LA FRANCE PITTORESQUE
23 août 1614 : la statue équestre
de Henri IV est placée sur le Pont-Neuf
(D’après « Mémoires historiques relatifs à la fonte et à l’élévation
de la statue équestre de Henri IV sur le terre-plein
du Pont-Neuf à Paris », paru en 1819)
Publié le jeudi 22 août 2024, par Redaction
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Ce fut en 1604, six ans avant la mort de Henri IV, lorsque le feu des guerres civiles était éteint, et que le royaume se trouvait dans l’état le plus prospère, que l’on pensa à élever une statue équestre au roi
 

Dans ses Essais historiques sur Paris en cinq volumes (1754-1757), l’écrivain et dramaturge Germain Poullain de Saint-Foix (1698-1776) explique que « sous la première, la deuxième et la troisième races des rois jusqu’au règne de Louis XIII, si l’on faisait la statue d’un roi, ce n’était que pour la placer sur son tombeau, ou bien au portail de quelque église, ou de quelque maison royale qu’il avait fait bâtir ou réparer. » Saint-Foix écrit encore que la statue du roi Henri « est la première, et le premier monument général et public de cette espèce, qu’on ait élevé dans Paris à la gloire de nos rois. Je n’aurais mis ni ces trophées d’armes, ni ces esclaves enchaînés aux quatre coins du piédestal, ni ces inscriptions qui sont aux quatre faces à la louange de ce prince : j’aurais mis simplement Henri IV. »

Nul prince, sans doute, n’en était plus digne que celui qui disait au président Jeannin. chargé d’écrire son histoire : « J’entends laisser la vérité en sa franchise ; et la liberté de la dire sans fard et sans artifice » et celui auquel de Thou, le plus véridique de nos historiens, adressait ces paroles : « Si je trahissais la vérité, je ferais tort au rare bonheur de votre règne, qui donne à chacun la liberté de penser ce qu’il veut, et de dire ce qu ’il pense. »


« Portrait de la statue équestre élevée à Paris, sur le Pont Neuf,
pour la glorieuse mémoire de Henri le Grand, roi de France et de Navarre,
restaurateur de la liberté française ». Estampe de 1722

Henri, très sensible à l’opinion publique, lisait volontiers ce qu’on imprimait sur ses opérations, et la vérité qu’il cherchait venait à son tour le chercher jusque sur le trône. Le plus bel hommage que l’on puisse rendre à ce monarque, c’est sans doute de dire qu’il était digne de l’entendre.

Un grand nombre de faits, parmi lesquels nous n’en citerons que quelques uns, prouvent que l’on jouissait sous le règne de Henri IV d’une grande liberté de parler, d’imprimer et d’écrire. L’Étoile rapporte que Henri, ayant lu le livre de l’Anti-Soldat, demanda au secrétaire d’État Villeroi s’il avait vu cet ouvrage ; et sur sa réponse négative : « Il faut, dit-il, que vous le voyiez ; car c’est un livre qui parle bien à ma barette, et encore mieux à la vôtre. » On voulait exciter Henri à punir l’auteur d’un écrit rempli de traits hardis sur la cour : « Je me ferais conscience, dit ce bon prince, de fâcher un honnête homme pour avoir dit la vérité. »

Un jour que Pierre Mathieu, choisi pour écrire son histoire particulière, lui lisait quelques pages de son ouvrage où il parlait de son penchant pour les femmes : « À quoi bon, dit d’abord Henri, de révéler ces faiblesses ? » L’historien lui fit sentir que cette leçon ne serait pas moins utile à son fils que celle de ses grandes actions. Le roi réfléchit un peu. « Oui, dit-il après un moment de silence, il faut dire la vérité toute entière. Si on se taisait sur mes fautes, on ne croirait pas le reste. Eh bien, écrivez-les donc afin qu’il les évite. »

L’Étoile raconte encore que, peu après la conversion du roi, Duhaillan étant venu à Saint-Denis saluer Henri IV, le souverain, avec un visage riant, lui demanda s’il continuait son histoire de France, à quoi ayant répondu que oui : « J’en suis bien aise, repartit le roi, mais n’oubliez pas d’y mettre bien au long les larcins de mes trésoriers, et les brigandages de mes gouverneurs. » La guerre n’était pas finie, et Sully n’était pas encore à la tête des finances.

