Les historiens et les mémorialistes du XVIe siècle rapportent tous assez brièvement les circonstances de la mort de François Ier. Paillard, qui a étudié ces récits, ne trouve quelques détails intéressants que dans deux lettres adressées par Saint-Maurice, ambassadeur de Charles-Quint, à la régente des Pays-Bas. Il existe pourtant un récit plus détaillé de ces événements qui nous est donné par Pierre du Chastel, évêque de Mâcon et lecteur ordinaire du roi.
Ce qui fait la valeur de ce témoignage, c’est que du Chastel, par suite de l’intimité de ses relations avec le roi, par suite des fonctions mêmes qu’il exerçait auprès de lui, assistait à ses derniers moments. Nous en avons la preuve dans les lettres de Saint-Maurice et dans la biographie de Pierre du Chastel écrite par Pierre Galland : du Chastel, y voyons-nous, accomplit les deniers devoirs auprès de François Ier mourant ; lorsqu’il le vit perdu, il resta nuit et jour à son chevet, « nones et dies, lectulo ejus affixus », pour l’encourager à mourir pieusement, et de cette belle mort, c’est à Dieu d’abord, mais à du Chastel aussi, que l’honneur en revient, « proxime, Castellano, monitori Dei, certissimo instrumento regiam bonitatem ad salutaria flectere solito ».
C’est lui qui fit communier le roi, le mit à l’extrême-onction et ne le quitta qu’une fois mort. C’est lui enfin qui fut chargé de prononcer les deux oraisons funèbres, à Notre-Dame de Paris et à l’abbaye de Saint-Denis. Pierre du Chastel, qui était donc si bien placé pour tout observer, nous a laissé plusieurs récits de ce qu’il avait vu. Un de ces récits, qui commence à la mort du roi, en insistant surtout sur les cérémonies funèbres, a été édité trois fois en 1547. Mais il existe une lettre, mentionnée par Lelong dans sa Bibliothèque historique de la France, du roi Henri Il au Parlement incontinent après la mort de François Ier et la réponse du Parlement, avec les particularités de la mort du roi, écrites par l’évêque de Mâcon. Si ce manuscrit semble aujourd’hui perdu, les registres du Parlement de Paris en contiennent le texte, suivi d’une histoire de la mort de François Ier « escripte par l’evesque de Mascon et tesmoignée par plusieurs autres tousjours assistans à sa fin ».
François Ier, par Jean Clouet |
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Lelong nous rappelle que François Ier, séjournant à Rambouillet, y fut saisi par la maladie au mois de février 1547, et depuis ce moment son état empira jusqu’au dimanche 20 mars, où il fut jugé désespéré. C’est alors que le roi commença à se préparer à la mort et nous voyons quelles furent ses dernières préoccupations.
Le souverain se fit dire une messe, se confessa et communia avec des soupirs de parfaite contrition ; il fit une profession de foi publique complétée par un aveu repentant de ses fautes : il avait grande déplaisance des offenses commises envers Dieu, dont il avait reçu tant de biens et d’honneurs en ce monde et dont, par ingratitude, il avait transgressé les commandements une infinité de fois et d’une infinité de manières. Contre cette éternelle justice, il n’avait pour se garantir que la pitié de celui qu’il avait offensé, dont les promesses, l’infinie bonté lui donnaient quelque espoir, ainsi que les témoignages des saints et des prophètes ; et, pour s’encourager, il remémorait les preuves traditionnelles de cette miséricorde : l’histoire de l’enfant prodigue, celle de Marie-Madeleine, celle du bon larron, de la femme aux dix drachmes, du bon pasteur et du publicain qui n’osait lever les yeux vers le ciel :
« Et toutesfois, disait-il, seigneur, vous avez dict de votre bouche qu’il sortit du temple et retourna en sa maison plus justifié en la confession de son péché que le pharisien en l’ostentation de sa justice, car vous exaulcez ceulx qui se humilient et humiliez ceulx qui se exaulcent. Vous avez enduré le fait de ceste chair et condition mortelle, les travaulx, blasphèmes, oultraiges et les playes des espines, les cloux et la croix, et ne vous estes laissé une seulle goutte de sang pour nous. Duquel sang, sire, ordonnez et commandez que soit effacée la condamnation des péchez de ce roy contrict et pénitent qui n’a espérance sinon en votre miséricorde. Car ainsi, comme de son costé, tout le mal et toute désolation, du vostre vient et deppend toute consolation et ayde. De bon tueur, je quicte et habandonne ce monde où je vous ay tant offensé, sans avoir aucun regret de le laisser, niais grant joye et grant réconfort de ce que je viens devant vous, mon juge, qui estes intercesseur pour moy par votre miséricorde qui vous a faict naistre en ce monde, souffrir notre mortalité, monter et mourir en la croix pour moy. »
Peu après, comme le Dauphin se trouvait près du roi, viennent les réflexions politiques, parmi lesquelles les préoccupations religieuses et morales tiennent encore une grande place :
« Mon filz, je me contente de vous, et vous m’avez esté bon filz et obéissant. Puisque je suis à la fin de ma pérégrination en ce monde et qu’il plaist à Dieu que je vous laisse par sa grace et bonté en la mesme charge que j’ay eue de luy en ce monde, entendez que vous ayez devant toutes choses l’amour de Dieu, son honneur et son nom et son église catholique pour recommandée. Quant à la charité et amour du prochain, en laquelle il fault que vous comprenez toute la chretienté, si fault il pourtant, et ne m’en pourrais tenir, pour la charge que vous prenez, que je vous recommande principallement ce royaulme duquel le peuple est le meilleur, le plus obéissant, la noblesse la plus loyalle et la plus dévote et affectionnée à son roy qui soit ne qui fut oncques. Je les ay trouvez telz, et telz vous les trouverez.
