LA FRANCE PITTORESQUE
1er janvier 1794 : réjouissances
prohibées et guillotine
(D’après « Journal d’un bourgeois de Paris
pendant la Terreur », paru en 1884)
Publié le dimanche 1er janvier 2012, par Redaction
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En 1884, l’écrivain et avocat vendéen Edmond Biré, frère d’Alfred Biré qui deviendra sénateur, publie le Journal d’un bourgeois de Paris pendant la Terreur, ouvrage couronné par le second prix Gobert de l’Académie française. À la date du 1er janvier 1794 (tome IV), nous apprenons que les festivités de jadis pour le nouvel an sont prohibées, le 1er janvier n’existant au demeurant plus car ayant laissé place au duodi de la seconde décade de nivôse ; que la Convention a siégé toute la journée ; qu’un prêtre a reçu la mort pour étrennes.
 

C’est Dante qui a dit dans son Enfer : « Je ne sais pas de plus grande peine que de se rappeler aux jours du malheur le bonheur passé ». C’est aujourd’hui le jour de l’an. Quelle douce fête c’était autrefois ! Elle suivait de près la fête de Noël ; elle précédait de quelques jours la fête des Rois. Le matin, de bonne heure, on assistait à la messe, pour appeler sur l’année nouvelle les bénédictions du ciel. La journée se passait ensuite en visites chez les parents, chez les amis les plus chers.

On échangeait ses vœux, et s’il y avait eu, dans l’année qui venait de finir, des froissements et des querelles, on ne se bornait pas à y faire trêve, on se réconciliait, on se souhaitait « une bonne et heureuse année, suivie de plusieurs autres ». Les bonnes gens qui ne se piquaient pas de philosophie – on sait maintenant où les philosophes nous ont menés – ne manquaient jamais d’ajouter : « et le paradis à la fin de vos jours ! »

Cadran donnant l'heure républicaine et l'heure traditionnelle
Cadran donnant l’heure républicaine et l’heure traditionnelle

Les enfants recevaient de modestes cadeaux, accompagnés d’un cornet de dragées qui faisait le tour à la ronde et où les grands-parents puisaient avec discrétion. Les pauvres n’étaient pas oubliés et recevaient, eux aussi, leurs étrennes. Le soir, on se rassemblait autour de la table de famille, présidée par l’aïeul, que ses petits-enfants rajeunissaient de leur jeunesse. La gaieté rayonnait sur tous les fronts, parce que la paix et l’union régnaient dans tous les cœurs.

Était-il, ce jour-là, une seule maison que ne visitât celle que nos pères appelaient de ce doux nom : la pauvre chère dame de Liesse ? L’aimable Gorjy – né à Fontainebleau en 1753, mort à Pinceloup, près de Rambouillet, en 1793 –, auteur d’un très remarquable pamphlet publié en 1791 et 1792 sous le titre « Ann » Quin Bredouille, ou le Petit Cousin de Tristam Shandy – y écrivait, en 1792 : « Pauvre chère dame de Liesse, vous qui n’avez jamais manqué de visiter nos familles, surtout aux grandes fêtes, comme au réveillon de Noël, aux dragées du nouvel an, au gâteau des Rois, aux attrapes du mardi gras, aux œufs de Pâques, aux poissons d’avril, aux mariages, aux baptêmes, est-ce donc pour toujours que vous avez abandonné ce peuple, l’enfant de votre prédilection ! Ce peuple auquel on ne pouvait penser sans que votre image vînt se placer à côté de la sienne ? »

Non contente d’avoir détruit la fête de Noël et d’avoir proscrit la fête des Rois, la Révolution a supprimé le jour de l’an. Le 1er janvier tombait aujourd’hui, mais voilà que nous avons, de par la République, au lieu du 1er janvier, le duodi de la seconde décade de Nivôse. Malheur à ceux qui l’auront oublié ! Malheur à ceux qui, fidèles au ci-devant jour de l’an, sortiront en habits de fête, donneront un polichinelle à leur petit garçon ou une poupée à leur petite fille !

Si les bijoutiers du Palais-Égalité et les confiseurs de la rue des Lombards s’avisaient de faire de trop beaux étalages, on ne manquerait pas de les arrêter comme suspects : ils expieraient sous les verrous le crime de lèse-calendrier républicain. Autrefois, aux approches du 1er janvier, la foule était telle devant le Petit-Dunkerque, à la descente du Pont-Neuf, qu’il fallait mettre des gardes à la porte pour faire ranger le monde. J’y suis passé hier soir. Le célèbre magasin était à peine éclairé. Il n’y avait pas un seul jouet à la devanture, pas un seul curieux dans la rue, pas un seul chaland dans la boutique.

La Convention a siégé toute la journée. Sur la proposition de Billaud-Varenne, elle a décrété, à l’unanimité comme toujours, que « dorénavant tout général condamné par le tribunal révolutionnaire sera exécuté à la tête de l’armée qu’il aura commandée » (séance du 1er janvier 1794, Moniteur du 3 janvier). Ce sont les étrennes de la Convention à nos généraux. Le tribunal révolutionnaire n’a pas chômé non plus – et encore moins la guillotine. En quelques heures, le tribunal a condamné à mort un ex-noble, Charles de Faverolles, ancien aide de camp de Dumouriez, Louis Dutremblay, agent de la régie générale des charrois réunis, Agathe Jolivet, femme divorcée du citoyen Bareau, et Pierre-Joachim Vancleemputte, prêtre insermenté (Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, tome III, par Wallon).

