En 1910, une société de philologues s’avise que, en plus d’un point, les patois de nos anciennes provinces sont en train de se perdre, et, armée de l’appareil à la fidélité duquel on peut se fier, s’apprête à entreprendre une « tournée » d’un genre particulier, en ayant recours au phonographe qui a déjà enregistré, pour la postérité, les voix d’or des chanteurs et des cantatrices célèbres
Ses membres, pendant qu’il en est encore temps, les recueilleront, ces patois, de la bouche des paysans conservant encore l’idiome ancestral, avec l’accent, qui leur donne leur physionomie propre. Ces dialectes, ces patois, par lesquels une race affirme son caractère particulier et qui ont une existence séculaire, disparaissent-ils vraiment, dans l’uniformité qu’amènent, en notre pays si varié d’aspects et de traditions, les facilités de plus en plus grandes de communication ?
Il faut bien le croire, écrit Jean Frollo, du Petit Parisien, puisque les philologues, étudiant spécialement la question, l’assurent. Il semble, du moins, que dans les régions qui ne gravitent pas autour d’une grande ville, nos patois aient encore la vie dure pour longtemps.
Et ne serait-il pas dommage qu’on les abandonnât, avec leur pittoresque, et, souvent, leurs heureuses trouvailles d’expression, qui ne sauraient avoir un équivalent dans une langue plus pure et plus savante. On se rappelle le joli couplet, dans une pièce de Maurice Donnay, sur la patrie : « La patrie, c’est des paysages que l’on a vus tout enfant... c’est des choses intimes, des souvenirs, des coutumes... c’est une vieille chanson. » Il aurait pu ajouter : « C’est un mot de patois tout à coup entendu. »
De l’attendrissement tient dans quelque phrase de la langue populaire parlée en un petit coin de France. Il faut toujours en revenir à la bonne formule de Félix Gras, défendant l’esprit particulariste, naguère imprudemment attaqué : « La France avant tout, et par-dessus tout. Mais j’aime ma province plus que ta province, j’aime mon village plus que ton village. » On a compris, heureusement, que l’amour des petites patries ne faisait que fortifier l’amour pour la grande. Tout le monde doit savoir le français correctement, mais, dans les relations entre gens qui ont la même origine, le patois a sa raison d’être. Il a des familiarités, il a, d’aventure, des « raccourcis », des nuances, où il y a un peu de l’âme d’un pays.
Je me souviens, écrit notre chroniqueur, qu’un artiste, qui a fait son chemin, me contait les tristesses de son arrivée à Paris, où il ne connaissait personne. Il était pauvre, il s’effrayait de toutes les difficultés qu’il trouvait, il était d’ailleurs un peu rude encore, venant de ses montagnes d’Auvergne. Il éprouvait, un jour, un profond découragement de son isolement, quand, traversant le jardin du Luxembourg, il entendit une femme, assise sur un banc, qui chantonnait en berçant son enfant :
Som, som, beni, beni, L’efontou bou pas durmi. |
Cette berceuse, c’était un écho du pays natal. Il tressaillit. Pour un instant, il n’était plus seul. Il revit, par la pensée, le village d’où il était parti, pour conquérir Paris, lui aussi. Il rêva ; il rêva d’y revenir célèbre. Ses réflexions reprirent un tour viril, il rassembla son courage ; il pensa à des démarches nouvelles à tenter. « Je crois bien, me disait-il en souriant, que c’est cette chanson en patois qui m’a sauvé. »
Le patois (car je ne parle pas des véritables langues, le breton, le provençal, le flamand, le basque, qui subsistent en France, précise Jean Frollo), c’est le français en déshabillé. Il garde souvent la trace des idiomes primitifs qui ont concouru à la formation de la langue officielle ; il correspond à des besoins locaux, et, avec ses archaïsmes curieux, il a presque toujours une grande puissance d’expression.
