L’idée d’associer la musique à l’anesthésie opératoire, en vue d’amoindrir chez les patients les appréhensions causées par la perspective d’une intervention chirurgicale, séduisit de longue date certains nos praticiens, mais fut dans le même temps la source de moult railleries, bien que certains exemples semblent suffisamment probants pour convaincre quelque incrédule...
« Joyeulx guarissent toujours », disait Ambroise Paré. Opérer en musique relèverait ainsi d’un principe affirmé par le père de la chirurgie moderne. L’influence des sons musicaux a d’ailleurs de tout temps été préconisée comme un excellent adjuvant dans le traitement des maladies. Galien fait remonter au divin Esculape lui-même l’emploi médical de la musique.
Toute l’histoire de l’antiquité est remplie de témoignages relatifs à l’heureux pouvoir exercé par la musique vocale et instrumentale. Faut-il rappeler la fable d’Orphée calmant par les sons de sa lyre les monstres des bois ? Pythagore de Samos compostait des chants pour apaiser les passions violentes. Asclépiade remédiait à la surdité par le son de la trompette. Le Crétois Tholétas, par le charme de sa musique, délivra les Lacédémoniens de la peste.
Ne prenons pas en pitié ces théories quelque peu simplettes. Est-ce que de nos jours la même méthode ne se trouve pas encore appliquée et avec succès ? s’interroge Le Petit Parisien. Charcot, qui imagina la médication vibratoire et fit entrer la trépidation dans le domaine de la thérapeutique, ne reprenait-il pas pour son compte une méthode chère aux anciens ? Le docteur Vigouroux a soulagé des ataxiques en enfermant leurs membres douloureux dans une caisse résonnante où vibrait un diapason. On ne dira pas que ce procédé dont s’accommodent nos doctrines modernes n’est pas quelque peu renouvelé des Grecs et des Latins.
Bourdois de la Mothe, Fourmer Pescay, Tourtelle, Roger, Sainte-Marie, noms dont s’honore la médecine française, ont montré tout le parti que l’on pouvait tirer de la musique dans le traitement des hypocondriaques et des mélancoliques. « On comprend, a écrit le docteur Fonssagrives, combien doivent être variées les influences d’un moyen qui, par sa diversité, peut successivement parler à l’esprit et au cœur, quand ils sont malades, tous les langages dont ils ont besoin et qui les fait passer, en quelque sorte à volonté, par les états les plus opposés. Les maux de nerfs, comme les ours et les tigres d’Orphée, se laissent enchaîner par les sons. Il est positif qu’on n’a pas tiré de ce moyen si puissant tout le parti désirable. »
Cependant ce n’est pas faute d’avoir essayé. On alla même si loin, au XVIe siècle, en cette thérapeutique, que le satirique Rabelais, qui était un musicien et un médecin instruit, crut devoir frapper de ridicule une grande part des vertus médicinales et curatives que les anciens et ses contemporains attribuaient à la musique. C’est ainsi qu’on peut lire au chapitre V du Pantagruel, « comment la Quinte-Essence guarissait les malades par chansons ».
Cette critique n’empêcha pas le savant Burette, qui cultiva également la musique et la médecine, d’insérer plus tard dans le cinquième volume des Mémoires de l’Académie des belles-lettres une dissertation sur la musique des anciens, où il parle de tous les maux que l’on pouvait guérir à l’aide d’un heureux emploi des sons musicaux, comme la lièvre quarte, la syncope, l’épilepsie, la folie, la sciatique et la morsure des vipères !
Les maîtres enseignaient que la musique charmait et apaisait les douleurs. Louis Guyon, dans ses Leçons, qui ont été publiées, raconte qu’une femme très valétudinaire, et surtout fort incommodée de la goutte, fit venir un ménétrier qui jouait très bien de la flûte et du tambourin, et qui s’en acquitta si vivement que la malade tomba par terre, privée de sentiment et de respiration. Revenue de cet évanouissement, elle se plaignit de grandes douleurs ; le musicien s’étant remis à jouer encore plus vite, cette seconde dose de musique produisit un si bon effet que la malade se trouva peu de temps après délivrée de ses maux et parfaitement guérie. Elle vécut cent six ans, grâce au ménétrier qu’elle avait pris à ses gages ! Ces leçons des vieux maîtres devaient assurément faire la fortune des musiciens.
Molière fut frappé, comme l’avait été Rabelais, de ces bizarreries de la pathologie de son siècle et se permit de mettre à la scène les procédés des médecins qui faisaient de la musique une sorte de panacée universelle. Dans Monsieur de Pourceaugnac, que l’on joua en 1669, il prête ces paroles à un opérateur qui, au premier acte, se prépare à organiser un concert de musique curative : « Allons, procédons à la curation, et par la douceur exhilarante de l’harmonie, adoucissons, lénifions et accoisons l’aigreur des esprits que je vois prêts à s’enflammer ». Le grand comique devait, quatre ans plus tard, dans le Malade imaginaire, se gausser avec plus de verve encore des pratiques médicales dont abusaient les médecins du grand siècle.