La statue de Henri IV fut commandée à Jean de Bologne, sculpteur du grand-duc Ferdinand Ier. Cet artiste s’occupait alors avec Pierre Tacca, un de ses élèves les plus distingués, de la statue équestre du grand-duc, élevée postérieurement sur la place de l’Annonciade à Florence. Jean de Bologne commença le cheval sur lequel devait être la statue de Henri IV ; mais, cet artiste étant mort en 1608, Pierre Tacca lui succéda dans la charge de sculpteur de la cour, et eut la mission d’achever les travaux de son maître. Il termina le cheval en 1611, et ajourna, pour s’en occuper, d’autres ouvrages qu’il exécutait pour le grand-duc, d’après les ordres mêmes du prince auquel Concini avait adressé des sollicitations à cet égard. La statue ne fut entièrement achevée qu’en 1613. Le 30 avril, elle fut encaissée et embarquée à Livourne.

Le chevalier Pescholini et l’ingénieur Antoine Guido furent chargés par le grand-duc de l’accompagner, et de la présenter à la régente Marie de Médicis, veuve de Henri IV. Le bâtiment qu’ils montaient échoua sur les côtes de la Sardaigne ; mais l’équipage se sauva. On parvint avec beaucoup de peine à retirer la statue du sable où elle s’était enfoncée, et à la charger sur un autre navire. Le bruit avait couru à Paris que les hommes et le chargement avaient péri, lorsque le chevalier Pescholini débarqua au Havre et s’empressa de se rendre à Paris pour remplir sa mission près du roi et de la régente, qui lui témoignèrent leur satisfaction.

Des historiens modernes tels que Germain Brice ou Piganiol de la Force, ne remontant pas aux sources, ont avancé que le cheval seulement avait été envoyé d’Italie, et que la statue du roi avait été faite à Paris, par un artiste français nommé Dupré. Cette assertion est contredite par l’inscription trouvée sous le pied du cheval. Louis Savot dit aussi expressément que, « pour faire la statue du grand roi Henri, le sieur de Franqueville, son architecte et premier sculpteur, en fit un modèle qui fut envoyé exprès à Florence ». Baldinucci ajoute que le poids du cheval, avec la figure, était de 12 400 livres.

La régente, dès qu’elle eut vu la statue, écrivit au sculpteur la lettre suivante :

« Monsieur Pierre Tacca,

« En réponse à la lettre qui m’a été remise de votre part par Antoine Guido, ingénieur de mon cousin le grand-duc de Toscane, je vous témoigne le plaisir que le roi mon fils et moi nous avons eu à voir la belle statue de bronze que vous nous avez fait parvenir. Elle nous a paru digne de celui qu’elle représente. M. Guido m’a aussi remis le buste de bronze que vous m’avez envoyé. Il vous en dira ma satisfaction et la somme que j’ai ordonné qui vous fût payée ici à cet effet. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous conserve.

« 10 octobre 1614. Marie. »

Les expressions de cette lettre, extraite et traduite de l’ouvrage de Baldinucci, dans la Vie de Pierre Tacca, ne sont pas équivoques ; elles ne peuvent assurément s’appliquer à un cheval de bronze tout seul. Le Mercure Français, année 1614, où l’on rend compte de l’arrivée de la statue à Paris et de la pose de la première pierre du piédestal, ne dit nullement que cette statue équestre ne fût pas entière.

L’inscription, rapportée dans le Mercure, porte que « cette statue représentant à cheval S. M. Très-Chrétienne, a été commencée par Jean de Bologne, et achevée par Pierre Tacca » ; elle ne fait aucune mention de Dupré. Les inscriptions placées vingt et un ans après sur le piédestal et au-dessus de la grille qui fermait l’entrée du terre-plein, n’en font également aucune mention. Félibien, historien exact et estimé de la ville de Paris, et Henri Sauval, autre historien, qui ont consacré chacun un chapitre à la statue équestre de Henri IV, l’attribuent uniquement à Jean de Bologne et à Pierre Tacca. Enfin, il résulte de l’analyse qui fut faite au début du XIXe siècle de deux morceaux de bronze tirés, l’un du bras de la statue, et l’autre d’une jambe du cheval, que ce bronze est parfaitement identique.

En attendant que la statue fût amenée à Paris, on s’occupa de lui choisir un emplacement. Ce choix excita d’assez longs débats. Enfin on se détermina pour la pointe de l’île du Palais, vis-à-vis la place Dauphine, entre les deux ponts de pierre. Cet endroit était déjà un des points de la capitale le plus fréquenté et le plus admirable par sa situation. On considéra aussi que le monument se trouverait là au centre de plusieurs ouvrages que Henri IV avait fait exécuter, le Pont-Neuf, la rue, la place Dauphine, et la galerie du Louvre.

