Une étude sur nos anciennes écoles primaires n’est pas seulement un objet de bien légitime curiosité, mais permet également d’infirmer un courant d’opinion vivace né au XIXe siècle voulant que l’instruction primaire ait été complètement négligée en France avant la Révolution de 1789, et imputant à l’Église cette prétendue négligence de l’instruction chez le peuple, au motif que l’ignorance publique lui permettait de se maintenir
Pour illustrer ces propos, nous prendrons l’exemple de la ville de Mâcon. Diverses publications sur l’état ancien de l’instruction primaire en quelques provinces de France, signalées dans un savant article de la Revue des questions historiques en 1875, ont fait justice, en partie, de ces allégations hasardées, et de ces théories préconçues. Pour ce qui concerne la province de Bourgogne, signalons en particulier la publication de Anatole de Charmasse : Etat de l’instruction primaire dans l’ancien diocèse d’Autun, imprimée à Autun, en 1871.
C’est dans le même but que nous chercherons ici à retrouver les traces des anciennes écoles de la ville de Mâcon, et à donner au lecteur une idée de ce que fut l’instruction primaire chez nos devanciers, longtemps avant la Révolution. Le théâtre de notre étude est bien restreint ; cependant, nous y trouverons des mentions qui Intéressent des pays voisins ; et les détails de l’organisation des écoles, dans une ville, sont, dans ces temps anciens et en changeant les noms propres, parfaitement applicables aux autres villes de la province.
Tous ces détails sont extraits, dans leur simple naïveté, des archives communales de la ville de Mâcon, particulièrement de la série GG (numéros 125, 126, 127, etc.), et de la série CC (du numéro 76 à 89 et du numéro 133 à 140). Qu’on nous permette ces indications pour ne pas fatiguer le lecteur par des renvois trop multipliés. Les faits simplement exposés parleront à leur manière ; et les conséquences, qui en ressortent, nous paraîtront peu en harmonie avec la conception que l’on se fait généralement de l’instruction primaire sous l’Ancien Régime.
Il y avait à Mâcon, de toute ancienneté, des écoles dont on peut suivre la trace depuis l’an 1369. Ces écoles sont celles que l’on appelait alors « petites escoles » ou escoles de grammaire ; et c’est dans le même siècle qu’on en trouve la mention dans la plupart de nos villes de France, à Paris, à Auxerre, etc. En 1369, selon les registres secrétariaux de Mâcon (série BB 3), la ville paye un « maistre d’escole » ; son nom, peu digne de figurer en tête de la liste de nos régents, est celui de maistre Baudet ; ses gages annuels sont de 6 livres.
Nos documents ne nous permettent pas de remonter plus haut. Rappelons seulement que, dans les siècles antérieurs, chaque église cathédrale avait son école, et devait, selon les Décrétales de Grégoire IX, et les prescriptions du Concile de Latran, pourvoir d’un bénéfice le maître chargé « d’enseigner gratuitement les clercs, et les autres étudiants pauvres. »
Dès le commencement du XVe siècle, en 1431, la ville de Mâcon a « deux maistres et recteurs des escoles ». L’un d’eux, maître Jacques Gabriel, reçoit « 30 livres pour une ânée de froment, et 60 livres pour une bote de vin, pour luy aider à tenir et gouverner les escoles. » Le local où elles se tiennent est une maison sise en Pontjeu (le Pont des Juifs), que la ville tient en location du curé de Flacé, au prix annuel de 50 sols. (Registre de Jehan Denys, secrétaire de la ville.)
Quelques années plus tard, en 1460, se présente un fait remarquable. Une place de régent étant vacante, le Bailli du Mâconnais, Louis de Chantemerle, y nomma « maistre Guillaume Boran qui avait quitté les escoles de Basgé » ; mais une assemblée de ville fut réunie, et il y fut conclu que « messire Guillaume Boran se pourvoiera ailleurs. (...) Que messire Jehan Guillet, maistre ès- arts, et bachelier en médecine, demourera pour régir les escoles de Mascon, avec messire Honoré Poncet ; qu’il est bien sufisant, bon grammairien, de bonne vie et mœurs pour enseigner les enfans. »
Ainsi les habitants maintenaient le candidat qu’ils avaient élus eux-mêmes, et excluaient celui du Bailli. Le puissant Bailli se désista de ses prétentions. En conséquence, dit encore cet acte, il fut conclu « que ledict régent maintenu se présentera à mon sieur le Chantre pour l’installer en ladicte rectorerie des escoles. »
Cet acte, que nous avons extrait d’un manuscrit précieux dû à Abel-Louis Laborier de Serrières, fils d’un conseiller au parlement des Dombes, nous révèle deux détails importants, savoir que les habitants de Mâcon avaient nomination de leurs recteurs d’écoles, et que le droit d’installation de ces recteurs était réservé au Chanoine chantre de la cathédrale. Le privilège des habitants est facile à comprendre, dans une ville qui avait ses franchises et libertés ; celui du chantre n’est pas moins facile à expliquer. Dès qu’il y eut, dans nos villes, des écoles distinctes de l’école épiscopale, l’évêque, responsable de la foi de son peuple et de l’enseignement qui lui était donné, délégua, soit à l’écolâtre de sa cathédrale, soit au chantre (ou précenteur), ses droits de surveillance sur ces écoles.
