LA FRANCE PITTORESQUE
31 juillet 1784 : mort de Diderot
()
Publié le samedi 28 juillet 2012, par Redaction
Imprimer cet article

Denis Diderot, fils d’un coutelier de Langres, débuta de bonne heure dans la carrière philosophique, par un petit recueil anti-chrétien, intitulé : Pensées Philosophiques, réimprimé depuis, sous le titre d’Etrennes aux Esprits forts. Les amis de l’auteur comparèrent son ouvrage, pour la clarté, l’éloquence et la force du style, aux Pensées de Pascal ; mais il y a la même différence entre les deux ouvrages, qu’entre Pascal et Diderot.

Denis Diderot

Denis Diderot

L’auteur des Etrennes aux Esprits forts, s’occupa plus utilement, lorsqu’il donna, en 1746, avec Eidous et Toussaint, un Dictionnaire Universel de Médecine, en six volumes in-folio ; ce n’est pas que cette compilation ne soit défectueuse à bien des égards ; qu’il n’y ait des articles superficiels, inexacts ; mais il y en a de bien approfondis, et l’ouvrage fut bien reçu.

Ce succès ayant encouragé l’auteur, il forma le projet d’une entreprise plus vaste, d’un Dictionnaire encyclopédique. Un pareil monument ne pouvant être élevé par un seul architecte, d’Alembert, ami de Diderot, partagea avec lui les honneurs et les périls de ce travail, dans lequel ils dévoient être secondés par plusieurs savants et divers artistes. Diderot se chargea seul de la description des arts et métiers, l’une des parties les plus importantes et les plus désirées du public.

L’exécution de cette grande entreprise ne répondit pas à l’attente du public, d’après le témoignage de Diderot lui-même. Voici comme il parlait de l’ouvrage, aux deux libraires qui donnèrent la seconde édition de l’Encyclopédie :

« L’imperfection de cet ouvrage a pris sa source dans un grand nombre de causes diverses. On n’eut pas le temps d’être scrupuleux sur le choix des travailleurs. Parmi quelques hommes excellents, il y en eut de faibles, de médiocres, et de tout à fait mauvais. De là cette bigarrure dans l’ouvrage, où l’on trouve une ébauche d’écolier à côté d’un morceau de main de maître ; une sottise voisine d’une chose sublime. Les uns, travaillant sans honoraires, perdirent bientôt leur première ferveur ; d’autres, mal récompensés, nous en donnèrent pour notre argent.

« L’Encyclopédie fut un gouffre, où ces espèces de chiffonniers jetèrent pêle-mêle une infinité de choses mal vues, mal digérées ; bonnes, mauvaises, détestables ; vraies, fausses, incertaines et toujours incohérentes et disparates. L’on négligea de remplir les renvois qui appartenaient à la partie même dont on était chargé. On trouve souvent une réfutation à l’endroit où l’on va chercher une preuve. Il n’y eut aucune correspondance rigoureuse entre les discours et les figures. Pour remédier à ce défaut, on se jeta dans de longues explications. Mais combien de machines inintelligibles, faute de lettres qui en désignent les parties ! »

Diderot crut, toute sa vie, avoir fait une grande découverte, en proposant le drame sérieux, le drame honnête, la tragédie domestique ; et, sous tant d’affiches différentes, c’était tout uniment le genre de La Chaussée, en ôtant la versification et le mélange du comique. Diderot accompagna ses deux essais de deux poétiques remplies de déclamations et d’idées fausses. Le premier de ces essais, intitulé le Fils Naturel, fit un bruit prodigieux. Lorsque, dans la suite, le Fils Naturel fut représenté, ce drame, dont l’impression avait fait tant de fracas, tomba très tranquillement.

C’était une déclamation froide et emphatique, aussi insupportable à la lecture qu’au théâtre. Il n’en fut pas de même du Père de Famille : il réussit. Les deux premiers actes ont de l’intérêt ; et il y a, au second, une scène entre le père et le fils, où le rôle de ce dernier est du moins passionné, si celui du père est déclamatoire ; mais passé ce moment, toute la machine du drame manque par les ressorts ; et si la pièce s’est soutenue au théâtre, c’est qu’il y a toujours du mouvement, quoique ce mouvement soit faux.

Diderot est encore l’auteur de deux autres ouvrages qui ne firent pas moins de bruit que ses pièces de théâtre, et dont la hardiesse lui coûta la liberté. Le premier parut en 1749, sous le titre de Lettres sur les Aveugles, à l’usage de ceux qui voient. L’auteur fut enfermé six mois à Vincennes. Né avec des passions ardentes, et une tête fort exaltée, il pensa devenir fou. J.-J. Rousseau, alors son ami, allait tous les jours lui porter des consolations, qu’il n’aurait pas dû oublier.

La Lettre sur les Aveugles fut suivie d’une autre sur les Sourds et Muets, à l’usage de ceux qui entendent et qui parlent. L’auteur donna, sous ce titre, des réflexions sur la métaphysique, sur la poésie, sur l’éloquence, sur la musique, etc. Malgré tous ses efforts pour être clair, on ne l’entend pas toujours, et c’est ce qui l’a fait surnommer le Lycophron de la philosophie. Les autres productions de Diderot, et surtout la Vie de Sénèque, se ressentent de ce défaut de clarté et de précision, de cette emphase, désordonnée qu’on lui a toujours reprochés. C’était le sort de notre philosophe de beaucoup écrire, et de ne pas laisser un bon livre, ou du moins un livre bien fait.

« Je ne saurais, écrivait le roi de Prusse à d’Alembert, soutenir la lecture de ses livres ; il y règne un ton suffisant et une arrogance qui révoltent l’instinct de ma liberté. »

« Diderot n’était pas né sans génie, dit La Harpe ou plutôt, sans imagination : c’est cette partie du génie qui est chez lui dominante dans les idées comme dans le style ; mais l’imagination, quand elle est seule, avorte plus souvent qu’elle ne produit. Il faut qu’elle soit fécondée par le jugement, pour devenir cette force créatrice d’où naissent les conceptions soutenues et durables. L’imagination de Diderot, trop destituée de ce jugement en tout genre, ressemblait à une lumière qui a peu d’aliment, qui jette de temps en temps des clartés vives, et vous laisse à tout moment dans les ténèbres.

« Toujours prêt à s’échauffer sur tout, ce qui est un moyen sûr de s’échauffer souvent à froid, il ne pouvait s’attacher à rien : de là, les disparates continuels d’un style scabreux, haché, martelé, tour à tour négligé et boursouflé ; de là les fréquentes éclipses du bon sens, et les bizarres saillies du délire. Incapable d’un ouvrage, jamais il n’a pu faire que des morceaux ; et c’est lui-même qu’il louait, quand il réduisait le génie à de belles lignes. Il y en a dans tout ce qu’il a fait, plus ou moins rares ; et toujours il faut les acheter beaucoup plus qu’elles ne valent. »

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE