Le 31 décembre 1911, le chroniqueur Jean Frollo du Petit Parisien s’attarde sur la coutume bien enracinée des étrennes marquant le début de l’année, tradition indifférente aux variations de la date fixée pour ce commencement, et renaissant après que la Révolution a tenté de l’éradiquer
A l’heure où nous sommes, il y a de l’impatience dans bien des cœurs, écrit Jean Frollo. Nous voici à la veille du 1er janvier, et, par conséquent, des étrennes. On fait le compte de ce que l’on va offrir, mais on voudrait bien savoir aussi ce qu’on va recevoir.
Le commencement de l’année a toujours été une occasion de plaisirs, de réjouissances et de cadeaux réciproques. Il semble que les soucis, les maux, les chagrins prennent fin avec l’an qui se termine. Tout se pare des couleurs de l’espérance. Un vieux proverbe français le dit très heureusement, dans sa jolie concision :
An de nouveau, Tout nous est beau |
Il en était ainsi pour les anciens. Les Romains célébraient de cent manières différentes ce premier jour de la nouvelle année, consacré à Janus, de qui les deux visages regardaient à la fois le passé et l’avenir. On offrait au dieu des dattes, des figues, des gâteaux, du miel ; les artistes et les artisans ébauchaient la matière de leurs ouvrages, dans la conviction que ce travail leur serait favorable ; on échangeait des compliments, des vœux, des présents, etc.
On sait que le début de l’année a souvent varié. Mais, quelle que fût sa date, les souverains et les seigneurs du Moyen Age échangeaient en cette circonstance des présents somptueux. On voit figurer, pour cet objet, trente livres tournois dans la comptabilité du duc de Berry. Plus tard, chacun voulut donner les siens, et, la vanité s’en mêlant, on dépensa énormément pour éblouir ses amis, lesquels, à leur tour, se piquaient d’honneur.
Il y eut parfois des étrennes singulières. Par exemple, Ménage rapporte qu’en 1675 Mme de Tianges donna en étrennes, au duc du Maine, une chambre toute dorée, grande comme une table. Au-dessus de la porte il y avait, en grosses lettres : Chambre du Sublime. Au dedans, un lit et un balustre, avec un grand fauteuil, dans lequel était assis le duc du Maine, fait en cire, et fort ressemblant. Auprès de lui se tenait M. de La Rochefoucauld, auquel il donnait des vers pour les examiner. A côté du fauteuil on voyait aussi Marcillac et Bossuet. A l’autre bout de l’alcôve, Mme de Tianges et Mme de Lafayette lisaient des vers ensemble. Au dehors, Boileau, armé d’une fourche, empêchait sept ou huit méchants poètes d’approcher. Racine était près de Boileau, et, un peu plus loin, La Fontaine, auquel il faisait signe d’avancer. Toutes ces figures étaient de cire.
Dans quelques pays, les cadeaux du jour de l’an se confondent avec ceux de Noël. Au début du XXe siècle encore, à Rome, les principales boutiques de confiserie et de marchands de jouets, étaient décorées de guirlandes, au milieu desquelles, entourée de mille objets, se voyait une vieille femme à vêtements noirs, au visage barbouillé de suie, et tenant une lettre à la main. C’était la befana, le fantôme descendu par la cheminée pour apporter des bonbons aux enfants sages et des verges pour les méchants. La lettre qu’elle portait était supposée avoir été adressée au petit Jésus par un bambin demandant son présent de Noël. Dans beaucoup de maisons, la befana était assise sous le manteau de la cheminée.
Le bouleversement qui clôtura le dix-huitième siècle fit disparaître les étrennes pour un temps. On conçoit que lorsque le calendrier grégorien eut été supprimé par la Convention, qui ne plaisantait pas, nul ne se serait avisé de commémorer le 1er janvier. Cette fantaisie aurait pu avoir son épilogue sur la guillotine. Auparavant, les étrennes – mais des étrennes d’un genre particulier – avaient été prohibées par l’Assemblée nationale constituante, et le fait est intéressant à rappeler.
Dans sa séance du 27 novembre 1789, cette Assemblée s’occupa de la question des étrennes. Le rapporteur du comité des finances, Le Brun, expliqua que ce comité cherchait à réprimer les désordres et les scandales qui marquaient le retour du 1er janvier, dans les administrations, lorsqu’il avait appris que Necker venait de défendre les dons d’étrennes dans les divers services de son ministère. En conséquence, il demandait à l’Assemblée d’étendre cette défense à toutes les organisations publiques.
La proposition rencontra l’accueil le plus favorable, et, à, une grande majorité, le décret suivant fut adopté :
« L’Assemblée nationale, considérant que toute fonction publique est un devoir ; que tous les agents de l’administration étant salariés par la nation, doivent à la chose publique leurs travaux et leurs soins ; que ministres nécessaires, ils ne peuvent accorder ni faveur, ni préférence, et par conséquent n’ont nul droit à une reconnaissance particulière ; considérant encore qu’il importe à la régénération des mœurs, autant qu’à l’économie des finances et des administrations particulières des provinces, villes ou villages, etc., d’anéantir le commerce de vénalité et de corruption qui se fait sous le nom d’étrennes, vins de ville, gratifications, etc.,
« A décrété et décrète qu’à partir du 1er janvier prochain, il ne sera permis à aucun agent de l’administration et à aucun de ceux qui, en chef ou en sous-ordre, exercent quelques fonctions publiques, de rien recevoir comme étrennes, gratifications, etc., sous quelque dénomination, que ce soit, des compagnies, administrations, provinces, communautés, villes, etc., sous peine de concussion.
Aucune dépense pareille ne sera allouée dans les comptes desdites compagnies, administrations, villes, corps et communautés. »
Lorsque Bonaparte eut aboli le calendrier révolutionnaire, le 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805), le jour de l’an rentra dans tous ses droits, et l’on vit reparaître les étrennes. Pendant le premier Empire, les porcelaines étaient encore au nombre des cadeaux principaux, mais l’on offrait aussi d’autres objets, parmi lesquels des écrans à double surprise, représentant, à travers des transparents adroitement ménagés, une scène de la Vestale, le fameux opéra de Spontini, dont la vogue était alors immense. On donnait également des meubles de Thomire, des bijoux de Sensier, les corbeilles de La Boullec, les étoffes de Lyon de chez Ybert, des flacons d’Eau de Ninon, etc.
Chacun s’ingéniait pour plaire, et y réussissait le plus souvent. Cet art heureux s’est perpétué jusqu’à nous. On en aura la preuve demain, et je ne puis mieux achever cet article sur les étrennes qu’en souhaitant à tous mes lecteurs d’en recevoir beaucoup et de charmantes.
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