Pour enseigner, il fallut une licence d’enseigner, sorte de diplôme, délivrée après examen par le précenteur, ou par l’écolâtre. C’est ainsi que l’évêque se maintenait dans l’exercice d’un droit de surveillance inhérent à sa charge, comme les échevins et habitants se maintenaient eux-mêmes dans la possession de leur privilège, vis-à-vis de l’autorité civile. Rien de plus naturel et de plus sage L’enfant appartient alors et avant tout, à sa famille et à l’Eglise, qui sont auprès de lui les deux dépositaires responsables de ses destinées, et de l’autorité de Dieu sur lui. Nous parlons, bien entendu, d’une société catholique, comme était alors la société en France, l’Etat moderne tendant, lui, à se substituer d’abord à l’Eglise, puis à la famille, dans l’éducation de l’enfance.
Au XVIe siècle, les invasions des protestants ayant ruiné la maison d’école du Pontjeu, à Mâcon, les écoles furent installées dans les bâtiments de l’hôpital Saint-Jacques supprimé, qu’on répara et agrandit. Mais, en ce temps-là, le nombre des régents est augmenté ; en 1600, le principal, Pierre Morestel, doit tenir avec lui trois régents « cappables et de doctrine suffisante, pour y faire quatre classes ». En 1639, il y a « cinq classes » tenues par le principal, Pierre Millot, ancien recteur du collège de Bourg, et par quatre régents sous ses ordres.
Il est vrai qu’à ce moment, on commençait, dans ces écoles, à enseigner les principes du latin. Aussi, à côté d’elles, voit-on la ville entretenir et payer des écoles libres, tenues par des maîtres de grammaire et d’écriture, dont la concurrence provoque souvent les plaintes du principal. En 1585, par exemple, le recteur, Pierre Harson, se plaint de « plusieurs gens mécanicques et autres qui s’ingèrent d’enseigner la jeunesse en particulier, envoyant au collège gens des quelz ils n’espèrent aucun salaire ». En 1600, mêmes plaintes de son successeur ; ce qui n’empêche pas les échevins d’autoriser « un maistre écrivain » à tenir école « à condition qu’il se comportera modestement, et ne comectra chose qui soit de mauvais exemple, entretiendra sa femme et enfans, sans les laisser aller mendier. »
Enfin, en 1650, le collège de la ville était confié aux pères Jésuites, qui y eurent six classes, y compris celle de philosophie ; mais, malgré les frais d’entretien de cet établissement, qu’elle payait de ses deniers, la ville continua à entretenir et à payer des maîtres d’école, maîtres grammairiens et maîtres d’écriture ; en 1660, on en compte trois ; en 1676, il y en a jusqu’à quatre. Contentons-nous de ces indications sommaires sur le nombre et le développement toujours croissant de nos écoles. Et maintenant, disons un mot de ces régents anciens, de leur programme scolaire, et de leur enseignement.
Ces anciens « recteurs d’escoles », qui étaient indistinctement laïcs, clercs, ou même prêtres, portent souvent des titres qu’on s’étonne de trouver chez de simples pédagogues. En 1460, Jean Guillet, cité plus haut, est « maistre ès-arts, bachelier en médecine ». En 1602, Pierre Morestel, originaire de Tournus, est « bachelier en théologie ». En 1604, Arnaud de la Marque, qui lui succède à Mâcon, est « licencié en droit ». Enfin, en 1585, le recteur Harson fait valoir « la capacité et suffisance de ses deux régens, lesquelz sont pretz et appareillez de soubtenir telle dispute qu’il plaira leur présenter tant en grammaire que philosophie. »
Un règlement des échevins, dressé en 1620, va nous faire connaître le programme des études, et la gratuité de l’école pour les enfants pauvres. Ce règlement autorise le recteur Claude Janel à prendre « des abécédaires, 5 solz, de ceulx qui apprendront à lire et à escrire, 10 solz et non plus, de ceulx qui voudront apprendre l’arithmétique, 15 solz, et ne prendra rien de ceulx qui sont notoirement paouvres. » Ajoutons que quinze ans auparavant, le recteur déclarait déjà qu’il enseignait « trente paouvres enfans gratuitement ».
