Le prince de Béarn, depuis Henri IV, n’avait pas encore douze ans lorsque Charles IX vint à Nérac, l’été 1565, pour y visiter la cour de Navarre. Les quinze jours qu’il y passa furent marqués par des jeux, des fêtes dont le jeune Henri était déjà le plus bel ornement. C’est à cette occasion que le jeune prince croisa Fleurette, sa première maîtresse et la seule qui lui fut fidèle, avec laquelle il vécut des émois auxquels son précepteur jugea bon de mettre un terme...
Charles IX avait débuté en mars 1564 un grand tour de France organisé par la reine-mère, et destiné à montrer le roi et à lui faire connaître son royaume. Etienne de Jouy nous rapporte l’anecdote suivante à l’occasion de sa visite de la cour de Navarre, et plus précisément de sa venue à Nérac, du 28 juillet au 1er août 1565.
Charles IX aimait à tirer de l’arc ; on voulut lui en donner le divertissement, et l’on pense bien qu’aucun des courtisans, pas même le duc de Guise, qui excellait à cet exercice, n’eut la maladresse de se montrer plus adroit que le monarque. Henri, que l’on appelait encore Henriot, s’avance, et, du premier coup, enlève, avec sa flèche, l’orange qui servait de but.
Suivant la règle du jeu, il veut recommencer et tirer le premier ; Charles s’y oppose et le repousse avec humeur ; Henri recule quelques pas, arme son arc et dirige sa flèche sur la poitrine de son adversaire : celui-ci se met bien vite à l’abri derrière le plus gros de ses courtisans, et ordonne qu’on éloigne de sa personne ce dangereux petit-cousin.
La paix se fit ; le même jeu recommença le lendemain : Charles trouva un prétexte pour n’y pas venir. Cette fois, le duc de Guise enleva l’orange qu’il fendit en deux ; il ne s’en trouvait pas d’autres. Le jeune prince voit une rose sur le sein d’une jolie fille qui se trouvait au nombre des spectateurs ; il s’en saisit et court la placer au but. Le duc tire le premier, et n’atteint pas ; Henri, qui lui succède, met sa flèche au milieu de la fleur, et va la rendre à la jolie villageoise, sans la détacher de la flèche victorieuse qui lui sert de tige.
Le trouble qui se peint sur la figure charmante de cette jeune fille, qu’il embellit encore, se communique à celui qui le fait naître, et les doux regards qu’ils échangent à la dérobée sont les premiers signes de la vie nouvelle qui vient de commencer pour eux.
En retournant au château, Henri questionne ceux qui l’entourent ; il apprend que l’aimable enfant se nomme Fleurette, qu’elle est fille du jardinier du château, et qu’elle demeure au petit pavillon qui se trouve à l’extrémité du bâtiment des écuries. Dès le lendemain, le jardinage est devenu la passion de Henri ; il a choisi un terrain de quelques toises aux environs de la fontaine de la Garenne, où il sait que Fleurette se rend plusieurs fois dans la journée ; il l’entoure d’un treillage ; il y fait des plantations où il travaille avec d’autant plus d’ardeur qu’il est aidé par le père de Fleurette, et qu’il a, vingt fois par jour, l’occasion ou le prétexte de la voir.
Si j’écrivais un roman historique, confie en 1812 le futur académicien Étienne de Jouy, j’aurais la liberté d’arranger ou d’imaginer une foule de jolis détails ; mais je raconte une anecdote, et je dois me borner au simple récit des faits principaux. Et notre futur académicien de poursuivre.
Depuis près d’un mois Henriot en contait à Fleurette. Ici, Étienne de Jouy indique que c’est de là que nous vient cette expression figurée de conter fleurette, dont l’étymologie, précise-t-il, est plus sûre, que la plupart de celles que nous donne Morin dans son Dictionnaire. Henriot et Fleurette s’aimaient éperdument, sans trop savoir encore ce qu’ils se voulaient ; il l’apprirent un soir à la fontaine. Fleurette s’y était rendue un peu tard ; l’air était pur ; le murmure des eaux, les plaintes du rossignol enchantaient le silence des bois, et la lune éclairait, d’un jour mystérieux, une retraite où la nature est déjà la volupté.
Que se passa-t-il dans cette soirée, à la fontaine de la Garenne, entre le petit prince de douze ans et la petite bergère de quatorze ? Il est plus aisé de l’imaginer que de le décrire ; tout ce que j’ai pu savoir, écrit encore Étienne de Jouy, c’est qu’au retour de la fontaine la bergerette avait pris le bras du prince du Béarn, et que celui-ci portait la cruche sur sa tête. Ils se séparèrent à l’entrée du parc ; l’un retourna gaiement au château, l’autre pleura en rentrant dans son modeste réduit.
Le père de Fleurette ne s’était pas aperçu que sa fille, depuis ce jour, allait plus tard qu’à l’ordinaire à la fontaine ; mais le précepteur du jeune prince, le vertueux la Gaucherie, avait observé que son royal élève avait toujours un prétexte pour s’échapper à la même heure, et que, par le plus beau temps du monde, la forme de son chapeau était habituellement mouillée. Cette remarque éveilla la surveillance du sage mentor ; il suivit de loin le jeune prince, et arriva, sans être vu, assez tôt et assez près pour s’apercevoir qu’il était venu trop tard. Convaincu, comme Fénelon, que la fuite est le seul remède à l’amour, sans autres remontrances, il annonça au jeune prince qu’ils retourneraient le surlendemain à Pau, d’où ils partiraient pour se rendre à l’entrevue de Bayonne, où fut résolue la perte des protestants.