Statue équestre du roi Henri IV. Détail d'une peinture réalisée vers 1775 par Jean-Baptiste Lallemand

Statue équestre du roi Henri IV. Détail d’une peinture réalisée vers 1775 par Jean-Baptiste Lallemand

Un architecte, nommé Marchand, fut chargé de disposer l’emplacement, et de construire le piédestal en marbre. Louis XIII, mineur, en posa la première pierre le 2 juin 1614, en grande cérémonie. Mais le jeune roi, ayant été obligé de quitter Paris pour aller, en Poitou et en Bretagne, apaiser par sa présence quelques troubles que le prince de Condé et les autres princes avaient excités, la statue équestre fut mise en place, en son absence, le 23 août.

Néanmoins cette solennité ne fut pas sans éclat. Le président de la cour du parlement de Paris, le premier président de la chambre des comptes, le procureur général du roi, les trésoriers généraux de France y assistèrent en qualité de commissaires, et comme ayant l’intendance de la construction du Pont-Neuf. Ils étaient accompagnés de Pierre Francavilla, premier sculpteur du roi, et de François Bordone, son sculpteur ordinaire. Le prévôt de Paris, son lieutenant civil, le prévôt des marchands et ses échevins, étaient présents.

Le procès-verbal constatant l’objet de la cérémonie, rédigé, à la requête du premier sculpteur, par deux notaires garde-notes, fut copié sur vélin, enfermé dans un cylindre de plomb, avec de la poussière de charbon pour en prolonger la conservation, et placé dans le corps du cheval. Il ne fait pas d’ailleurs connaître en quoi consista la cérémonie.

C’était en France la première de ce genre, et il est à regretter que les détails n’en aient pas été conservés. La dédicace de cette statue fut l’occasion de plusieurs écrits latins et français. Parmi ces derniers, un des plus remarquables est celui de Jean-Philippe Varin, Bernois. Le style hyperbolique de ce discours se ressent du mauvais goût qui régnait encore à cette époque, mais peut donner une idée de l’admiration que l’on conservait pour la mémoire de Henri.

On blâma le sculpteur et l’architecte d’avoir placé le piédestal et la figure, de telle sorte qu’on ne les voyait presque point de l’intérieur de la place Dauphine, et que le roi, disait-on, en regardent l’entrée « de travers et de mauvais œil » (Sauval, Histoire des antiquités de Paris). Le roi était représenté la tête ceinte de lauriers, vêtu en habit de combat avec brassards et cuissards, l’écharpe et le collier des ordres sur la poitrine, tenant de la main gauche les rênes du cheval, et un bâton de commandement dans la droite.

« Les gens du métier, dit Sauval, tiennent la figure d’Henri IV si accomplie, qu’ils la font passer pour un des chefs-d’œuvre de Bologne. L’attitude leur en semble martiale autant que naturelle ; ils trouvent dans le corps beaucoup de grâce et de fermeté. Ils y remarquent, dans le port, cette majesté et cette douceur qui rendaient l’original si aimable, et qui le faisaient aimer si généralement de tous les peuples. Le visage en est si vivant et si ressemblant, qu’ils disent que la vie de ce héros sera aussi longue que cette figure, et qu’une représentation si naïve l’immortalisera mieux dans la mémoire des Français, que ne font ni l’histoire, ni les édifices. Il est bien vrai qu’il n’était pas difficile de représenter son visage au naturel, puisque nous voyons que tous ceux qui s’en sont mêlés y ont réussi ; mais, cependant, il faut avouer que cette figure est une des plus ressemblantes que nous ayons de ce grand prince.