Pour stimuler l’émulation des élèves, il y a des exercices publics donnés par eux : ainsi, nous lisons que, vers 1636, les échevins allouent 24 livres de récompense au sieur Gaucher, premier régent, « tant pour ses peynes en l’action représentée en public par les escoliers, que pour luy donner subject de continuer le soin qu’il a d’instruire la jeunesse. » Signalons encore une particularité relative à ces anciens recteurs. Ils étaient peu stables en général, soit par suite de l’absence d’une organisation qui les maintint forcément à leur poste, soit qu’ils aimassent à promener leur science de ville en ville, et à chercher de meilleurs appointements.
On en dénombre ainsi sept qui se succédèrent à Mâcon dans les vingt dernières années du XVIe siècle. Tantôt ils viennent d’ailleurs offrir leurs services ; en 1460, c’est Guillaume Boran, qui a quitté les écoles de Bâgé ; en 1585 environ, c’est Jean Hunsmann, qui vient se proposer, en quittant les écoles de Paray ; en 1608, c’est François Clerc, recteur du collège de Tournus qu’on agrée ; en 1639, c’est Pierre Millot, ancien principal du collège de Bourg, qui est appelé à la direction du collège et des écoles de Maçon. D’autres fois, on arrête un recteur au passage, et on l’installe après informations : c’est ainsi qu’en 1578, Pierre Bissoines, passant avec sa femme, est retenu pour régir les écoles et on lui achète des meubles pour 57 livres. D’autres fois enfin, c’est un maître d’école qui passe, et auquel la ville accorde une aumône, et un viatique pour sa route, n’ayant pas besoin de ses services ; tant est grande la bienveillance des échevins pour ces hommes qui se dévouent à l’enseignement.
Ces maîtres d’école, nous l’avons dit, recevaient des rétributions scolaires, dont les échevins fixent exactement le chiffre, pour prévenir tout acte arbitraire. En outre, la ville leur paie des honoraires qui s’élevèrent graduellement. En 1369, les gages du recteur, à Maçon, sont de 6 livres ; en 1599, ceux du principal, Jean de Milleville, sont de 400 livres, pour lui et ses trois régents. Sur cette somme, 100 livres sont à la charge de la ville et les 300 autres, à la charge du chapitre de Saint-Vincent, qui fournit aux écoles, suivant une prescription du concile de Trente, une prébende dite préceptoriale. Cette prébende passa, dans la suite, au collège, et s’éleva de 300 à 500 livres. Il va sans dire que le droit d’installation continua toujours à être le droit exclusif du chanoine chantre, « auquel sa dignité cantonale, l’institution de la rectorerie en appartient », comme s’exprime un acte de 1588. L’Eglise surveillait donc l’enseignement, comme c’est son devoir chez les peuples chrétiens, mais elle n’étouffait pas l’instruction primaire, comme des écrivains prévenus ont voulu le dire.
Terminons par un mot sur l’instruction donnée aux jeunes filles. Assez ordinairement, paraît-il, les enfants des deux sexes étaient réunis sous le même maître ; parfois, la femme du recteur faisait l’école aux jeunes filles, et leur donnait des leçons de couture et d’ouvrages manuels. Vers 1605, nous voyons un certain Benoît Roussel, grammairien, adresser requête aux échevins de Mâcon, à l’effet d’obtenir la permission d’enseigner la jeunesse, « à lire, escrire, l’arithmétique, à jouer du luth, de la mandore, et autres perfections ; sa femme enseignera aux filles, en plusieurs sortes de poinctz d’esguille, et principalement en nuances ». On répondit au suppléant de se pourvoir ailleurs ; mais sa requête est précieuse, en raison des indications qu’elle renferme.
Enfin, pour répondre à un besoin spécial, au sujet de l’instruction des jeunes filles, l’ordre des Ursulines enseignantes faisait son apparition en France, dès la fin du XVIe siècle. En 1615, l’évêque de Mâcon, Gaspard Dinet, dota sa ville épiscopale d’un établissement de ce genre. Trois Ursulines furent appelées, et installées dans la maison de Balthazar de Rougemont Pierreclos, baron de Chandée, que ce généreux seigneur céda pour cet usage. Quinze ans après sa fondation, cette petite communauté d’Ursulines, qui ajoutait aux trois vœux de religion celui de se consacrer à l’enseignement, comptait 25 religieuses et, peu d’années plus tard, en 1633, elle fondait une nouvelle maison à Charlieu, ville du diocèse de Maçon.
En même temps, la supérieure des Bernardines de Vienne proposait aux échevins de Mâcon d’établir, aux frais de son Ordre, en leur ville, des religieuses suffisamment dotées, se chargeant d’élever des jeunes filles en qualité de pensionnaires. La ville refusa l’offre, comme on la voit un siècle plus tard, en 1711, refuser encore l’autorisation d’enseigner à des Frères de la Doctrine chrétienne ou de Saint-Joseph, que le chanoine de Berthet-Gorze avait introduits à Mâcon pour y tenir école.
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