LA FRANCE PITTORESQUE
Muguet disputé, homme muguet,
muguetter et muguettes
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1927
et « Les végétaux dans les proverbes » paru en 1905)
Publié le lundi 8 février 2010, par LA RÉDACTION
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L’habitude de se fleurir de muguet, le 1er mai, femmes, jeunes gens et jeunes filles, est une mode du début du XXe siècle. En 1913, l’habitude était déjà née, car cette année-là les fleuristes en boutique eurent la prétention d’empêcher les fleuristes au panier de vendre du muguet, de celui que les horticulteurs obtiennent en le forçant. Ils demandaient aux horticulteurs de ne vendre le muguet qu’aux fleuristes établis ; les horticulteurs répondirent, après concertation, par une fin de non recevoir. Et le muguet porte-bonheur fut offert au panier.

Raoul Ponchon fit une chanson sur cet incident :

Ainsi donc, jeunes midinettes,
Petits trottins et trottinettes,
Vous n’avez pas votre muguet,
Du premier mai, frêle et mystique,
A moins d’aller dans les boutiques
Où le syndicat fait le guet.

Mais consolez-vous, à tout prendre,
Vous ne perdrez rien pour attendre
Vous aurez le muguet des bois
Un peu plus tard, et plus sincère,
Que celui qui pousse dans des serres.
Et plus parfumé mille fois.


En 1913, le muguet était déjà une fleur disputée. Elle valait cher dans les rues, une dizaine de sous le bouquet. Il a coûté entre dix et vingt sous, cette année (1927), il y en avait à profusion ; mais dans les boutiques aristocratiques, le très petit bouquet de vingt sous de la rue se vendait vingt francs. Et l’on faisait la queue chez les marchands. Ce qu’on peut dire, c’est que la mode toute populaire à l’origine et limitée aux jeunes filles des métiers les plus élégants a gagné les classes aristocratiques.

Le muguet, homme, est ainsi défini dans le dictionnaire comique de Leroux : Godelureau, damoiseau, qui est toujours ajusté et paré comme une femme ; délicat, pimpant, poudré et essencé, qui fait le beau et l’Adonis. Le petit monsieur si abondamment qualifié avait reçu son nom de l’essence de muguet dont il se parfumait. Sa mauvaise réputation est ancienne, car déjà Desportes dans Les Amours d’Hippolyte, le traite avec peu de ménagements :

Fuyez aussi toute accointance
De ces muguets pleins d’apparence,
Qui se paissent de vanité,
Et qui fondent leur récompense
Plus au bruit qu’à la vérité.

Son nom n’en a pas moins servi pendant longtemps à désigner les petits-maîtres à la mode qui affectaient les belles manières et qui donnaient le ton ; on le rencontre souvent dans Molière. C’est avec ironie que Sganarelle dit à son frère Ariste :

Ne voudriez-vous point, dis-je, sur ces matières,
De vos jeunes muguets m’inspirer les manières ?
(L’École des Maris, act. Ier, sc. 1)

Il y a aujourd’hui, et depuis longtemps, d’autres noms que celui de muguet pour désigner les jeunes gens faisant profession d’élégance et de galanterie ; mais le nom subsiste encore, surtout en littérature, dans Victor Hugo, Musset et L.&nbvsp;Reybaud, par exemple. Il n’en est pas de même du verbe auquel il avait donné naissance : Muguetter, faire le galant, chercher à plaire. Ce verbe avait même pris de l’extension, et signifiait briguer, convoiter, désirer d’obtenir. Saint-Simon parle dans ses Mémoires d’une succession qui était muguettée, et raconte que le duc de Noailles obtint du régent le gouvernement et la capitainerie de Saint-Germain, qu’il avait toute sa vie muguettée.

... Une fille d’ici
Me tracassait, me donnait du souci :
C’était Collette, et j’ai vu la friponne
Pour mes écus, mugueter ma personne.
(Voltaire, Le Droit du seigneur, act. Ier, sc. 2)

Le mot avait si bien fait son chemin, qu’il y avait aussi un adjectif se rapportant aux agissements des muguets :

... Et vous verrez ces visites muguettes
D’un oeil à témoigner de n’en être pas soûl ?
(Molière, L’École des Maris, act. Ier, sc. 2)

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