« Le cheval n’est pas si estimé que la figure ; » à la vérité, c’est un coursier de Naples, fort noble et bien conditionné ; mais peut-être que, s’il avait un peu moins de flancs, de ventre et d’embonpoint, les jambes du roi n’en paraîtraient-elles pas si courtes, et lui-même serait beaucoup mieux proportionné à la taille du prince qu’il porte. Ce gros cheval foule aux pieds les quatre parties du monde, représentées par quatre captifs de bronze, grands comme nature, et liés aux quatre angles du piédestal, captifs qu’on peut appeler des squelettes, tant ils sont maigres et décharnés. Aussi ceux qui s’y connaissent soutiennent que, s’il n’y en avait pas du tout, cela n’en serait que mieux. »

Ces esclaves, ouvrages de Francavilla, de Bordone et de Tremblay, étaient enchaînés sur le socle, et avaient des armes antiques à leurs pieds. On prétendait qu’ils étaient trop petits, comparativement à la statue équestre, et que le piédestal en marbre blanc était aussi trop étroit. Sur les quatre faces du piédestal, il y avait des bas-reliefs en bronze avec des inscriptions. L’un représentait le combat d’Arques, combat célèbre où Mayenne déploya tout ce que la science militaire peut imaginer d’expédient dans une attaque dangereuse ; Henri tout ce que le génie et l’intrépidité peuvent fournir de ressources dans une défense difficile. Un autre, la bataille d’Ivry, dont le succès affermit pour toujours la couronne sur la tête de Henri, et dans laquelle il montra un héroïsme si entraînant pour des Français.

Le troisième, la réduction de Paris, triomphe pacifique d’un prince dont la bonté se flattait d’étouffer la haine à force de bienfaits. Le quatrième bas-relief représentait la prise d’Amiens, que les Espagnols avaient surpris en profitant d’un instant où la vigilance de Henri semblait s’être assoupie, ce qui donna lieu, de sa part, à ce mot, heureuse inspiration du plus noble caractère : « C’est assez faire le roi de France ; il est temps de faire le roi de Navarre. » Un autre, enfin, la prise de Montmélian, où, par la trahison de Biron, Henri courut de si grands dangers, mais qui fut bientôt suivie de la paix avec la Savoie, et du mariage de Henri avec Marie de Médicis.

Translation de la nouvelle statue équestre d'Henri IV depuis l'atelier du Roule jusqu'au Pont-Neuf. Estampe de 1818

Translation de la nouvelle statue équestre d’Henri IV depuis l’atelier
du Roule jusqu’au Pont-Neuf. Estampe de 1818

Quoique la statue équestre eût été élevée en 1614, peu après la pose de la première pierre par Louis XIII, mineur, sous la régence de Marie de Médicis, les ornements et les bas-reliefs ne furent achevés que vingt et un ans après, sous le ministère du cardinal de Richelieu. Ce fut aussi par l’ordre de ce ministre que l’on construisit le carré ou massif en maçonnerie, dont les encoignures étaient en bossages rustiques. Richelieu, qui ambitionnait tous les genres de gloire, voulut attacher son nom au monument de Henri IV. L’érection de la statue avait eu lieu depuis vingt et un ans ; cependant les inscriptions n’en rappellent pas l’époque ; et il permit que, dans celle qui était placée au-dessus de la grille fermant l’entrée de la place, on le qualifiât de vir supra titulos.

La statue de Henri subsista cent soixante et dix-huit ans. Elle fut, durant tout ce temps, l’objet de la vénération des Français, qui ne la voyaient jamais sans se rappeler les qualités et les vertus d’un si bon prince ; mais, de la réforme des abus que la France avait désirée avec ardeur, et qu’elle entreprit avec plus d’impétuosité que de prévoyance, elle se précipita dans l’abîme des révolutions.

Les républicains de 1792 crurent anéantir la monarchie en anéantissant les emblèmes de la royauté. Ils tombèrent sur tous les points de la France sous le fer de la populace chargée d’exécuter le décret de l’Assemblée nationale qui avait ordonné leur destruction. À Paris, dit un historien, une foule immense se porta dans les places publiques, où s’élevaient les statues de Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV et de Louis XV. On détruisit avec fureur ces monuments, et l’on commença la longue guerre que la barbarie a faite parmi nous aux beaux arts. Le bronze fut destiné à faire des canons. La statue de Henri ne put être protégée par l’antique amour du peuple. La hache parricide abattit l’image d’un bon roi, d’un grand homme. Les attributs de la royauté furent effacés de tous les lieux publics, et proscrits dans toutes les maisons particulières.

Un peu avant l’époque de ces destructions, le peuple obligeait les passants à s’incliner devant la statue de Henri IV. Quelques mois après, ce même peuple la renversa et la brisa. Inexplicable contradiction d’amour et de haine, de respect et de fureur. L’ancienne statue fut remplacée le 25 août 1818 par l’œuvre du sculpteur François-Frédéric Lemot.

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