de profit et de contentement
A me donner à son amant
Qu’à me garder pour elle-même.
Le confit et la truffe

Le confit et la truffe

La truffe partout et toujours la truffe ! Le fait est qu’elle est l’âme parfumée du Périgord. Très différente de la truffe blanche du Piémont, un peu aillée, elle, la truffe du Périgord n’a de rivale en France qu’en celle des Alpes-de-Haute-Provence. Le roi de la gastronomie, Brillat-Savarin, au paragraphe VII de sa Méditation VI, proclame : « Un sauté de truffes est le plat dont la maîtresse de la maison se réserve de faire les honneurs ; bref, la truffe est le diamant de la cuisine. »

O mortels fortunés, saluez donc bien bas quand vous verrez paraître, à droite ou à gauche de la route, le chêne truffier au pied duquel on trouve « le merveilleux tubercule ». C’est le plus grand des arbres malgré sa petite taille. Régalez-vous de ces belles rotondités noires qu’il abrite, plus complètes que les astres du ciel puisqu’elles ont un parfum ! Mais méfiez-vous. Non que la truffe, légère, facile à mastiquer, soit indigeste. Non. Songez seulement à ses vertus aussi sournoises que celles des humains. La Providence a voulu que ce régal sans pareil soit, en même temps, du moins on l’assure, un grand... inspirateur de tendresse et c’est ce qui doit consoler de voir venir l’âge. Occupez-vous donc, avant de vous attabler avec votre pudique épouse devant le plat de truffes, – que nous vous conseillons de demander en papillotes, à la mode du pays, – de préparer ce qu’il faut pour céder, après le repas, à ses doux effets. Ne méditez pas un départ trop précipité en automobile. Laissez-vous inspirer. Et aussi faites bien attention qu’on vous serve des truffes sauvages et non des truffes cultivées, ce qui, au fond, est bien plus important que le reste.

Nous nous en voudrions de ne pas signaler aux Périgourdins eux-mêmes une recette, qu’ils ignorent probablement, pour accommoder le précieux trésor de leur terre. Elle est de Fulbert-Dumonteil, dans le Triple Almanach gourmand de Charles Monselet (année 1867). C’est le fromage aux truffes ! Dumonteil prétend qu’un vieux chouan privé de dents et, par conséquent, du plaisir de mastiquer « les divins tubercules », avait inventé, pour en retrouver au moins le parfum, de couper des tranches de truffes dans... du lait de brebis. Elles en hâtaient la coagulation et lui communiquaient leur saveur.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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