L’abbé Van Cleemputte, prêtre habitué de l’église paroissiale de Saint-Nicolas-des-Champs, avait refusé le serment en 1791. Obligé bientôt de se cacher, il n’en continua pas moins jusqu’à ces derniers temps à remplir les fonctions de son ministère, à dire secrètement la messe, à confesser, à visiter les malades, à donner aux mourants les derniers sacrements. Il avait trouvé un asile dans une pauvre maison de la rue des Postes. Le mois dernier, sa retraite fut découverte. Les gens qui procédèrent à son arrestation trouvèrent dans un de ses tiroirs un petit papier cacheté ayant pour suscription : Marie-Antoinette. Sang de Louis XVI.

Une exécution pendant la Terreur

Une exécution pendant la Terreur

C’était plus qu’il n’en fallait pour le faire guillotiner, et Fouquier-Tinville, cette fois, avait la partie belle. Il a, ce matin, dans son réquisitoire, foudroyé le pauvre abbé, coupable « d’avoir fait des rassemblements en différentes maisons pour y entretenir le fanatisme religieux, et d’être auteur d’une conspiration tendant à tromper le peuple, en présentant à plusieurs personnes du sang supposé être celui du tyran, pour apitoyer sur son sort, afin de parvenir, par ce moyen, à provoquer au rétablissement de la royauté, à exciter la guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres et contre l’autorité légitime ».

L’attitude de l’abbé Van Cleemputte devant le tribunal a été pleine de fermeté et de courage. Qu’il eût conspiré, cela, il l’a nié avec énergie ; mais en même temps, il a fait hautement profession de ses sentiments catholiques et royalistes. Il a déclaré que jusqu’au jour de son arrestation il n’avait pas cessé de célébrer la messe et d’administrer les sacrements. « Je croyais, a-t-il dit, non peut-être sans une pointe d’ironie, pouvoir m’autoriser de la liberté des cultes. »

L’exécution a eu lieu un peu après 4 heures. Les cinq condamnés étaient sur la même charrette. Tout le long du chemin, Bonnefoy, Dutremblay, Faverolles et la femme Jolivet ont causé entre eux avec une grande liberté d’esprit et une sorte d’enjouement. En descendant de la charrette, ils se sont embrassés tous les quatre, et ont pris congé les uns des autres, comme des amis qui se séparent pour un peu de temps, nous révèle Le glaive vengeur de la République française.

L’abbé Van Cleemputte, durant tout le trajet, n’a pris aucune part aux conversations de ses compagnons. Il semblait étranger à tout ce qui l’entourait. Les mains jointes, le front baissé, dans le recueillement le plus profond, il récitait des prières, le Glaive retraçant ainsi les derniers moments du prêtre : « Il fut au supplice avec la contenance d’un homme entièrement détaché des affections de ce monde, et dont l’esprit cherchait à percer le rideau qui, dans l’instant, allait s’ouvrir pour lui. Il n’entra dans aucun rapport de conversation avec les quatre autres personnes qui étaient avec lui dans la charrette, et leurs singeries semblaient même lui être importunes. »

Les martyrs de la foi pendant la Révolution française retranscrit un des billet que le jeune Barthélemy Bimbenet de la Roche, âgé de 22 ans et détenu à la Conciergerie – il sera exécuté à son tour moins de deux mois plus tard –, écrivit le 3 janvier 1794 à ses frères et où il parla de la mort de ce prêtre : « Le 1er de ce mois, un de nos intimes a été jugé à mort pour ses étrennes. (...) Depuis trente mois que ce respectable homme était chassé de son poste, il n’avait pas cessé un instant de se sacrifier pour les fidèles. Il était âgé d’environ trente-deux à trente-trois ans. Dès qu’il fut descendu du tribunal pour attendre l’heure du supplice, il demanda son bréviaire... Il nous écrivit deux mots où il nous marquait qu’il était comblé de consolations. Je n’ai pas de peine à le croire. Lorsqu’on a vécu comme lui, le moment de la mort paraît fort doux. Il est maintenant où nous espérons aller sous peu. Il nous a promis, dans son écrit, qu’il ne nous oublierait pas. J’ai quelques reliques de lui que je garde bien précieusement et que je vous ferai passer lorsque j’aurai le bonheur de le suivre. »

J’ai assisté au passage du funèbre convoi dans la rue Saint-Honoré. Elle était pleine de cris et de rumeur. Autrefois, en ce même jour, on n’entendait, dans cette même rue, que le vieux cri de nos pères : « Bonjour, bon an ! » On n’y entendait aujourd’hui que cet autre cri, nouveau, celui-là : Vive la République ! À mort ! à mort ! à la guillotine ! Il ne me paraît pas que nous ayons gagné au change. J’avais écrit ce matin, à deux ou trois amis, des lettres de bonne année. Je les ai jetées au feu.

Un vieil employé des postes, qui n’est pas encore révoqué, vient en effet de me prévenir que l’on allait décacheter toutes les lettres pour s’assurer s’il n’en est pas quelques-unes où l’on aura conservé le calendrier grégorien et les souhaits traditionnels (Dictionnaire néologique des hommes et des choses, par le Cousin Jacques – Louis-Abel Beffroy de Reigny). Gare à leurs auteurs ! Rien que la mort n’est capable d’expier ce forfait !

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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