Personnage caricatural dont Balzac dira qu’il représente « l’illustre type des bourgeois de Paris » du XIXe siècle, Monsieur Prudhomme dut sa naissance à l’imagination de l’humoriste et dramaturge Henry Monnier, dans des circonstances insolites, vers 1830
Ce dernier prenait ses repas dans un petit café de la rue Saint-Louis, proche de la rue de Rohan et de la rue de Chartres. L’établissement s’appelait le Café des Cruches, enseigne irrévérencieuse, que justifiait la physionomie de certains consommateurs.
Des bourgeois du quartier, gourmés, solennels et phraseurs, s’y assemblaient. Entre deux parties de bésigue, ils péroraient gravement, censurant le roi, les ministres, émettant des opinions réfléchies sur les choses de l’Etat. Parfois, ils osaient aborder la littérature. Et les cheveux du jeune Monnier, qui multipliait alors les albums de lithographies, se hérissaient d’horreur.
Un jour, il parut grimé, méconnaissable. Des besicles d’or chevauchaient son nez bourbonien ; les pointes de son col poignardaient ses joues ; de lourdes breloques s’étalaient sur son ventre copieux, que drapait un magnifique gilet à fleurs. Il s’assit parmi les hôtes habituels de l’estaminet et parla.
Ceux-ci écoutèrent, bouche bée, cet orateur disert, qui déclara se nommer Prudhomme (Joseph), exercer la profession de maître d’écriture, et qui tout de suite les émerveilla par la sonorité de son verbe, la noblesse de son geste, l’éclatante évidence de ses affirmations, la profondeur de ses aperçus. Minute inoubliable... Les lettres françaises venaient de s’enrichir d’une figure immortelle.
On prête à Henry Monnier nombre de mystifications dont il usait comme sujets d’étude. Ainsi, dans un omnibus, faisant passer la monnaie rendue par le conducteur à une vieille fille assise au fond de la voiture, c’est un petit papier que le caricaturiste glisse à travers cette monnaie, et sur lequel il a écrit, au crayon, à l’avance, ces quelques mots : « Je vous aime. Le Conducteur ». Tête de la victime, prenant connaissance de cette déclaration inattendue. Joie de Mmonnier. Ahurissement du conducteur quand, au lieu de s’entendre dire : « merci », pour l’empressement qu’il met à aider la vieille fille à descendre, il reçoit un soufflet !
Et la scène du chalet de nécessité. Monnier vient de voir entrer un certain nombre de clients au W.-C. Il survient, à son tour, non en solliciteur de cabine, mais avec les allures d’un commissaire de police, chargé de quelque urgente enquête : « Que tout le monde sorte ! » s’écrie-t-il d’une voix impérieuse. Effarement dans les cabines ! Il répète son ordre : « Au nom de la loi ! » Les portes s’entrebâillent. Des têtes sortent. Monnier dévisage rapidement toutes ses victimes : « Maintenant, vous pouvez continuer ! »
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