LA FRANCE PITTORESQUE
24 novembre 1826 : mort de l’acteur
de théâtre Antoine Michaut dit Michot
(D’après « Éphémérides universelles, ou Tableau religieux, politique,
littéraire, scientifique et anecdotique, présentant, pour chaque jour de l’année,
un extrait des annales de toutes les nations et de tous les siècles,
depuis les temps historiques jusqu’à nos jours » (Tome 11) édition de 1835,
« L’intermédiaire des chercheurs et curieux » paru en 1913,
« Biographie universelle et portative des contemporains »
(Tome 5) paru en 1836 et « Biographie universelle, ancienne et moderne.
Supplément » (Tome 74) paru en 1843)
Publié le dimanche 24 novembre 2024, par Redaction
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Issu d’une famille étrangère au théâtre, Michot y fut cependant destiné de bonne heure, et n’avait pas 16 ans lorsqu’il débuta à l’Ambigu-Comique, possédant toutes les qualités d’un grand comédien : chaleur, sensibilité, rondeur, gaieté, débit et jeu plein de comique, de franchise et de vérité, excitant presque en même temps le rire et l’attendrissement.
 

Né à Paris en 1765, Antoine Michaut dit Michot a 20 ans lorsqu’il passe en 1785 dans la troupe des petits comédiens, dits Beaujolais, nouvellement établie au Palais-Royal, ses heureuses dispositions y furent contrariées par la ridicule condition imposée à ce théâtre d’avoir des acteurs doubles, dont les uns parlaient et chantaient dans les coulisses, tandis que les autres gesticulaient sur la scène, et il fut engagé, en 1786, au nouveau théâtre des Variétés amusantes, rue de Richelieu. Il y créa, la même année, dans la jolie comédie de Guerre ouverte, le rôle de Frontin qui commença sa réputation.

Divers rôles de valets et d’intrigants qu’il établit encore dans d’autres comédies de Dumaniant, de Pigault-Lebrun, etc., l’avaient placé au rang des meilleurs comédiens de Paris, lorsqu’en 1790, quelques acteurs, transfuges du faubourg Saint-Germain, vinrent se joindre à ceux du nouveau théâtre construit par Victor Louis, rue de Richelieu. Une réforme s’imposa à ce théâtre tant dans le titre et dans le répertoire que dans le personnel. On n’eut garde de renvoyer Michot qui se trouva dès lors l’égal de Monvel, de Dugazon, de Grandmesnil et de Talma.

Antoine Michaut (dit Michot). Peinture de Jean-Baptiste Singry (1782-1824) réalisée vers 1815

Antoine Michaut (dit Michot). Peinture de Jean-Baptiste Singry (1782-1824) réalisée vers 1815

Au début de la Révolution, Michot abandonna un instant les planches pour jouer un rôle sur la scène politique. Il fut nommé Commissaire du pouvoir exécutif dans la Savoie — le Moniteur universel du 17 octobre 1792 contient le discours qu’il prononça à l’inauguration du club de Chambéry — nouvellement conquises par les troupes françaises, et contribua à l’organisation administrative du département du Mont-Blanc ; en 1793, le Comité de salut public lui confia diverses missions à l’intérieur. Et, bien qu’il ait toujours fait preuve de justice et de modération, il n’en fut pas moins décrété d’accusation après la réaction thermidorienne ; mais il se disculpa aisément des dénonciations dirigées contre lui, et renonça à la politique pour se consacrer entièrement à son art.

Il ne cessa de se concilier l’estime et la faveur du public par ses qualités sociales autant que par ses talents. Lorsqu’en 1798, tous les comédiens français dispersés furent réunis au théâtre de la rue de Richelieu, qui quitta alors le nom de théâtre de la République, pour prendre celui de Théâtre-Français, Antoine Michaut devint membre sociétaire de la nouvelle troupe, et fut toujours très applaudi à côté de Molé, de Fleury et de Mlle Contat.

Ses opinions politiques, à supposer qu’il en eût réellement, étaient si flexibles qu’il accepta ensuite, sans hésiter, la direction du théâtre de la Malmaison à l’époque où, sous le titre de Premier Consul, le maître de ce château venait d’anéantir la République ; et l’on sait qu’après la Restauration et pendant les Cent-Jours, il se montra zélé royaliste.

Cependant aucun acte sanguinaire ne lui a été reproché. Quand il parlait de ses anciennes fonctions, de son sabre, de son costume militaire, il avait soin d’ajouter : « J’étais un enfant. » D’ailleurs, dans ses dernières années, il cachait son âge ; et on se moquait un peu, dans les coulisses, de sa prétention à vouloir passer encore pour jeune.