« Où le français ne peut atteindre, le gascon y arrive sans peine », disait, avec un peu de vantardise, Montaigne, qui, d’ailleurs, fut un des créateurs du français définitif. Le patois a eu, au demeurant, ses défenseurs, les uns parce qu’ils y trouvaient des mines de richesses historiques, les autres pour des raisons sentimentales, voyant là les vivantes reliques de l’esprit de nos pères. Les raisons historiques d’étudier les patois abondent : ne gardent-ils pas le souvenir des invasions successives, la langue des envahisseurs se mêlant à celle des envahis, s’absorbant, plutôt, en celle-ci ?
Et combien de particularités curieuses ! Dans le Midi, il n’est pas rare de voir deux villages voisins avoir chacun un patois distinct. Dans la Gironde, quelques bourgs, formés de l’ancien pays de Garacherie, parlent le patois saintongeois. Par suite d’anciens rapports politiques, les paysans des environs de Nancy et ceux des environs de Bouillon ont un semblable idiome, bien que ces villes soient éloignées l’une de l’autre.
Du wallon et du lorrain au périgourdin et au béarnais, la France compte une trentaine de patois différents, qui ont eux-mêmes leurs variétés. Déjà César avait été frappé de la diversité de langage dans l’ancienne Gaule.
Il est excellent de recueillir par le phonographe, pour l’avenir, ces idiomes locaux, ajoute notre journaliste, mais ce seraient des témoignages un peu frustes, sans les commentaires nécessaires. Nodier disait que si les patois n’existaient plus, il faudrait des académies tout exprès pour les retrouver. Mieux vaut s’occuper d’eux pendant qu’ils vivent encore. Il serait à souhaiter qu’on fît partout ce qu’a entrepris Charles Beauquier pour la Franche-Comté, avec sa méthode, et aussi avec sa tendresse pour les restes d’un passé menacé. La faune et la flore populaires, les traditions, les contes, toutes les particularités d’usage et de langue sont l’objet de ses soins attentifs.
Le patois est là fort riche. Le bétail intéresse particulièrement les paysans, comme il est naturel : il n’y a pas moins d’une cinquantaine de mots pour désigner le bœuf dans tous ses états de forme, d’âge, de couleur, et il y en a bien une centaine pour la vache. La traduction française ne donnerait pas une telle précision.
Rien que pour désigner l’état morbide des animaux, le vocabulaire que fournit le patois est considérable : un airot pour une bête qui, sans être précisément malade, n’engraisse pas ; un ajoumi pour un bœuf qui a trop mangé ; un asorodot, pour un bœuf qui a des grosseurs ; une équevolette, pour une vache qui a la queue coupée ; une grésille, pour une vache qui est, en somme, une mauvaise acquisition, etc. L’usage a fait vraiment une nécessité de ces expressions, qui ne seraient pas remplaçables.
Au début du XIXe siècle, nous apprend encore Le Petit Parisien, une enquête officielle fut faite sur les patois, exclusivement parlés, alors, par six millions de Français. L’idée était bonne, mais ce fut une enquête singulièrement menée. Elle fut confiée aux préfets, mais au lieu de les laisser libres de faire un rapport sur ce que les idiomes locaux présentaient de plus caractéristique, on leur imposa une sorte de thème, la parabole de l’Enfant prodigue, de sorte que, pour arriver à remplir les conditions du programme, on dut plier les patois à une manière d’exercice littéraire pour lesquels ils n’étaient pas faits, et ce travail fut fort artificiel.
De tous les côtés de la France arrivèrent ces « devoirs » laborieusement faits : « Un homme avait deux fils », etc, ce qui devint, selon les régions : — Ou sartin zoumou ave deu gaçon (Ain) — Ou n’oum avo deu s’afan (Ardennes) — Un onome obiou dous effons (Aveyron) — In homme avait deux fail (Charente), etc.
C’était un jeu un peu puéril. On a, heureusement, aujourd’hui, d’autres procédés d’investigation, et on prend un peu plus au sérieux l’étude de ces patois, qui permet d’apprendre beaucoup de choses intéressantes sur notre pays.
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