Si l’on ne voulait considérer, dans cet homme original, que le médecin instruit et laborieux, le professeur exact, sévère et impartial dans les examens, pour l’admission aux grades ; l’auteur savant d’un Essai sur le lait, d’un Traité sur les vaisseaux absorbants, traduit de Cruikshank ; d’un Nouvel avis au peuple, sur les maladies et accidents qui demandent de prompts secours ; d’un Manuel de médecine ; d’un ouvrage intitulé : Conseils aux femmes de quarante-cinq à cinquante ans, etc., son histoire serait faite dans le peu de lignes que nous venons de tracer.
Il suffirait, pour la compléter, d’ajouter qu’il naquit à Paris, le 7 février 1749, qu’il fit son noviciat médical à Surate, en Inde, en qualité de chirurgien-major d’un régiment, qu’il fut reçu docteur régent de la faculté de Paris, en 1782, et qu’après avoir exercé le professorat avec distinction, il mourut d’un squirrhe à l’estomac.
Mais c’est surtout l’homme singulier, original, bizarre même, que nous voulons faire connaître. Après le 10 août 1792, Petit-Radel s’embarqua pour l’Ile de France, en 1793. Il y avait, d’ailleurs, chez cet homme, si constant, si tenace dans ses affections, un besoin de changer de lieu, une soif de voyager qui le poursuivit toujours. Pendant la traversée, il sauva d’une maladie grave une jeune personne charmante, dont il devint passionnément amoureux.
Un autre fut préféré au docteur ; mais lui, resta fidèle à cette passion, qui fut son unique amour, et qui le suivit en France, où il observa, jusqu’à sa mort, le célibat le plus austère. Cet amour fut l’inspirateur d’un grand poème latin érotico-didactique , qu’il intitula Pancharis (toutes les grâces). Ce poème, peu connu, présente un mélange singulier de trivialités et de choses sérieuses, de bouffonneries et de pensées tendres et délicates, de descriptions pittoresques et d’inspirations élevées.
Cet ouvrage ne fut pas le seul du même genre : il publia successivement (après avoir eu la constance de traduire sa Pancharis en français) une traduction de Daphnis et Chloé, du grec de Longus ; une traduction des Hymnes de Callimaque, etc. ; on lui doit encore un Voyage historique dans les principales villes d’Italie, ouvrage empreint de toute la finesse d’un esprit observateur et d’un goût judicieux.
Petit-Radel aimait et cultivait les arts : il était passionné pour la musique, et surtout pour la flûte ; il portait toujours dans sa poche un petit flageolet, qui ne lui servait pas seulement d’amusement, mais qu’on a vu plusieurs fois devenir dans ses mains un instrument redoutable, qui terminait d’une manière imprévue une discussion orageuse. Après avoir épuisé toutes les puissances du raisonnement, toutes les armes du sarcasme permises par la politesse, il tirait tout à coup son flageolet, et ne cessait plus de jouer jusqu’à ce qu’il eût réduit au silence son adversaire désappointé.
Par contraste, cet homme si gai, si bouffon dans l’intimité, apportait toujours dans l’exercice de ses fonctions publiques, une gravité noble et décente. Après la seule femme qu’il ait jamais aimée, la France était ce que Petit-Radel aimait le plus au monde.
On le voyait à Dieppe, en 1815, promenant au bord de la mer les restes d’une vie qu’il sentait prête à s’éteindre, pâlir et rougir tour à tout de colère à l’aspect du pavillon anglais qui se pavanait dans le port ; et sa mort, qui eut lieu peu de temps après son retour à Paris, fut sans doute avancée par le chagrin de voir la France couverte de bataillons et de drapeaux étrangers.
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