Il n’était pas enclin à s’impliquer dans le soulèvement vendéen débutant en 1793, quand ses métayers viennent le chercher. Son insouciante résignation ; cette fatalité soldatesque qui ne craint jamais le danger, parce qu’elle croit que le hasard se joue des probabilités ; ce sacrifice entier de sa propre vie, faisaient de François de Charette un vrai chef de guerre civile. Il était inaltérable. Au plus fort de la détresse, quand tout semblait perdu sans ressource, on le voyait, le sourire sur les lèvres, relever le courage de ceux qui l’entouraient, les mener au combat, les pousser sur l’ennemi, et les maintenir devant lui jusqu’à la dernière extrémité.
Né à Couffé, près d’Ancenis en Bretagne, le 2 mai 1763, d’une famille ancienne, François-Athanase Charette de La Contrie fit ses études à Angers et entra dans la marine à seize ans. En 1789, il était parvenu au grade de lieutenant de vaisseau, et donna sa démission en 1790, époque à laquelle il épousa madame veuve Charette de Boisfoucaud, sa parente. Peu de temps après il se rendit à Coblence (Allemagne).
Charette se trouvait à Paris au 10 août 1792, et fit d’inutiles efforts pour défendre le roi. Il s’était retiré à son château de Fonteclause en Poitou, lorsque l’insurrection de Saint-Florent éclata dans le mois de mars 1793. Les paysans l’ayant engagé à plusieurs reprises à se mettre à leur tête, Charette n’y consentit qu’après la défaite de Laroche-Saint-André dans Pornic. ll commença par attaquer cette ville, s’en empara, puis se rendit à Machecoul, dont les insurgés venaient de s’emparer. Il assembla ensuite ses soldats dans l’église, jura de périr ou de triompher, et leur fit prêter serment de ne jamais abandonner la cause de l’autel et du trône. Il marcha sur Challans d’où il fut repoussé, et éprouva un semblable échec devant Saint-Gervais.
François-Athanase Charette de La Contrie |
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Les succès obtenus par les généraux républicains Boulard et Beysser, obligèrent Charette de se retirer à Légé, et l’esprit de sédition, enhardi par les revers du général, se déclara dans son armée. Vrigneau, un des chefs royalistes, voulut renverser Charette. Celui-ci parvint, par sa fermeté, à se maintenir dans son commandement, et réprima les mutins. Contraint d’évacuer Légé à l’approche de Boulard qui venait avec des forces supérieures, Charette se réfugia à Montaigu où de Royrand qui y commandait et qu’on avait prévenu contre lui, refusa de le recevoir. Charette, vivement agité, rassembla le peu de gens qui lui restaient, courut avec témérité attaquer les républicains à Saint-Colombin, les battit, et prouva ainsi à de Royrand l’injustice des accusations dirigées contre lui.
Il reprit ensuite Légé, et chassa les républicains de Machecoul (11 juin 1793). La Grande armée vendéenne, qui prit Saumur deux jours auparavant, n’avait eu jusqu’alors aucune communication avec lui. Cathelineau qui fut nommé, le 12 juin, général en chef de l’armée catholique et qui se disposait à attaquer Nantes, lui proposa de concerter ses opérations avec la grande armée. Les troupes de Cathelineau devaient s’avancer par la rive droite de la Loire, et Charette devait essayer de pénétrer par les faubourgs de la rive gauche (23 juin).
La vigoureuse défense des Nantais fit échouer l’attaque. Cathelineau ayant été tué, les généraux royalistes proposèrent de choisir un chef pour remplacer celui qu’ils venaient de perdre. Charette appuya cet avis, et se flattait de réunir les suffrages ; mais ce fut d’Elbée qui remporta. Charette, quoique blessé de cette préférence, ne déclina point l’autorité du nouveau chef, et demanda le poste le plus périlleux, lorsqu’il tenta, avec Lescure et d’Elbée de s’emparer de Luçon. Les Vendéens ayant été complètement défaits, Charette retourna à Légé, et y resta jusqu’au mois de septembre suivant, époque à laquelle l’armée de Mayence se joignit à celle de Brest.
Il se rapprocha alors de la Sèvre pour se réunir à la grande armée catholique, et se rendit à Torfou ; ce fut là que les chefs Vendéens réunis remportèrent, le 19 septembre 1795, sur les Mayençais, un succès éclatant. Charette se porta de là sur Montaigu, surprit et tailla en pièces les colonnes qui l’occupaient, et marcha avec Lescure vers Saint-Fulgent dont il s’empara. Mais au lieu de se rallier alors aux autres généraux Vendéens, et de faire face aux Mayençais avec toutes les forces royalistes réunies, Charette, sous prétexte de quelque querelle sur le partage du butin, rentra sur son territoire qu’avaient évacué les républicains.
Plus tard il vint attaquer l’île de Noirmoutier qui pouvait lui faciliter des communications avec les Anglais, et l’emporta pendant que la grande armée défaite à Chollet, fut forcée de traverser la Loire. Il alla ensuite s’établir à Bouin. Le général Haxo marcha contre lui, l’accula à la mer, et le bloqua dans les marais. Charette, après avoir encloué ses canons et tué ses chevaux, parvint à arracher son armée à une perte qui paraissait certaine.
