Fils d’un maître boulanger, Quinault fit ses premiers pas dans la carrière dramatique grâce à la bienveillance du célèbre Tristan L’Hermite, et connut son premier succès à l’âge de 18 ans avec sa pièce des Rivales
Philippe Quinault naquit à Paris le 3 juin 1635. Furetière, dans son 2e et 3e Factum, prétend que Quinault devait le jour à un boulanger de petits pains. L’abbé d’Olivet, dans son Histoire de l’Académie française, affirme que cette assertion est celle d’un imposteur, et qu’elle lui fut dictée par la médisance et la colère. « Quand cela serait, ajoute l’abbé, Quinault n’en mérite que plus d’estime, pour avoir si bien réparé le tort de sa naissance. »
Quoi qu’il en soit, le poète dont il est ici question était « fils de Thomas Quinault, maître boulanger, et de Perrine Riquier, sa femme, demeurant rue de Grenelle. » C’est ce qui résulte des registres de la paroisse Saint-Eustache, où il fut baptisé. Après avoir fait quelques études, le jeune Quinault manifesta un penchant inné pour la poésie ; penchant que redoubla une connaissance qu’il fit alors. Ce fut celle de Tristan L’Hermite, qui, malgré son esprit bizarre et son mauvais goût, jouissait d’une certaine réputation. On a prétendu, mais sans aucune apparence de vérité, que le jeune poète avait été son domestique. Ce qu’il y a de certain, c’est que Tristan s’était épris pour lui d’une amitié si vive, qu’il lui avait fait accepter un logement et sa table ; et qu’enfin il lui laissa, par son testament, un legs assez considérable, à l’aide duquel le jeune poète acheta une place de valet de chambre du roi.
Portrait anonyme de Philippe Quinault |
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Ce fut, sous les auspices de ce généreux ami, que Quinault fit ses premiers pas dans la carrière dramatique. Il avait composé une pièce intitulée les Rivales : il engagea Tristan à la présenter aux comédiens, comme un de ses propres ouvrages. La supercherie fut découverte ; et les comédiens, qui avaient promis cent écus, ne voulurent plus en donner que la moitié. Le résultat d’une nouvelle négociation fut que le poète serait payé, chaque fois, au prorata de la recette ; et telle est, dit-on, l’origine de ce que l’on nomme aujourd’hui la part d’auteur.
Encouragé par un premier succès d’autant plus flatteur qu’il n’avait encore que dix-huit ans (1653), Quinault ne laissa plus passer une année sans donner une et quelquefois même deux pièces de théâtre. Elles s’élevaient au nombre de seize, en 1666 ; et il n’était encore que dans sa trente-unième année. Parmi ces productions, dont les unes portent le titre de comédie, d’autres celui de tragédie, d’autres enfin celui de tragédie-comédie, on en compte deux seulement dont on ait conservé le souvenir : l’une est La mère coquette, l’autre est l’Astrate, si courue dans le temps, et si malheureusement immortalisée par Boileau. La première s’est longtemps soutenue au théâtre : « Elle fait voir, dit La Harpe, que Quinault avait plus d’un talent : elle est bien conduite ; les caractères et la versification sont d’une touche naturelle, mais un peu faible. Il y a des détails agréables et ingénieux, de bonnes plaisanteries. »
La prodigieuse fécondité dont Quinault avait donné des preuves dans la première partie de sa carrière dramatique ne l’empêcha point de dérober aux Muses un temps qu’il employa fort utilement pour ses intérêts. Il avait recherché avec ardeur la main d’une fort jolie personne, nommée Louise Goujon, qui ressentait pour lui une inclination non moins vive. Mais les parents de la demoiselle la forcèrent d’épouser un riche négociant appelé Bouvet. La mort de cet homme la laissant veuve, à l’âge de vingt-et-un ans, Quinault la détermina sans peine à s’unir à lui (1660) : elle lui apporta une fortune considérable pour l’époque (quarante mille écus, selon l’estimation la plus modeste).