L’instinct de la gloire, et peut-être celui de l’inconstance, parlaient déjà au cœur de Henri ; cette nécessité d’une première séparation, qu’il courut en larmes annoncer à Fleurette, trouvait à son insu quelque adoucissement au fond de son âme ; mais comment peindre le désespoir de la naïve et sensible Fleurette ? Dans les derniers moments d’un bonheur prêt à lui échapper, elle pressentait tous les maux de l’avenir.
« Vous me quittez, Henri, disait la tendre enfant étouffée par ses pleurs, vous me quittez, vous m’oublierez, et je n’aurai plus qu’à mourir. » Henri la rassura et lui fit le serment d’un amour éternel, que Fleurette seule devait acquitter : « Voyez-vous cette fontaine de la Garenne (lui dit-elle au moment où la cloche du château rappelait Henri, et donnait le signal du départ) ; absent, présent, vous me trouverez là... toujours là ! » ajouta-t-elle avec une expression qu’il n’oublia pas.
Statue de Fleurette, par Daniel Campagne (1896), dans une grotte du parc de la Garenne à Nérac
Les quinze mois qui s’écoulèrent jusqu’au retour de Henri au château de Nérac, avaient développé dans l’âme du jeune héros des vertus incompatibles avec l’innocence des premières amours, et les filles d’honneur de Catherine de Médicis s’étaient chargées du soin d’effacer de son souvenir l’image de la pauvre petite Fleurette : celle-ci, plus affligée que surprise d’un changement dont sa raison précoce l’avait dès longtemps avertie, ne lutta pas contre un malheur qu’elle avait prévu, et ne songea plus qu’à s’y soustraire.
Elle avait vu plusieurs fois le prince de Béarn se promener dans la Garenne avec Mlle d’Ayelle, et n’avait pu résister au désir de se trouver un jour sur leurs pas. La vue de Fleurette plus belle encore de sa tristesse et de sa pâleur, réveilla dans le cœur du jeune prince un tendre souvenir : il se rendit, le lendemain matin, à son logement, la trouva seule et lui donna rendez-vous à la fontaine de la Garenne : j’y serai à huit heures, répondit la jeune fille sans lever les yeux de dessus son ouvrage.
Henri s’éloigna aussitôt ; il attendit, avec amour, qu’un regard de Fleurette avait ranimé dans son sein, l’heure qui devait la lui rendre. Elle sonne ; il sort du château par une porte dérobée et passe à travers les taillis du bois, de peur de rencontrer quelqu’un dans les allées. Il arrive à la fontaine ; Fleurette ne paraît pas ; il attend quelques minutes ; le moindre bruit des feuilles fait tressaillir son cœur ; il va, vient, s’arrête..., approche de la fontaine ; une petite baguette est plantée sur l’endroit même où il s’est tant de fois assis prés de Fleurette.
C’est une flèche ; il la reconnaît ; la rose fanée y tient encore ; un papier est attaché à la pointe ; il le prend, cherche à le lire ; mais le jour s’est éteint... Palpitant, inquiet, troublé, il revole au château, ouvre le fatal billet, et lit ces mots : « Je vous ai dit que vous me trouveriez à la fontaine ; peut-être avez-vous passé près de moi sans me voir ; retournez-y et cherchez mieux... Vous ne m’aimiez plus... il fallait bien... Mon Dieu ! pardonnez-moi !... »
Henri a deviné le sens de ces paroles ; le palais retentit de ses cris : on accourt ; des valets, munis de flambeaux, le suivent à la Garenne. Pourquoi s’appesantir sur de cruels détails ? Le corps de l’aimable enfant fut retiré du fond du bassin où s’épanchaient les eaux de la fontaine, et déposé entre les deux arbres qu’on y voit encore. Les regrets déchirants, la douleur de Henri, qui resta du moins fidèle au souvenir de Fleurette, ne peuvent qu’honorer la mémoire d’un prince « né pour servir de modèle à tous les rois par sa bravoure dans les combats, sa loyauté dans les négociations, sa générosité dans la victoire, ses vastes conceptions dans le cabinet ; par sa constante activité, par son amour pour ses peuples, par sa grandeur d’âme, enfin par toutes les qualités qui constituent le plus beau, le plus grand caractère », écrit de lui Villeneuve-Bargemont dans sa notice sur Nérac.
Fleurette est la seule des maîtresses de Henri IV qui l’ait aimé comme il méritait de l’être, ajoute Étienne de Jouy, la seule qui lui fut fidèle, qu’il pût avouer sans rougir ; mais elle ne fut pas présentée ; elle n’eut pas le tabouret chez la reine, elle ne travailla pas avec les ministres et avec le confesseur, elle ne donna à la France ni princes bâtards, ni princes légitimes ; aussi l’histoire n’en fait-elle pas mention.
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.