En l’an de grâce 1429, par une de ces journées où manants, petits bourgeois et grands seigneurs ont le cœur joyeux, il y avait dans la capitale du fameux duché de Bourgogne une grande affluence de belle noblesse et de manants. Ils accouraient des environs pour jouir des fêtes, danses, joutes, momeries et esbattements de toutes espèces qui devaient avoir lieu en l’honneur du mariage du bon escuyer de Bourgogne, Jehan de Salins, à la bastarde du duc de Bavière, une très belle demoiselle de l’hostel de la duchesse de Bourgogne.
Dijon, consumé par un incendie au XIIe siècle, est presque neuf à l’époque dont nous parlons et le papi flottement des toilettes des dames et demoiselles accompagnées de seigneuries de moult belle compagnie de noblesse, font un effet charmant"dans les rues de cette bonne ville.
L’affluence est encore plus grande aux alentours du palais des ducs de Bourgogne et le va-et-vient des varlets semble dire que quelque chose de grandiose se prépare. Plus loin, dans les fossés du château, les valets de la vénerie dressent des sangliers à se tenir debout et à sonner de la trompette pour les faire figurer sur des planches, dans un entremets du banquet (La France au quinzième siècle).
Nous allons, en suivant ces marmitons chargés de fleurs et de feuillage, pénétrer dans les cuisines de Philippe le Bon, le très haut et très puissant seigneur. Le roi des ribauds (officier-portier de l’hôtel) est aujourd’hui en grand costume.
Voici d’abord l’escuyer de cuisine, dans sa chaire, entre le buffet et la cheminée ; il est de service depuis le matin : sa principale fonction est de voir et connaître tout ce qu’on fait. Ce maître-queux est porteur d’une louche pour l’essai des bouillons.
De tous côtés, valets et pages, qui sont cependant en grand nombre, semblent tous fort occupés. D’un côté, le rôtisseur et son aide surveillent la cuisson des rôts que les marmitons (happellopins) font tourner ; d’un autre, le potagier et son aide, un couvercle à la main, hument les vapeurs qui s’échappent des casseroles. Plus loin, les enfants de cuisine : les uns plumant le gibier, les autres nettoyant les poissons ou faisant quelques menus services. A gauche deux saucissiers ; à droite, plusieurs pages aux casaques grises ornées de feuilles de chênes attendent l’heure du royal festin.
Repas de noce (extrait de Histoire de Renaud de Montauban, vers 1470) |
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L’architecture de cette salle est imposante : des fûts de huit colonnes sans chapiteaux jaillissent des nervures qui viennent converger à la clef de voûte et sur lesquelles un vaste dôme s’appuie. Un ventilateur est ouvert au centre. Six cheminées gigantesques sont dans les entrecolonnements, et à droite de la porte d’entrée se trouvent les ouvertures qui donnent jour à cette vaste salle. Mais nous avons assez respiré les parfums des clous de girofle et du poivre long ! Voilà qu’on donne du cor pour annoncer le repas, sortons au plus vite (cela s’appelait corner l’eau).
Déjà les dames s’appellent pour se tenir la main en allant vers les pages qui donnent à laver ; hâtons-nous donc de visiter la salle où le festin doit avoir lieu : c’est la grande salle basse orientale du palais des ducs. L’attention est attirée d’abord par la devise donnée à Dijon par le bon duc Philippe le Hardi : MOULT ME TARDE ! inscrite sur tous les lambris des appartements intérieurs.
Les escuyers, hommes d’armes de la garde, sont aux portes de la salle des banquets, où des tables immenses sont couvertes de nappes en dentelles de Flandres, souvenir des conquêtes du duc Philippe le Hardi. Le sommelier a doublé la nappe devant le prince, et les tranchoirs d’argent sont déjà déposés sur la table, où la nappe est plissée comme rivière ondoyante qu’un petit vent frais fait doucement soulever, et autour de laquelle bientôt la belle et noble cour viendra s’asseoir. On était assis sur des banques ou bancs, d’où est venu le mot banquet.
Nous allons donc nous retirer, car l’heure du repas est venue. Les gentilfames, parlant avec affectation la langue de Froissard, vont y prendre place aux côtés des seigneurs et chevaliers vêtus de leurs plus beaux habits. Ce qui les excuse, c’est qu’ils ne tenaient pas plus à leur vie qu’à leurs vêtements ; avec les costumes les plus riches ils allaient aux festins comme ils marchaient à l’ennemi.
A cette heure donc il y avait haute et grande cérémonie en cette salle du palais. L’assiette était variée, mais nous ne parlerons pas des mets, viandes, qui étaient à ce festin, car vous devez bien penser que tout était en abondance et bien servi.
Le bon duc fut si gracieux et « tant courtois à toutes dames que nul plus courtois prince ni chevalier ne fut jamais trouvé ». La fête se termina par des joustes en harnois de jouste, en selle de guerre et à la foule sans toile. Les princes joustoyèrent en « pareures de laisne, de bougran, et de taille, garnis et ajolivés d’or clinquant ou de peinture », et le prix de la fête échut au seigneur de Waurin et à un jeune escuyer du pays de Hainaut, de l’hôtel du duc de Bourgogne, mignon de M. Jehan, héritier de Clèves, nommé Jacquet de Lalain.
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