« La conservation et amplification d’un royaulme sont les armes, quant à la force, et quant à obvier aux accidens qui peuvent advenir de dehors. Mais si n’est riy le dehors ny le dedans jamais bien, ny la paix ny la guerre, s’il y a faulte de justice, laquelle justice gardez vous bien d’enfraindre ny violer directement ny indirectement en quelque façon que ce soit, et aymez votre royaulme et son bien plus que vous mesmes et plus, après l’honneur de Dieu, que chose qui soit en ce monde, et d’autant que je vous en ay dict, je m’en descharge et vous en charge, II nous fault à tous, en brief temps, laisser ce monde et, comme vous me voyez, estre prest de rendre compte de notre administration à Dieu ; et nous roys, excepté la nécessité de la mort, ne sommes poinct en cecy comme les autres hommes, mais sommes plus tenuz et plus obligez que les autres, pour avoir receu telle puissance et telle charge de commander et gouverner ceulx de qui Dieu le créateur a nombré (sans en faillir ung) tous les cheveulx qu’ilz ont en la teste. »
Le même jour, après-dîner, le roi fut visité par sa fille Marguerite, dont la présence provoqua un moment d’émotion. Le roi lui tendit la main en disant : « touchez-là » et, trop ému pour lui adresser un beau discours comme à son fils, « il fut contrainct se tourner de l’autre costé de son lict et ne peult depuys parler à elle ». Les discours du roi, si vagues soient-ils, avaient cependant porté sur tous les points qui pouvaient le préoccuper ; aussi les événements des jours suivants sont-ils résumés dans le récit qui arrive rapidement au mardi 29 mars.
L’état du roi ayant empiré, celui-ci, dès le matin, réclame l’extrême-onction pour ne point partir de ce monde sans avoir tous les caractères d’un chrétien militant sous l’étendard du Christ. Puis, vers trois heures de l’après-midi, il eut un nouvel entretien avec son fils ; il lui parla d’un testament qu’il avait fait autrefois et qui était actuellement égaré, pour lui rappeler qu’il était héritier de tous ses biens meubles et immeubles ; il lui recommanda sa fille Marguerite, à laquelle il devait servir de père, « et certains de ses serviteurs, qui estoit chose très pitoiable à veoir. » Puis, comme à une idée fixe, le malade revint encore aux recommandations qu’il avait déjà faites une première fois, « de la solicitude de son royaulme et de l’observation de justice » :
« Il vous souviendra de moy, ajouta-t-il, mais, quant vous vienderez en l’estat où je suys maintenant, pour aller rendre compte de votre charge devant Dieu, ce vous sera grand réconfort de pouvoir dire ce que je diray maintenant, que je n’ay poinct de remordz en ma consience pour chose que j’aye jamais faicte ny faict faire contre justice à personne du monde que j’aye sceu. »
Ces paroles, assurément édifiantes, montrent combien déjà la mémoire du roi était affaiblie. D’ailleurs, à partir de ce moment, la maladie s’aggrave encore. Un peu avant minuit, le roi fut pris d’une « rigueur et tremblement » qui ôtèrent tout espoir à son entourage. C’est alors qu’on le mit à l’extrême-onction, à laquelle il se prépara lui-même, après quoi il communia derechef en recommandant son âme à Dieu. Interrompu un instant pour bénir son fils, il reprit ses pieux entretiens ; il lui semblait avoir des visions contre lesquelles la présence du Christ le protégeait. Puis il faisait faire par les assistants, sans doute par du Chastel lui-même, quelques argumentations religieuses auxquelles il répondait facilement avec l’esprit de Dieu.