Michot dans le rôle de Buller de la pièce Les Deux frères (comédie
d’Auguste von Kotzebue). Dessin de Jolly (1776-1839) réalisé en 1799

Insouciant par caractère, peu jaloux d’occuper la renommée, cet acteur ne fit jamais la cour aux journalistes qui parlèrent rarement de lui, et fut toujours étranger aux intrigues de coulisses. Michot était un comédien très remarquable ; en ce que son jeu ne ressemblait à celui d’aucun autre. C’est beaucoup que d’être original sur le théâtre et de posséder ce qu’on appelle un cachet. Le talent de Michot se distinguait par de la rondeur, de la vérité, de la chaleur, et il alliait la sensibilité au comique. Il était gros, sa tournure était épaisse et sa figure commune : cependant son rire était agréable et communicatif. Michot parlait souvent de Préville, et l’on voyait que, sans en avouer la prétention, il se flattait d’avoir des rapports avec ce fameux comédien.

Sa vanité était excusable ; car jamais, peut-être, aucun acteur ne fut plus que lui l’enfant gâté du public. Et cependant Michot jouait très peu de rôles, était fort paresseux, manquait de mémoire, et faisait son service sans se gêner le moins du inonde. Il passait pour bon homme et ne manquait pas de calcul et de finesse. Il paraissait peu les mauvais jours, abandonnait les ouvrages usés, s’accrochait au noyau de la troupe dorée et répétait souvent : « Quand nous jouons, la salle est pleine. » Sa carrière dramatique fut très heureuse, et il dut ce bonheur à son talent sur le théâtre et à son savoir-faire dans les coulisses.

Antoine Michaut était excellent dans cinq ou six rôles qu’on avait faits pour lui, tels que le matelot Buller des Deux frères, le financier de la Belle fermière, le capitaine Copp de La Jeunesse de Henri V, le corsaire des héritiers et le chanoine de Milan ; mais il ne savait pas dire les vers, et les rôles du grand répertoire le gênaient : il lui manquait l’éducation première d’un noble et fier comédien français. Ses études avaient été faites sur les petits théâtres, on s’en apercevait quelquefois alors ; aujourd’hui on n’y prendrait pas garde.

Les écoliers, les gens du monde qui ne vont au théâtre que par délassement, qui réfléchissent peu sur l’art du comédien et n’en approfondissent guère les principes, étaient enthousiastes du talent de Michot, et le plaçaient sur la même ligne que Molé, Fleury, Mlles Mars et Contat, Mme Talma, Mlle Devienne, Grandménil, etc. ; mais les vrais connaisseurs, les amateurs passionnés de la bonne comédie, prétendaient que Michot visait tant à ce naturel qu’on vantait en lui, se donnait tant de soins pour y parvenir, qu’il dépassait quelquefois ce but en trahissant les efforts qu’il faisait pour y arriver. Il est difficile de bien exprimer l’idée que nous tâchons de rendre ici : elle est si fine et si déliée qu’il faut, pour la saisir, un instinct de comédie fort rare ; mais un amateur distingué du Théâtre-Français a tâché de la définir, en disant : « Il y a dans le jeu de Michot un peu d’hypocrisie de vérité. »


Michot dans le rôle du capitaine Copp de la pièce La jeunesse d’Henri V
(comédie d’Alexandre Duval). Dessin de Carle réalisé en 1806

Dans ses dernières années, soit paresse, soit raison de santé, il paraissait rarement sur la scène, au grand regret du public. Il s’y montra, pour la dernière fois, le 24 février 1821, pour sa représentation de retraite, où il joua de la manière la plus comique Le Bourgeois gentilhomme.

Antoine Michaut jouissait d’une fortune considérable. Il s’était retiré dans une fort belle campagne qu’il possédait à Fontenay-aux-Roses. Diverses attaques d’apoplexie l’obligèrent à revenir à Paris. Frappé de la mort de François-Joseph Talma le 19 octobre 1826, il se rendit au foyer du Théâtre-Français, où ses anciens camarades remarquèrent avec douleur sur son visage et dans toutes les habitudes de son corps, les signes précurseurs d’une prochaine destruction. Une dernière attaque l’emporta, le 24 novembre 1826, à l’âge de 61 ans, dans les bras de Victor Augier, avocat à Paris et mari de sa nièce, et de son fidèle Georges, son ancien domestique. Cartigny prononça sur sa tombe un discours dans lequel il le qualifia très justement de La Fontaine du théâtre.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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