La fondation de l’Académie de musique et de poésie, ancêtre du Conservatoire National de Musique, remonte à une époque beaucoup plus éloignée que celle qui lui est généralement assignée. Charles IX fut en effet sollicité en ce sens dès le XVIe siècle, et donna son autorisation car estimant que les exercices qui s’y feraient seraient « à l’honneur de Dieu, et accroissement de notre Etat, et à l’ornement du nom du peuple français ».
Déjà, lorsque Louis XIV, en 1669, autorisa l’ouverture d’un théâtre pour la représentation des drames lyriques par des lettres-patentes, dans lesquelles, en témoignage de sa haute faveur, il déclarait que « gentilshommes, demoiselles et autres personnes pourraient chanter aux dits opéras sans déroger à leur noblesse et privilèges » ; déjà, près d’un siècle auparavant, Charles IX avait permis, avec une égale bienveillance, l’établissement d’une Académie de musique. Les actes officiels, relatifs à cette institution, abondent en documents curieux.
Les sieurs de Baïf et de Courville exposèrent au roi Charles IX, en 1570, que depuis trois ans ils travaillaient « avec grand étude et labeur assidüel à remettre sus, pour l’avancement de la langue française, tant la façon de la poësie que la mesure et règlement de la musique, anciennement usitée par les Grecs et les Romains, et qu’ils avaient déjà parachevé quelques essais mesurés mis en musique mesurée, selon les loix, à peu près, des maîtres de la musique du bon et ancien âge ».
Ils demandaient, dans l’intérêt public, et aussi pour recueillir le fruit de leur peine, qu’il leur fût permis « de dresser, à la manière des anciens, une académie composée de compositeurs, de chanteurs, de joueurs d’instrumens et d’honnêtes auditeurs », qui serait une pépinière « d’où se tireroient un jour poëtes et musiciens, par bon art instruits et dressez ». Ils soumettaient, en même temps, au roi, un projet de règlement.
Charles IX, après avoir pris l’avis de la reine, des princes du sang et des grandes et notables personnes du conseil, accorda l’autorisation demandée. « Parce que nous avons toujours eu, dit-il dans ses lettres-patentes, en singulière recommandation, à l’exemple de très-bonne et très-louable mémoire le roi François, notre ayeul, que Dieu absolve, de voir partout celuy notre royaume les lettres et la science florir, et mesmement en notre ville de Paris où il y a un grand nombre d’hommes qui y travaillent et s’y étudient chaque jour ; et que l’opinion de plusieurs grands personnages tant législateurs que prêtres anciens, ne fait à mépriser, assavoir, qu’il importe grandement pour les mœurs des citoyens d’une ville que la musique courante et usitée au pays soit retenue sous certaines loix, d’autant que la pluspart des esprits des hommes se conforment et comportent selon qu’elle est, de façon que, où la musique est désordonnée, là volontiers les mœurs sont dépravées, et où elle est bien ordonnée, là sont les hommes bien morigénez.
« Et à ce que à notre intention, ajoutait-il ensuite, ladite Académie soit suivie et honorée des plus grands, nous avons libéralement accepté et acceptons le surnom de protecteur et de premier auditeur d’icelle, parce que nous voulons et entendons que tous les exercices qui s’y feront soyent à l’honneur de Dieu, et accroissement de notre Etat, et à l’ornement du nom du peuple françois. »
Quelques-unes des dispositions du règlement, auquel les lettres-patentes donnaient entière approbation, méritent d’être rapportées. Les auteurs commençaient par définir dans une sorte de préambule la perfection musicale à laquelle ils voulaient arriver, « afin, disaient-ils, que par ce moyen les esprits des auditeurs accoutumez et dressez à la musique, se composent pour estre capables des plus hautes connaissances, après qu’ils seront répurgez de ce qu’il pourrait leur rester de la barbarie ».
L’Académie devait être fondée et entretenue, indépendamment du produit des recettes, au moyen d’une cotisation faite par des auditeurs en titre (de véritables actionnaires) : les directeurs se réservaient le droit d’admettre ou de refuser à leur gré, non seulement tel ou tel auditeur en titre, mais encore tel ou tel auditeur accidentel. Les musiciens étaient tenus de jouer tous les dimanches, « deux heures d’horloge durant », pour le plaisir des auditeurs ; ils étaient tenus, en outre, de faire tous les jours les répétitions nécessaires et d’accepter les parties que leur assigneraient les entrepreneurs, « lesquels, était-il dit, ils seront obligé de croire pour ce qui sera de la musique ».
Chacun des auditeurs devait recevoir un médaillon, comme carte d’entrée ; cette carte était toute personnelle, « et avenant le cas où quelqu’un auditeur iroit de cette vie à l’autre », ses héritiers étaient obligés de rapportes le médaillon sous peine de cent livres d’amende. Deux dernières dispositions, que l’on peut recommander aux méditations des directeurs modernes, étaient ainsi conçues :
« Les auditeurs, pendant que l’on chantera, ne parleront, ni ne s’accouteront, ni ne feront bruit, mais se tiendront le plus coy qu’il leur sera possible, jusqu’à ce que la chanson qui se prononcera soit finie, et durant que se dira une chanson, ne frapperont à l’huis de la salle qu’on ouvrira à la fin de chaque chanson pour admettre les auditeurs attendans. »
Malgré l’approbation si formelle donnée par le roi, et malgré toute la maturité avec laquelle le règlement avait été rédigé, le parlement, dont la sanction était nécessaire, loin d’être unanimement convaincu de la moralité de l’entreprise, craignait, au contraire, qu’elle ne tendît à efféminer, amollir et corrompre la jeunesse.
Aussi pour le désarmer, les directeurs, dans leur requête afin d’enregistrement, invitaient-ils douze de ces messieurs à assister gratis à une représentation, et offraient-ils au premier président, à l’un des plus vieux conseillers, au procureur-général et à l’un des avocats du roi, d’être de fait et de nom les réformateurs de l’Académie « pour avoir l’œil à ce que rien ne s’y fasse à l’avenir qui soit contre les lois et bonnes mœurs ».
Ces propositions eurent un bon résultat, car les lettres-patentes furent enregistrées, après toutefois que l’épreuve demandée eut été faite et que l’Université de Paris eut donné son assentiment.
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