Plus on a, plus on veut avoir
Ce proverbe dont l’origine remonterait au XVIe siècle ne s’applique guère que dans un sens direct, car manger a pour effet de diminuer l’appétit, mais il s’adresse plutôt indirectement aux riches avides qui n’ont jamais assez et qui, loin d’être satisfaits de posséder tout ce qu’ils désirent n’en sont que plus excités à désirer davantage. Il peut s’appliquer également par métaphore aux voleurs qui s’habituent facilement à voler et y prennent un goût de plus en plus vif ou à tous ces importuns qui fatiguent leurs amis par des demandes incessantes.
On pense que cette expression, rapportée par Rabelais (XVIe siècle), dans le cinquième chapitre de Gargantua, aurait été employée par l’abbé Amyot, le traducteur de Plutarque, dans la réponse qu’il fit à Charles IX dont il avait été le précepteur, un jour que ce prince lui manifestait sa surprise de voir qu’ayant paru d’abord satisfait de sa position modeste, il postulait la possession du riche évêché d’Auxerre.
L’appétit vient en mangeant. © Crédit illustration : Araghorn
Les auteurs anciens avaient comparé à la faim le désir qui croit d’intensité en se satisfaisant. Ainsi les Latins disaient-ils : Mendicorum loculi semper inanes, ce qui signifie : La besace des mendiants n’est jamais pleine. Ovide, dans ses Métamorphoses (livre III, fable 11), avait dit en parlant d’Erisichthon condamné par la déesse Cérès à une faim dévorante et continuelle :
...Cibus omnis in illo
Causa cibi est.
mots qui se traduisent par ceux-ci : Tout aliment qu’il absorbe excite en lui le besoin d’un autre aliment. Le même poète a dit dans un autre endroit : Quo plus sunt potae, plus sitiuntur aquae, ce qui signifie : Plus on boit, plus on est altéré. On retrouve chez l’historien Quinte-Curce (livre VII, chapitre 8), cette phrase dans le discours des Scythes à Alexandre : Primus omnium, satietate parasti famem, ce qui veut dire : Tu es le premier chez qui la satiété ait engendré la faim.
Ce proverbe répond à un autre proverbe des Anciens : Dulce pomum quum abest custos, ce qui veut dire : Doux fruit quand le gardien est absent. Ovide nous a laissé ce vers sur ce sujet : Nitimur in vetitum semper cupimusque negata, ce qui signifie : Nous tendons toujours vers ce qui est défendu et ne désirons que ce qu’on nous refuse.
Les Hébreux possédaient ce proverbe : Aquar furlivae dulciores sunt et panis absconditus suavior, ce qui veut dire : Les eaux dérobées sont plus douces et le pain pris en cachette plus agréable.
Citons pour terminer ces deux vers de La Fontaine :
Pain dérobé que l’on mange en cachette
Vaut mieux que pain qu’on cuit ou qu’on achète.
De toutes ces citations on peut conclure que la cupidité et l’ambition, poussées à l’extrême, rendent odieux ceux qui en sont possédés, parce que ce sont des sentiments égoïstes et que, pour y satisfaire, on n’hésite pas souvent à fouler aux pieds toute dignité humaine et à sacrifier presque toujours les droits d’autrui.
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