LA FRANCE PITTORESQUE
6 novembre 1656 : mort de l’astronome,
astrologue et mathématicien
Jean-Baptiste Morin
(D’après « Biographie universelle ancienne
et moderne » (Tome 30) paru en 1821
et « Biographie universelle, ou Dictionnaire historique des hommes qui se
sont fait un nom par leur génie, etc. » (Tome 4) édition de 1839)
Publié le mercredi 6 novembre 2024, par Redaction
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Astrologue le plus réputé de France ayant côtoyé Richelieu et Mazarin, Jean-Baptiste Morin, qui soutenait farouchement l’immobilité de la Terre, fut également le plus malheureux des hommes, la dernière décennie de sa vie étant émaillée de polémiques déshonorantes, de trahisons et d’ambitions déçues
 

Baptisé en février 1583 à Villefranche, dans le Beaujolais, il fit son cours de philosophie à Aix, et alla ensuite étudier la médecine à l’université d’Avignon, où il reçut le doctorat en 1613. S’étant rendu à Paris pour y exercer son état, il fut admis chez Claude Dormy, évêque de Boulogne qui, lui ayant reconnu des dispositions particulières pour les sciences naturelles, l’envoya visiter à ses frais les mines d’Allemagne et de Hongrie.

A son retour, Morin se lia d’une étroite amitié avec un Écossais nommé Davisson qui, détrompé des chimères de l’astrologie, y avait renoncé pour s’appliquer à la médecine. Les raisonnements de son ami contre l’astrologie firent naître à Morin l’envie d’étudier cette science ; et il y prit tant de goût, qu’il renonça à la pratique de son art pour se livrer entièrement à cette nouvelle étude. Entêté des découvertes qu’il croyait y faire chaque jour, il se crut bientôt en état de prédire l’avenir ; et il annonça à l’évêque de Boulogne que, dans le courant de l’année 1617, il serait mis en prison. Ce prélat intrigant fut en effet arrêté ; et Morin se consola de la perte de son protecteur, par le plaisir d’avoir deviné juste.


Jean-Baptiste Morin. Gravure de Nicolas Poilly le Jeune, d’après Albert Flamen

Avec un pareil talent, il ne pouvait guère d’ailleurs manquer de se faire des amis. Il entra, eu 1621, au service du duc de Luxembourg ; mais ne jugeant pas le traitement qu’il en recevait assez considérable, il le quitta en le menaçant d’une maladie dangereuse, qui emporta effectivement ce seigneur au bout de quelque temps. Mécontent des grands, il s’attacha cependant encore au maréchal d’Effiat, et obtint, en 1630, la chaire de mathématiques au Collège royal. Ses amis lui conseillèrent d’épouser la veuve de Sainclair, son prédécesseur ; et il céda à leurs raisons. Mais, comme il allait rendre une première visite à la jeune veuve, il apprit qu’on faisait les dispositions pour ses funérailles ; et, frappé de cet événement, il prit la résolution de ne jamais se marier.

Morin avait gagné la confiance du cardinal de Richelieu, qui daignait le consulter quelquefois. Il lui fit part des moyens qu’il avait imaginés pour trouver les longitudes en mer ; mais les commissaires chargés d’examiner cette découverte, ne lui ayant pas été favorables dans leur rapport, il n’obtint pas les encouragements qu’il avait réellement mérités, et se brouilla sérieusement avec le premier ministre. Jean-Baptiste Morin fut plus heureux avec le cardinal Mazarin, qui lui accorda, en 1645, une pension de 2000 livres, somme considérable pour le temps.

On rapporte que le Léon Bouthillier, comte de Chavigny et secrétaire d’État de Louis XIII, réglait toutes ses démarches par les avis de Jean-Baptiste Morin, et, ce qu’il regardait comme le plus important, les heures des visites qu’il rendait au cardinal de Richelieu. Morin ne se trompa, dit-on, que de peu de jours dans la pronostic de la mort de Gustave Adolphe, roi de Suède mort en 1632. Il rencontra, à dix heures près, le moment de la mort du cardinal de Richelieu. Ayant vu la figure de Cinq-Mars, sans savoir de qui elle était, il répondit que cet homme-là aurait la tête tranchée. Morin se méprit de seize jours seulement à la mort du connétable de Lesdiguières, et de six à celle de Louis XIII.

