Cette statue de la place des Victoires fut un monument de la reconnaissance du premier maréchal de la Feuillade pour son souverain ; il y dépensa cinq cent mille livres, et la ville en ajouta autant pour la rendre régulière.
On a accusé Louis XIV d’un faste et d’un orgueil insupportables, parce que la base de cette statue était entourée d’esclaves enchaînés ; mais ces esclaves figuraient des vices domptés, aussi bien que des nations vaincues, le duel aboli, l’hérésie détruite : les inscriptions le témoignent assez. Elles célébraient aussi la jonction des mers, la paix de Nimègue ; elles parlaient de bienfaits plus que d’exploits guerriers.
C’est un ancien usage des sculpteurs que de mettre des esclaves aux pieds des statues des rois : la statue du bon Henri IV, sur le Pont-Neuf, était aussi accompagnée de quatre esclaves ; celle de Louis XIII en avait autant ; on voit des esclaves à Livourne, sous la statue de Ferdinand de Médicis, qui n’enchaîna assurément aucune nation ; on en voit à Berlin sous la statue d’un électeur qui ne fit point de conquêtes.
Les voisins de la France et les Français eux-mêmes ont rendu très injustement Louis XIV responsable de cet usage. L’inscription : Viro immortali, « à l’homme immortel », a été traitée d’idolâtrie, comme si ce mot signifiait autre chose que l’immortalité de sa gloire. Louis XIV était si peu amoureux de cette fausse gloire, qu’il fit ôter de la galerie de Versailles les inscriptions pleines d’enflure et de faste, que Charpentier, de l’Académie française, avait mises sur les cartouches : L’incroyable passage du Rhin, la merveilleuse entreprise de Valenciennes, etc. Louis XIV supprima toutes les épithètes et ne laissa que les faits, qui parlaient assez d’eux-mêmes.
L’attitude équivoque de la Victoire donna lieu dans le temsp à la question maligne : Ponit, an aufert ? développée dans des vers satiriques du temps, qui se terminent par ceux-ci :
Et vous voulez le couronner de gloire ? Mais, non, je m’abusais ; je vous vois en suspens : Cadedis ! haut le bras, madame la Victoire. |
On a longtemps répété ces deux vers d’un autre Gascon, sur les quatre lanternes placées à l’entour de la statue :
Eh ! la Feuillade, tu nous bernes De placer le Soleil entre quatre lanternes ! |
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