Dans les premiers temps de la monarchie française, les assemblées de la nation ne furent d’abord composées que de seigneurs et d’évêques. Philippe le Bel appela pour la première fois, en 1302, le tiers-état à ces grandes assemblées, qui dès lors prirent le nom d’États-généraux.
Nous nous proposons ici de passer en revue les principaux États-généraux, en relatant les circonstances qui virent de leur ouverture ainsi que les thèmes qui y furent abordés.
Premiers États-généraux, en 1302, sous le règne de Philippe le Bel
Ces États-généraux furent tenus dans l’église Notre-Dame, pour s’opposer aux prétentions du pape Boniface VIII, qui menaçait de déposer le roi. Il s’agissait aussi d’avoir de l’argent. Le tiers-état forma son avis sous le nom de requête. Cette requête fut présentée à genoux. L’usage subsista toujours depuis, que les députés du tiers-état parlassent au roi un genou en terre, ainsi que les gens du parlement et le chancelier même, dans les lits de justice.
Le pape Boniface VIII s’autorisait, pour déposer le roi, de ce passage de l’Évangile : « Ce que tu lieras sur la terre, sera lié dans le ciel. » Le tiers-état disait au roi, dans sa requête : « C’est grande abomination d’ouïr que ce Boniface entende mauvaisement, comme b... cette parole de spiritualité : Ce que tu lieras en terre, sera lié au ciel ; comme si cela signifiait que s’il mettait un homme en prison temporelle, Dieu, pour ce, le mettrait en prison au ciel. »
États-généraux de 1355, sous le roi Jean II
Les Anglais ayant fait une invasion dans la Picardie et dans la Gascogne, le roi Jean convoqua les États-généraux dans la chambre du parlement. Jean de Craon, archevêque de Reims, y parla au nom du clergé ; Gaucher de Brienne, pour la noblesse ; et Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, pour le tiers-état.
Ces trois chefs des États, ayant entendu le discours de Pierre de la Forêt, archevêque de Rouen et chancelier, sur les besoins du roi pour soutenir la guerre, conclurent, après une délibération entre eux, à faire au roi, pendant un an une armée de trente mille hommes. On assigna les fonds de la solde sur la gabelle et sur un impôt de huit deniers pour livre sur toutes les denrées ; et comme ces fonds ne se trouvèrent pas suffisants, on y suppléa par une capitation générale dont personne ne fut exempt, pas même les princes.
États-généraux de 1356, pendant la captivité du roi Jean II
Après la bataille de Poitiers, Charles, dauphin et duc de Normandie, s’étant heureusement échappé de la funeste bataille de Poitiers, revint à Paris, où il assembla les États-généraux. Il y fut déclaré lieutenant du roi et défenseur du royaume, pendant l’absence du roi Jean, son père. Mais comme il était encore jeune et peu expérimenté dans le gouvernement, les États formèrent un conseil qu’on appela des trente-six, composé de douze prélats, douze gentilshommes et douze bourgeois, qui s’assembleraient pour conférer des affaires publiques.
Ils accordèrent aussi des subsides au dauphin ; mais il fut forcé de consentir à la destitution des premiers magistrats, tels que le chancelier de la Forêt, le premier président de Bucy, que leur vertu rendait suspects à ceux qui voulaient profiter des malheurs publics, et s’emparer de l’autorité royale. Parmi ceux qui parlèrent avec le plus d’insolence au dauphin, on distingua Robert le Coq, évêque de Laon.
États-généraux de Tours, en 1468, sous le règne de Louis XI
Il y fut arrêté que la Normandie ne pouvait se démembrer de la couronne, pour être donnée au frère du roi, et qu’on élirait plusieurs personnes pour la réforme de l’État. Mais l’État ne fut pas réformé.