S’il fit en d’autres occasions de lourdes bévues, qu’on ne manqua pas de relever, il faut cependant convenir qu’en général la justesse avec laquelle il devina est difficile à expliquer. « Ceux qui croient à ces sortes de prédictions, dit un auteur, ou sont eux-mêmes infatués de l’astrologie judiciaire, de l’art cabalistique et autres charlataneries de ce genre, ou supposent dans les horoscopistes un pacte implicite avec l’esprit des ténèbres ; car un homme sensé ne verra jamais ici aucun rapport entre les moyens et la fin. »

Les grandes querelles qu’il eut à soutenir contre les partisans de Copernic, contre les ennemis de l’astrologie judiciaire, et enfin, contre ceux qui lui disputaient la découverte des longitudes, occupèrent toute sa vie. Il mourut à Paris le 6 novembre 1656, et fut inhumé dans l’église de Saint-Étienne-du-Mont, avec épitaphe qu’il avait composée, et que l’abbé Goujet rapporte dans l’Histoire du Collège royal.

Morin aurait pu être très utile à l’astronomie si, par un travers d’esprit déplorable, il ne se fût établi comme le champion de l’astrologie judiciaire, et l’un des contradicteurs les plus opiniâtres de Copernic et de Galilée, en soutenant avec une sorte de rage l’immobilité de la terre. Outre les ouvrages publiés par Morin, et il a laissé en manuscrit plusieurs Opuscules astronomiques. Parmi les productions de cet astrologue, on se contentera de citer :

Famosi problematis de telluris motu vel quiete hactenus optata solutio (1631). C’est dans cet ouvrage que Morin se déclara contre le système de Copernic, dont l’adoption, comme il le sentait bien, devait ruiner tous les principes sur lesquels reposaient les calculs de l’astrologie judiciaire.

Longitudinum terrestrium et caelestium nova et hactenus optata scientia (1634). Morin, ayant fait successivement des additions à cet ouvrage, le reproduisit en 1640 sous le titre Astronomia jam a fundamentis integre et exacte restituta. Il est divisé en neuf parties, et contient de fort bonnes choses. La méthode de Morin pour déterminer les longitudes en mer consistait à calculer la hauteur de la lune, et mesurer la distance d’une étoile dont la position était connue.

Cette même méthode, simplifiée par Pagan, est celle que Lemonnier et Pingré proposaient d’adopter : elle fut d’abord accueillie par les commissaires que le cardinal de Richelieu avait nommés, et rejetée ensuite, parce que la théorie de la lune n’était pas assez perfectionnée, et qu’il n’indiquait aucun moyen de s’assurer de la régularité d’une opération. Les instruments d’astronomie usités à cette époque étaient d’ailleurs trop imparfaits pour donner à ces observations une précision suffisante et utile dans la pratique.

On trouve encore des choses fort remarquables dans l’ouvrage de Morin, et par exemple la description du moyen ingénieux qu’il avait imaginé pour continuer d’observer une étoile fixe ou une planète pendant une heure après le lever du soleil, découverte plus curieuse qu’utile, d’autant plus que le mouvement du vaisseau eût rendu l’observation impraticable sur mer.

Tandis que les juges de Morin lui refusaient l’honneur d’avoir travaillé utilement à la détermination des longitudes, quelques astronomes revendiquaient pour Longomontan — Chrétien Longomotan est un astronome danois ayant travaillé sur la composition d’un système de l’univers, et ayant passé huit ans près de son compatriote le célèbre autre astronome Tycho Brahe mort en 1601 — la gloire que s’attribuait Morin ; et le Père Du Liris, religieux récollet, se vantait d’avoir découvert un meilleur procédé. Morin répondit à ce nouveau rival par un ouvrage intitulé : La Science des longitudes, réduite en une exacte et facile pratique sur le globe céleste, tant pour la terre que pour la mer, avec la censure de la nouvelle théorie et pratique des longitudes du Père Du Liris, etc. (1647)

Morin lui reproche de l’avoir pillé et de ne pas posséder les premiers éléments des mathématiques. A ces grossières accusations, le Père Du Liris répondit avec une modération qui ne fit qu’augmenter la colère de Morin ; mais ces deux hommes finirent par se réconcilier.

Signalons également une lettre de Jean-Baptiste Morin intitulée Epistola de tribus impostoribus (1654). Les trois prétendus imposteurs qu’y signale Morin sont Gassendi, avec lequel il s’était brouillé à l’occasion du système de Copernic, Bernier, et Mathurin de Neuré. Il la publia sous le nom de Vincent Panurge, en se l’adressant à lui-même, afin de pouvoir dire plus librement ce qui lui plairait.

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