Jean de Witt, bourguemestre de Dordrecht, s’était élevé de grade en grade, et par ses services, jusqu’à la place de grand-pensionnaire de Hollande. Il y avait alors deux partis dans la république ; celui de la monarchie, favorable à la maison d’Orange ; et celui de la liberté, contraire aux vues de cette maison. Jean de Witt et Corneille, son frère, étaient à la tête du parti républicain, et s’opposaient de tout leur pouvoir au rétablissement du stathoudérat, que les républicains avaient fait abroger solennellement après la mort de Guillaume II.
La guerre que la France fit, en 1672, à la Hollande, servit les desseins de la maison d’Orange. Louis XIV, s’étant avancé jusqu’aux portes d’Amsterdam, les oranrgistes demandèrent, plus hautement que jamais, un stathouder. Le grand-pensionnaire de Witt, qui croyait ne pouvoir sauver son pays qu’en demandant la paix au vainqueur, voulait qu’on envoyât des députés à Louis XIV ; le prince d’Orange qui voyait son élévation dans la continuation de la guerre, s’opposait à la paix. Les Etats résolurent qu’on demanderait la paix malgré le prince ; mais le prince fut élevé au stathoudérat malgré les de Witt.
Quatre députés de la république se rendirent au camp de Louis XIV ; mais les conditions que leur proposa le monarque, ayant paru intolérables, le peuple en fureur éclata contre le grand-pensionnaire, qui avait demandé la paix. Cette fureur du peuple fut augmentée par la politique du prince d’Orange, et l’animosité de son parti. On attenta d’abord à la vie du grand-pensionnaire Jean de Witt, qui eut le bonheur d’échapper, et même le crédit de faire punir de mort un des assassins.
Ensuite on accusa Corneille, frère de Jean de Witt, d’avoir attenté à celle du prince d’Orange ; Corneille fut appliqué à la question ; il récita, dans les tourmens, le commencement de cette ode d’Horace : « Justum, et tenacem propositi virum », convenable à son état et à son courage ; les douleurs de la torture n’ayant pu lui arracher l’aveu d’un crime dont il n’était pas coupable, ses juges se contentèrent de le bannir ; mais au moment où Jean de Witt allait délivrer son frère de la prison après ce jugement, le peuple, excité par les orangistes, se jeta sur les deux frères ; et après les avoir massacrés, il exerça sur leurs corps sanglants toutes les horreurs qui lui sont familières dans tous les temps et dans tous les pays.
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