États-généraux de Tours, en 1484, pendant la minorité de Charles VIII
Après la mort de Louis XI, Charles VIII n’étant pas encore dans sa quatorzième année, sa sœur aînée, la duchesse de Bourbon-Beaujeu, s’était mise en possession de la régence, en vertu du testament de Louis XI, qui avait préféré sa fille à sa femme, Charlotte de Savoie. Le duc d’Orléans, en sa qualité de premier prince du sang, ayant prétendu avoir la principale autorité, la dame de Beaujeu assembla les États-généraux à Tours, qui lui confirmèrent la régence. Mais on établit un conseil de dix personnes, où devaient assister les princes du sang, et dont le duc d’Orléans fut président.
États-généraux de Tours, en 1506
Louis XII avait promis-de marier sa fille Claude avec Charles, fils de Philippe, surnommé le Beau, roi de Castille. Mais les articles de ce mariage étant désavantageux à la nation, il fut arrêté, dans les États tenus à Tours, que le mariage ne se ferait point ; et la princesse Claude fut fiancée à François, comte d’Angoulême, qui fut depuis le roi François Ier.
États-généraux de Paris, en 1558
La bataille de Saint-Quentin, gagnée par les Espagnols, ayant jeté l’alarme dans la capitale, Henri II, pour obtenir des subsides, convoqua les États-généraux, dans la chambre de Saint-Louis au palais, où il présida en personne, sur un trône dressé exprès, ayant au dessous de lui, à droite, le dauphin son fils, et les cardinaux ; et à sa gauche, Charles de Bourbon, le duc de Nevers, et le reste de la noblesse. Les autres ordres étaient plus bas, chacun selon le rang qu’il devait tenir. Jusqu’alors le parlement et les autres officiers de judicature avoient été compris dans le tiers-état ; cette fois le roi les en sépara, et en fit un quatrième ordre au-dessus de celui du peuple. Mais il ne reparut point depuis aux États-généraux.
Le roi ouvrit lui-même la première séance par un discours qui tendait à obtenir de prompts secours d’argent pour les pressants besoins de l’Etat. Les États accordèrent trois millions d’écus d’or, dont la répartition se fit par provinces. Il y a des historiens qui prétendent que ce ne fut qu’une assemblée de notables.
États-généraux d’Orléans, en 1560
François II, qui les avait convoqués pour remédier aux troubles du royaume, étant venu à mourir, les députés des trois ordres représentèrent que leurs pouvoirs expiraient à la mort du roi, et qu’il fallait les renouveler ; mais il fut arrêté que les députés continueraient d’agir en vertu de leurs pouvoirs, sur ce principe que, par la loi du royaume, l’autorité ne meurt point et qu’elle passe sans interruption du roi défunt à son légitime successeur.
La tutelle de Charles IX, frère et successeur de François II, mort sans enfants, et l’administration du royaume furent accordées par les États à Catherine de Médicis, mais non pas le nom de régente. Les États ne lui donnèrent pas même le nom de majesté, il était nouveau pour les rois, auxquels on disait encore votre altesse. Ces États, dit le président Hénault, ne produisirent d’ailleurs aucun bien.
États-généraux de Blois de 1576
La guerre ayant éclaté entre les catholiques et les protestants, Henri III assembla les États-généraux à Blois ; mais on lui refusa des subsides pour cette guerre, à laquelle les États même le forçaient.
États-généraux de Blois de 1588
Après la funeste journée des barricades, où Henri III fut obligé de fuir devant un de ses sujets (le duc de Guise), il alla tenir les seconds États de Blois ; mais le duc de Guise y étant venu, y fut plus puissant que le roi. Il fallut qu’Henri III déclarât Henri de Navarre, son légitime successeur — Henri III n’avait point d’enfants —, déchu de tout droit à la couronne, (ce fut depuis Henri IV). Henri III fut encore forcé de faire la guerre à ce même Henri de Navarre ; et on lui refusa de l’argent pour la faire.
