C’est dans le bois de Monthéty, près de Lésigny, qu’est érigée en 1167 par l’évêque de Paris une abbaye du même nom qui disparaît quelques décennies plus tard, la poursuite d’un culte dans la chapelle présidant à la création d’un pèlerinage, lui-même entraînant l’avènement en 1512 d’une foire aux bestiaux devenue bientôt fête populaire et se déroulant chaque année, les 9 et 10 septembre, jusque dans les années 1950
Aller à Monthéty ! Ca ne vous dit rien ? C’est que vous n’êtes ni garçon boucher, ni marchand de vin, ni forain, ni banlieusard côté Est, habitant Champigny, Le Perreux, La Varenne, Brie-sur-Marne, ni villageois natif de Lésigny, Pontault-Combault, Roissy-en-Brie, Ozoir-la-Ferrière, Fontenay, Tournant et autres lieux circonvoisins. Pour ces multiples et diverses catégories de vivants, de bons vivants, Monthéty était encore au milieu du XXe siècle un vocable joyeux et truculent, qui éveillait dans les âmes des désirs poivrés de bombances, de sauteries tournoyantes, au rythme saccadé des cuivres, de flirts violents et d’accordailles sur l’heure.
Foire de Monthéty. Le déjeuner sur l’herbe |
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Vingt lieues à la ronde du vaste champ cerné de futaies qu’était Monthéty, on se faisait fête, pendant des mois, d’aller à la foire qui s’y tenait les 9 et 10 septembre, d’y chanter, d’y valser, d’y boire et d’y lutiner en gauloise compagnie. Il faudrait l’esprit de Rabelais pour célébrer dignement ces jours de liesse populaire, où des milliers de humeurs de plot « beuvent le bon sirop vignolat qui vous peurge le cerveau des phlegmes et vous soulaige ».
L’origine de cette réunion champêtre se perd dans la nuit des temps, ou, pour employer le langage plus solennel encore de l’auteur d’une notice sur le sujet qui nous occupe, « un voile épais règne sur l’époque et la cause de sa création ». Le couvent des Hiverneaux, propriété dès le XIIe siècle des riches moines de Saint-Augustin, était voisin du vaste champ de quarante arpents dit Monthéty. Les religieux, experts dans l’art d’amener à eux les foules, y élevèrent un oratoire sous l’invocation de Notre-Dame de Septembre. Chaque années, un prêtre, le curé de Lésigny, délégué par le prieur, disait une grand’ messe dans cette petite chapelle. Bientôt, le bruit se répandit au loin que la sainte image guérissait les malades et surtout les fiévreux.
La clientèle accourut, innombrable, et, avec elle, les marchands, les saltimbanques, les bohémiens et les mendiants. Naturellement, un marché s’établit en ce lieu, d’autant pus facilement qu’une légende habilement propagée, toujours au loin, donnait à croire que sur le champ de Monthéty, jamais les mouches n’assaillaient les bestiaux, même pendant les plus fortes chaleurs. Les paysans, confiants, amenèrent leurs chevaux, leurs bœufs à cette foire miraculeuse, et les droits d’emplacement s’accumulèrent aux mains des pères augustins. Bonne affaire ! Vint la Révolution : le couvent fut rasé, la chapelle détruite, mais la réjouissance, tradition indestructible, se prolongea jusque dans les années 1950.
La caractéristique de la foire de Monthéty, c’était le déjeuner abondamment arrosé sous les grands arbres en lisière du champ aux vaches. Les fêtards venus de partout par milliers, de la Villette, de Bercy, des Halles et des pays de banlieue, apportaient dans leurs guimbardes des victuailles, du vin, de la bière, des alcools, et jusqu’à de l’eau, car on en trouvait difficilement sur place. Au début du XXe siècle, les voitures qui amenaient les visiteurs et leurs approvisionnements se rangeaient en longues files sur le côté de la route ; des nappes, des journaux étaient étendus sur le gazon, le couvert aussitôt mis et l’on attaquait les morceaux de résistance avec un entrain qui faisait envie. Des bouchons de cidre et de champagne claquaient comme des coups de fusil, les rires gras et secouants emplissaient d’une grosse gaieté la plaine ensoleillée. C’était pantagruélique et savoureux, d’une saveur forte et pimenté, à l’image d’une peinture de Téniers.
Ce Monthéty semblait d’ailleurs prédestiné aux noces et festins copieux. Tout près du champ de ces agapes monstres subsistait une maison de garde qui fut, au XVIIIe siècle, le théâtre de parties fines dont l’histoire locale a enregistré le scandale. Un érudit narre les faits avec un style si personnel qu’il serait malheureux de déflorer son récit :
« A cette dernière maison de garde, dit-il, se rattachent quelques souvenirs historiques. Elle fut construite par un médecin de Paris, M. de Saint-Mesmin, représentant un sieur Emery [le gaillard prenait un pseudonyme], qui toutes les semaines venait passer dans ce manoir deux ou trois jours, qu’il consacrait au dieu Bacchus et Cupidon. Ce joyeux docteur menait là, à ce qu’il paraît, avec une demoiselle Blanchard de Lésigny, beauté rare, une vie de Sardanapale, bien conforme du reste au temps de dissolution sous lequel il vivait [la Régence]. Il fit plus ! Pour ne laisser ignorer à personne l’espèce de corruption dont il faisait parade, il fit graver sur la première façade de la maison, à environ trois mètres du sol, cette inscription que l’on voit encore aujourd’hui [c’était en 1844 ; depuis elle a disparu] : Ma maison est petite, mais elle est la maison de la joie : Hic estur, bibitur, canitur, saltatur, amatur [On y mange, on y boit, on y chante, on y danse, on y aime] »
Foire de Monthéty. La maison de garde |
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Si l’esprit de M. de Saint-Mesmin était revenu à ses amours terrestres et planait dans le voisinage, il devait éprouver de bien vives douleurs, subissant, le pauvre homme, le supplice de Tantale. On mangeait, on buvait, on aimait tout autour de sa petite maison.
A l’issue de ce banquet gigantesque, les foules accourues envahissaient les baraques foraines, dans un état psychologique tout à fait propice à cet ordre de plaisirs. Les cris-cris grinçaient, les bigophones nasillaient, les voix clamaient, les orgues de Barbarie gémissaient ; les cornets, les barytons, les basses éclataient et grondaient ; c’était cacophonique, formidable, ahurissant.
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