La grande armée était alors resserrée entre la Loire et l’océan, et Charette, en apprenant les défaites qu’elle venait d’essuyer, conçut l’espoir de s’emparer du commandement en chef de toute la Vendée. Il parcourut tout le Bas-Poitou et gagna Maulevrier où La Rochejaquelein, fugitif et séparé de son armée détruite, vint le trouver. Ils se séparèrent mécontents l’un de l’autre, et Charette, ayant repassé la Sèvre, retourna sur son territoire où le général Haxo continua de le harceler.
Croix de Charette dans le bois de la Chabotterie, à Saint-Sulpice-le-Verdon |
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Celui-ci fut tué le 19 mars 1794, et remplacé par le général Thurreau qui essaya d’anéantir l’insurrection en dévastant complètement le pays. Charette, faute de vivres, passa encore une fois la Sèvre. La Rochejaquelein avait péri, et Stofflet lui avait succédé dans le commandement de l’armée d’Anjou. Ces généraux auxquels se joignit Marigny, eurent à Jalais une entrevue, dans laquelle ils convinrent que leurs trois armées combineraient leurs mouvements. Mais les jalousies reparurent bientôt, et Marigny, accusé devant un conseil de guerre où Charette fit office de rapporteur, d’avoir violé la convention, fut mis à mort.
Vers le mois de juin 1794, Charette avait recouvré une position plus favorable, et réussit à détruire trois camps retranchés où les républicains s’étaient établis. L’attaque du camp de Saint-Christophe près de Challans où périt le général Mermet, est le plus beau fait d’armes de Charette et de son armée. Cependant un grand nombre de chefs Vendéens avaient succombé, les soldats Vendéens sentaient leur première vigueur s’affaiblir, et la Convention elle-même était lasse de cette guerre d’extermination. Elle publia une proclamation qui accordait amnistie à tous ceux qui avaient pris part à la révolte des provinces de l’Ouest, et on se servit de la sœur de Charette pour lui faire les premières ouvertures qui furent reçues avec méfiance.
Il consentit enfin, le 15 février 1795, à la Jaunais, quoique avec beaucoup de peine à conclure un traité de paix, dont les clauses portaient que les Vendéens auraient le libre exercice de leur religion, qu’ils conserveraient leurs armes, et qu’on leur paierait des indemnités pour les ravages de la guerre, et ceux-ci promettaient en retour de se soumettre à toutes les lois de la république. Charette se prêta à faire son entrée dans Nantes, le 26 février, portant l’écharpe et le panache blancs. Il était accompagné de quatre de ses officiers et du général Canclaux, et était entouré d’une foule immense empressée de contempler cet homme dont on était sans cesse occupé depuis deux ans. Il se laissa conduire au théâtre, à la société populaire, et, malgré les témoignages de cet cordialité que lui donnaient les officiers républicains, il conserva un front morne et soucieux.
Le lendemain, il retourna à son quartier-général de Belleville ; aucune des conditions de la paix ne fut exécutée et la guerre recommença plus terrible que jamais. Les républicains, sachant que Charette continuait ses intelligences secrètes avec les princes de la maison de Bourbon, envoyèrent un détachement pour l’enlever à Belleville. Charette reprit les armes, marcha sur le camp des Essarts qu’il emporta, et obtint divers succès. A la nouvelle du désastre de Quiberon, il fit fusiller tous les prisonniers qu’il avait en son pouvoir et se livra depuis à de sanglantes représailles.
Les princes le nommèrent lieutenant-général ; le comte d’Artois était attendu sur la côte de Poitou, et Charette se dirigeait vers le port de la Tranche pour le recevoir, lorsqu’un aide de camp de ce prince vint le prévenir que le débarquement était ajourné. « C’est l’arrêt de ma mort que vous m’apportez, dit-il à l’envoyé : aujourd’hui j’ai quinze mille hommes, demain je n’en aurai pas trois cents. Je n’ai plus qu’à me cacher ou à périr : je périrai. » Il marcha aussitôt sur Saint-Cyr, et fut complètement défait par les républicains. Le général Hoche le poursuivit sans relâche, et Charette n’avait que trente hommes, lorsque ce général lui offrit, dit-on, un million et le libre passage en Angleterre. Il rejeta cette proposition.
Pourchassé dans les bois comme une bête fauve, blessé à la tête et dans plusieurs endroits, il était obligé de se faire porter par un des siens, et ils furent enfin atteints tous deux, le 23 mars 1796, dans un taillis, entre Montaigu et Belleville. Cette capture causa plus de joie aux républicains que ne l’aurait fait le gain d’une bataille. Charette fut conduit à Angers, puis à Nantes, dans cette même ville où, un an auparavant, il était entré en triomphe. Sa fierté ne se démentit pas un seul instant, et, lorsqu’il fut conduit à la mort le 29 mars, lui-même commanda le feu aux soldats qui le fusillèrent. Il avait trouvé moyen de communiquer avec un prêtre qui lui administra les sacrements. Charette possédait de grands talents militaires ; on a malheureusement à lui reprocher un caractère trop ombrageux, et surtout la mort injuste de Marigny.
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