Quinault composa, sur ses amours et son mariage, une nouvelle qu’il intitula : l’Amour sans faiblesse, titre usurpé, si l’on en croit certains mémoires du temps, qui représentent les jeunes mariés comme brûlant l’un et l’autre d’une passion si violente, qu’ils n’eurent pas la force d’attendre la retraite de leurs nombreux convives pour se livrer aux douceurs du tête-à-tête. Quinault, dans son acte de mariage, prit le titre d’avocat en parlement ; et, dans l’acte de naissance de sa fille, qui eut lieu l’année d’après, il se qualifie d’écuyer, valet de chambre du roi.
Il avait promis à sa femme de ne plus travailler pour le théâtre, mais ayant été reçu membre de l’Académie française en 1670, il crut, contre l’opinion consacrée par trop d’exemples, qu’il fallait honorer le fauteuil par de nouvelles productions. Il accueillit donc avec empressement la proposition que lui fit Molière de se charger de la partie chantante de sa Psyché, qui fut donnée à la cour en janvier 1671. Bientôt après, Quinault acheta une charge d’auditeur en la chambre des comptes. Cette compagnie ayant fait quelque difficulté de l’admettre, il parut une Épigramme qui finit par trait :
Puisqu’il a fait tant d’auditeurs, Pourquoi l’empêchez-vous de l’être ? |
Frontispice du livret écrit par Philippe Quinault et complétant l’oeuvre musicale de Lully intitulée Roland jouée pour la première fois à Versailles en 1685 |
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Il faut observer que l’éloge contenu dans cette Épigramme ne se rapportait encore qu’aux premières pièces de Quinault. Ce ne fut que l’année suivante que, cédant aux instances de Lully, qui venait d’obtenir le privilège de l’Académie royale de musique, il arrangea son premier opéra des Fêtes de l’Amour et de Bacchus. Digne appréciateur de son rare talent pour la poésie lyrique, le compositeur florentin s’attacha à ses pas avec une telle opiniâtreté, que La Fontaine, dans une querelle violente qu’il eut avec Lully, crut ne pouvoir mieux exprimer l’obsession dont il avait eu à se plaindre de sa part, qu’en disant : « Cet homme a voulu m’enquinauder. »
Une fois lancé dans cette nouvelle carrière, Quinault, pendant l’espace de quatorze ans, n’en laissa point passer un seul sans livrer à Lully un de ces poèmes qui ont immortalisé son nom. Le compositeur les lui payait quatre mille francs, selon les conditions passées entre eux. Louis XIV, toujours appréciateur des talents, et particulièrement sensible aux beautés des premiers opéras de Quinault, s’était plu à lui indiquer des sujets, tels que celui d’Amadis de Gaule : il le décora du cordon de Saint-Michel, en y joignant le brevet d’une pension de deux mille livres.
L’Académie des inscriptions et belles-lettres s’empressa d’admettre Quinault au nombre de ses membres (1674). Son talent poétique semblait s’accroître avec sa fécondité, lorsque, après avoir donné son chef-d’œuvre d’Armide, il cessa tout à coup de produire. Profondément religieux, comme tous les hommes distingués du grand siècle, et frappé de la mort de Lully, il ressentit des scrupules de travailler pour le théâtre ; scrupules qu’il exprima dans ces vers, qui devaient faire le début d’un poème intitulé l’Hérésie détruite :
Je n’ai que trop chanté les jeux et les amours. Sur un ton plus sublime il faut me faire entendre ; Je vous dis adieu, Muse tendre, Je vous dis adieu pour toujours ! |
Quinault mourut à Paris le 26 novembre 1688, n’ayant encore que cinquante-trois ans. Il fut inhumé dans l’église de Saint-Louis en l’île. Sa succession s’élevait à trois cent mille francs. Cette fortune, considérable pour le temps, ne l’avait pas empêché de se plaindre de son sort, si toutefois il faut prendre à la lettre les vers suivants :
C’est, avec peu de bien, un terrible devoir De se sentir pressé d’être cinq fois beau-père. Quoi ! cinq actes devant notaire, Pour cinq filles qu’il faut pourvoir ! O ciel ! peut-on jamais avoir Opéra plus fâcheux à faire ? |
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