Le lendemain matin, 30 mars, le roi reconnut une partie de ses serviteurs qu’il remercia de leurs soins ; quant à son fils, il l’embrassa en le bénissant de nouveau. Après quoi, il entendit la messe et, voyant l’hostie entre les mains du prêtre, il fit une exclamation en priant Dieu qu’il l’ôtât de ce monde pour le prendre avec lui. Et depuis, les pieuses manifestations ne cessèrent plus ; le roi, pendant tout le jour, ne cessa de rappeler son espérance dans la gloire qui attend les enfants de Dieu et son désir de terminer sa vie par ces paroles : « In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. »
Le soir survint un accident sur la nature duquel l’auteur n’insiste pas, mais on pensa que tout était fini ; le Dauphin vint se mettre à genoux devant son père qui l’embrassa puis le bénit encore en ces termes : « La bénédiction de Dieu te soyt donnée in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti. » Et les témoignages de piété se multiplièrent, sans grande variété, au milieu de l’admiration un peu facile des assistants qui eux aussi avaient la mémoire courte. Dans toutes ces paroles, nous relevons quelques idées intéressantes : le roi affirma de nouveau qu’il mourait dans la foi de Jésus-Christ, ferme dans les croyances de l’Église, « s’asseurant que tous les sainctz et sainctes et anges de paradis et la Vierge, mère de Dieu, lesquelz il prioit dévotement, intercéderoient et prieroient Dieu pour luy ou nom de notre seigneur Jésus-Christ. »
La salamandre, emblème du roi François Ier |
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Toute la nuit suivante, l’imagination du malade fut troublée par des visions qui revenaient sans cesse et au milieu desquelles il récitait des passages des saintes Ecritures adaptés aux circonstances. Le jeudi 31 mars, après la messe, François Ier tint encore des propos édifiants pour faire savoir à ses ennemis qu’il leur pardonnait. Il réconfortait ses serviteurs en leur annonçant qu’il allait au paradis y recevoir une couronne meilleure que celle qu’il portait sur cette terre.
La mort approchait ; le roi tenant la croix entre ses mains la baisa longuement. Il eut encore la force de rappeler le pardon accordé par Jésus au bon larron et de prononcer la formule par laquelle il désirait terminer sa vie : « In manas tuas, Domine, commendo spiritum meum. » Son dernier mot fut : Jésus. A ce moment, il perdit la parole et la vue. La vie ne se manifestait plus que par des signes de croix qu’il faisait sur son lit. « Et ainsi se congnoissoyt sa joye en la commémoration du nom de Jhésus, de sa miséricorde, de l’espérance et béatitude des éleuz, la résurrection des mortz et règne de Dieu avec ses sainctz. Sur quoy il rendit l’esprit à Dieu entre une et deux heures après midy. »
Après le décès, le cadavre resta sur le lit et on prit aussitôt le moulage en cire de la tête, tandis que les chantres de la chapelle et plusieurs religieux mendiants commençaient à chanter et à prier Dieu pour l’âme du défunt. C’est le lendemain seulement que le corps fut livré aux chirurgiens et barbiers chargés de le vider et de l’embaumer. Le cœur fut mis dans un coffret, les entrailles dans un autre et le reste dans un cercueil de plomb, qui furent transportés au prieuré des Hautes-Bruyères. Le cœur et les entrailles y furent inhumés, après quoi on conduisit le cercueil à Saint-Cloud.
Le récit de Pierre du Chastel est surtout précieux pour nous parce qu’il nous fait mieux connaître la mentalité de François Ier. Nous voyons combien puissant était en lui le sentiment religieux ; ce n’est point un de ces lettrés, nombreux au XVIe siècle, chez qui les croyances traditionnelles étaient mélangées d’une philosophie vaguement classique. La Renaissance n’avait point altéré sa foi ; sincèrement, il s’attendait à comparaître devant Dieu. Ce dogme du jugement a même pour lui une importance extrême : toute la religion se résume dans la punition du coupable après sa mort, et François Ier retient surtout, parmi les enseignements du Christ, ceux qui font espérer une justice moins rigoureuse. Les paraboles les plus idéalistes, ceux dont la morale est le plus injuste, il les cite comme des arguments, comme un avocat plaide une mauvaise cause.
Nous ne pouvons pas non plus contester son attachement à la religion catholique ; il veut en recevoir les sacrements et recommande l’Église à son successeur. Mais il semble faire peu de prix des dogmes proprement catholiques, de ceux qu’ont combattus les églises réformées ; il ne demande ni messes ni prières pour le repos de son âme, ne fait ni aumônes ni fondations pieuses pour le rachat de ses péchés. C’est à peine s’il mentionne l’intercession de la Vierge et des saints ; il préfère s’adresser constamment et directe-ment à Dieu : ce sont les souffrances et les mérites du Christ, c’est son sang qui effacent les péchés. Il ne dit pas expressément, mais semble entendre que ses œuvres ne sont rien et que seule la foi dans le Christ peut le sauver.
Dans la crainte du jugement qui le menace, François Ier néglige les préoccupations terrestres ; il parle à peine au Dauphin de la succession qu’il lui laisse. Ce qu’il dit suffit, il est vrai, pour nous montrer une conception du pouvoir royal assez banale : la conservation des forces du royaume, l’amour de la justice, l’amour du peuple, l’obligation imposée par Dieu de bien gouverner, voilà ce dont nous parle ce roi qui avait une méthode de gouvernement à lui et qui avait mené la monarchie dans des voies nouvelles. La crainte de Dieu et la confiance en ses propres mérites dominent l’esprit du monarque lorsqu’il réfléchit sur lui-même en se préparant à mourir.
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