C’était l’époque où Guy Patin saignait jusqu’à treize fois en un mois un enfant de sept ans, jusqu’à douze fois sa femme pour une pneumonie et vingt fois son fils pour une fièvre typhoïde. Les 2000 purgatifs consignés dans le Journal de la santé de Louis XIV témoignent également de l’énergie avec laquelle on interprétait alors la théorie des quatre humeurs. Molière n’exagérait rien ce qui nous semble une charge bouffonne, une satire violente des doctrines et des coutumes médicales d’alors, n’en était qu’un exposé fort véridique.
Il est à croire que ni les médecins ni le public ne virent une critique quelconque dans cette mise en scène de la Faculté. On reprocha plutôt à Molière le peu de respect avec lequel il produisait sur les planches les doctes pontifes de l’art de guérir et transformait en bouffonnerie des pratiques médicales acceptées par tous.
Celles-ci continuèrent à être très appréciées. Misson rapporte qu’il connaissait un gentilhomme fort sujet à la goutte, lequel avait l’habitude de s’en délivrer par le moyen d’un grand bruit. Il appelait tous ses valets dans sa chambre et les faisait frapper à grands coups sur la table et le plancher. Ce bruit cadencé, joint aux sons de quatre vielles, était son remède souverain.
On trouve dans les Mémoires de Bachaumont une historiette de ce genre plus curieuse encore : « Le père Victor, gardien des Recollets de Châteaudun, était à l’agonie ; son médecin Destrée fait venir des violons dans la chambre du mourant pour dernière ressource ; ils jouent plusieurs airs, et le père Victor, très sensible à la musique, se ranime au bruit des instruments. Il sourit, bientôt une abondante transpiration survient au malade et cette crise salutaire assure sa résurrection ».
Ces observations, recueillies par des écrivains en quête d’anecdotes, n’ont sans doute pas la forme et l’allure qui conviennent à des témoignages sérieux. Mais ceux-ci, non plus, ne font défaut. Le célèbre médecin Fagon a consigné qu’il employa plusieurs fois avec succès la musique dans la guérison de certaines maladies nerveuses, telles que la catalepsie, le mal caduc et l’hystérie. Il eut à ce sujet des conférences avec Lambert et Lulli, qui le secondèrent puissamment dans ses expériences.
Hilaire Le Puis, belle-sœur de Lambert et son élève, dont la voix avait une douceur, un charme particuliers, fut d’un grand secours à messieurs de la Faculté dans leurs expériences. Les Mémoires de l’Académie des sciences 1702 et 1707 font une mention très honorable de guérisons récemment opérées par la vertu de la musique.
En 1720, lors de la peste, dans ses conseils aux magistrats de Marseille, Chirac, le premier médecin du roi, leur recommanda surtout de distraire le peuple par des chants, des danses et des parades exécutés en plein air ; son Mémoire arriva trop tard et pendant que la désolation universelle rendait ce moyen impraticable. Mais si grande était la confiance que l’on avait dans la musique que certainement on l’eût essayée.
Ce n’est donc pas la première fois que la musique est signalée à l’aréopage composé de nos plus doctes médecins comme un moyen curatif susceptible de déterminer, à un moment donné, chez des malades d’une certaine façon des modifications extrêmement énergiques.
Dans la vie ordinaire, la musique est un stimulant du système nerveux. Sa puissance sur le moral des individus est incontestable. Elle apaise les inquiétudes, provoque les contentements intimes, établit des communions d’âmes, détermine des élans de passion ou emporte sur ses vibrations nos plaintes et nos peines.
Elle peut aussi exciter les courages et porter ceux qui l’écoutent ou la chantent aux plus braves actes d’héroïsme. Nul ne niera l’influence de la musique militaire, qui, à toutes les époques, a contribué au succès des armes. Le simple appel d’un clairon ou la charge battue par un tambour ont jeté des masses humaines dans les plus sanglantes mêlées.
La musique émeut, elle donne des ailes aux moins enthousiastes, elle préside aux intuitions, elle repose l’esprit fatigué. Les artistes le savent bien, qui vont de temps en temps donner des concerts aux malades de Bicêtre et de la Salpétrière.
Evidemment, employée par un thérapeute avisé, la musique peut devenir un véritable moyen curatif et suspendre la douleur physique aussi bien qu’elle suspend les douleurs morales. Mais il faut savoir s’en servir à propos. Le docteur Laborde signalait à l’Académie de médecine l’ingéniosité d’un chirurgien-dentiste qui pratiquait l’avulsion des dents en soumettant ses clients aux vapeurs anesthésiques du protoxyde d’azote, au milieu d’un concert de notes gaies échappées de la trompe d’un phonographe.
L’exemple sera suivi et la mode viendra peut-être de ne procéder aux morsures de l’acier dans les chairs qu’après avoir anesthésié le patient en musique et l’avoir bercé de quelque rêve harmonieux qui lui fera trouver douce et réconfortante la torture de son corps.
Pauvre, pauvre humanité quand même ! s’écriait à ce propos un de nos médecins. Et quel comique douloureux se dégage de certains de nos maux et de nos inventions pour les guérir !
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