Prétendus États-généraux de Paris en 1593
Ces États furent tenus dans le temps de la fameuse Ligue, et lorsque Henri IV faisait le siège de Paris ; les ambassadeurs de Philippe II, roi d’Espagne, qui soutenait la Ligue, proposèrent à ces États de ne pas reconnaître Henri IV pour roi, quand même il se ferait catholique ; d’élire au trône l’infante d’Espagne, en lui donnant pour mari le jeune duc de Guise.
Mais le duc de Mayenne, qui par l’élévation du jeune Guise, son neveu, aurait perdu toute son autorité, prévint un coup aussi fatal pour lui que pour Henri IV, et le parlement osa rendre un arrêt mémorable, qui confirmait les anciennes lois de la monarchie.
États-généraux de 1614
Après la mort funeste de Henri IV, Marie de Médicis, régente du royaume, ayant consumé en vaines profusions les trésors que ce grand prince avait amassés pour rendre sa nation puissante, les États-généraux furent assemblés vers la fin de 1614, dans la salle des Augustins de Paris ; l’université présenta requête pour y être admise, et fit même signifier une assignation ; mais la requête fut rejetée, et son assignation regardée comme insolente.
On comptait dans ces États cent quarante députés du clergé, cent trente-deux de la noblesse, et cent quatre-vingt-deux du tiers-état. L’archevêque de Lyon parla au nom du clergé, au milieu de la salle, debout, mais appuyé sur un accoudoir dressé exprès ; ensuite le baron de Saint-Pierre, pour la noblesse, debout, mais sans être appuyé ; et en dernier lieu, Miron, prévôt des marchands, parla au nom du tiers-état, un genou en terre, au milieu de la salle.
Ce qu’il y eut de plus remarquable dans ces États, c’est que le clergé demanda inutilement la publication du concile de Trente, et que le tiers-état demanda, non moins inutilement, la publication de la loi, « qu’aucune puissance, ni temporelle ni spirituelle, n’a le droit de disposer du royaume, et de dispenser les sujets de leur serment de fidélité, et que l’opinion qu’il est loisible de tuer les rois, est impie et détestable. »
Cette loi était surtout demandée par ce même tiers-état de Paris, qui avait voulu déposer Henri III, et qui avait refusé si longtemps de reconnaître Henri IV ; mais les fureurs de la Ligue étant éteintes, le tiers-état était revenu à son amour naturel pour ses rois. La chambre du clergé, gouvernée par le cardinal Duperron, s’opposa fortement à la loi proposée ; la noblesse s’unit au clergé. La chambre ecclésiastique signifia à celle du tiers-état, qu’à la vérité n’était jamais permis de tuer sou roi, mais elle tint ferme sur tout le reste.
Le parlement se couvrit alors de gloire, par un arrêt qui fut applaudi de la nation entière, et qui déclarait l’indépendance absolue du trône, loi fondamentale du royaume. Le clergé depuis effaça sa honte, en 1682, lorsque, inspiré par le grand Bossuet, il arracha de ses registres la harangue fanatique et séditieuse que Duperron avait prononcée aux États de 1614.
Tout le résultat de cette assemblée fut de parler de tous les abus du royaume, sans en réformer aucun. Ces États, dit le président Hénault, furent les derniers qu’on ait tenus, parce qu’on connut qu’ils étaient toujours inutiles, et souvent dangereux. Ceux donc qui, réfléchissant au danger et à l’inutilité de ces sortes d’assemblées, considéraient encore la grande révolution opérée dans les esprits du dix-huitième siècle, ne concevaient pas, en 1788, comment un gouvernement oserait une nouvelle convocation d’États-généraux.
Louis XVI, ayant cependant convoqué de nouveaux États-généraux qui s’ouvrirent le 5 mai 1789, expliqua qu’il n’avait « pas balancé à rétablir un usage dont le royaume peut tirer une nouvelle force, et qui peut ouvrir à la nation une nouvelle source de bonheur. »
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