S’étant lui-même surnommé le poète sans fard et en soutenant assez bien le caractère, il disait volontiers tout ce qu’il pensait, surtout des poètes ses confrères, lesquels le méprisaient en retour, mais il prenait bien la critique et convenait le premier des fautes qu’on lui imputait avec raison
Né à Lyon le 16 février 1667, François Gacon était fils de Pierre Gacon, négociant de cette ville qui, après lui avoir fait faire ses premières études, le destina au commerce ; mais bien loin de se prêter aux vues de sa famille, il continua ses études, et entra même dans la Congrégation de l’Oratoire, où il fit un cours de philosophie et de théologie.
Après y avoir demeuré cinq ans, il en sortit, et comme il paraissait vouloir embrasser l’état ecclésiastique, on lui acheta une charge de clerc de chapelle chez le duc d’Orléans, frère unique de Louis XIV. Gacon renonça cependant bientôt à cet emploi qui gênait son goût et sa liberté, et se donna tout entier à la poésie, qui fit son unique occupation pendant plus de trente ans.
Il exerça son génie sur toutes sortes de sujets et dans tous les genres de poésies, satires, épigrammes, rondeaux, épîtres, odes, tragédies et comédies : tout était de son ressort. Son penchant naturel pour la satire et pour la critique lui faisaient écouter aisément tous ceux qui le sollicitaient à écrire dans ce genre, sans faire attention aux motifs secrets ou personnels qui pouvaient les animer. De là ces satires malignes et outrées contre plusieurs écrivains célèbres, qui affectèrent de ne lui point répondre. Il exerça notamment sa verve contre Jean-Baptiste Rousseau (1669-1741), Antoine Houdar de La Motte (1672-1731), Nicolas Boileau (1636-1711), Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) ou encore Voltaire (1694-1778).
Il ne paraissait aucun ouvrage pour le théâtre, soit comédie, soit opéra, soit tragédie, que le poète sans fard — c’était son nom poétique — ne lâchât une épigramme, ou contre l’auteur, ou contre la pièce, souvent même avant qu’elle eût été représenté. Enfin, toujours prêt à attaquer et à se défendre, il se mêla indistinctement dans toutes les disputes littéraires du temps.
En 1717, il remporta le prix de poésie de l’Académie française ; mais cette Compagnie ne voulut point permettre qu’il lui en fît des remerciements publics, quoiqu’il l’eût souhaité ; et elle prit le parti de le lui envoyer par l’abbé de Choisy. Cette démarche, sans compromettre l’Académie, qui faisait connaître son intégrité en lui adjugeant le prix, ne faisait aucun tort à l’auteur à l’égard duquel elle n’en usait ainsi que parce qu’il avait attaqué presque tous ceux qui la composaient.
Il fit la plupart des brevets de la calotte, et seconda parfaitement les idées d’Aymon, inventeur de cette espèce de satire qui sous le voile d’un léger badinage ne laissait pas de porter de rudes coups à ceux qu’on décorait de ces burlesques et comiques brevets.
Enfin, rebuté de tous ces combats poétiques, se trouvant par hasard dans un beau prieuré de l’Ordre de Cluny, et se souvenant qu’il avait pris la tonsure dans sa jeunesse, il en sollicita la nomination auprès de l’archevêque de Cambrai, prieur de Saint-Martin-des-Champs, qui en était le collateur, et il l’obtint sur la démission du titulaire. Il en prit possession en février 1723 et y demeura jusqu’à sa mort, le 15 novembre 1725, âgé de près de 59 ans. Il fut enterré dans la chapelle de ce prieuré.
Son humeur était particulière ; sa conduite l’était aussi. Il était ennemi du faste, peu capable de travailler pour la fortune et de s’appliquer à aucune affaire sérieuse. Il avait la mémoire fort heureuse, et on lui a souvent ouï dire qu’il n’avait jamais rien oublié de ce qu’il avait appris. Il faisait des vers avec facilité, mais cette facilité explique qu’il n’a pas donné à ses ouvrages toute la perfection qu’il aurait pu leur donner. Il n’y mettait jamais la dernière main, surtout quand ils avaient une certaine étendue, et quoiqu’il avouât de bonne foi ses fautes ou ses négligences, il ne pouvait se résoudre à les corriger.
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